Isabelle de Maison Rouge rappelle dans son dernier ouvrage (Salut l’artiste) la teneur d’une ancienne collaboration arts et sciences... sans doute surprenante pour beaucoup. Evoquant la question des rapports entre les artistes et les drogues, elle retranscrit d’abord quelques repères : Baudelaire, bien sûr, mais aussi les années 1910-1920 (Utrillo, Modigliani, Soutine), la réputation d’artistes maudits des peintres de l’école de Paris, et la diffusion de la sulfureuse équation : artiste + boisson = déchéance.

En 1844, souligne-t-elle, le docteur Jacques-Joseph Moreau fonde le Club des Haschischins, actif jusqu’en 1849. Il s’agit, précise-t-elle, d’un groupe voué à l’étude et à l’expérience des drogues (haschich et opium), dont les séances mensuelles, qui ont lieu chez le peintre Fernand Boissard, à Paris, réunissent de nombreux scientifiques, hommes de lettres et artistes, pour des soirées de "dégustation". Le poète Théophile Gautier, ajoute-t-elle, qui y participe régulièrement, raconte par exemple, dans La Pipe d’opium (1846), l’une d’entre elles.

Une brève recension oblige à joindre à cette référence quelques autres : Thomas de Quincey, dans les Confessions d’un Anglais mangeur d’opium (1822) ; Les Paradis artificiels de Baudelaire ; Pierre Loti ne se fait pas faute de chanter les délices de la "fumée bleue" (Les Derniers jours de Pékin, 1922)... Il convient toutefois de préciser qu’à cette époque, non seulement les artistes parlent sans détour de leurs expériences des drogues et des effets engendrés ; mais encore que ces substances ne sont pas encore frappées d’interdiction, et que leur usage est plutôt considéré comme un adjuvant pour les créations de l’esprit (notamment littéraires).

Isabelle de Maison Rouge souligne encore qu’"on incitait même à leur consommation car elles étaient réputées favoriser l’imaginaire". Là encore, souvenons-nous du fait que les marins et les coloniaux importaient l’opium, que les médecins l’utilisaient pour lutter contre la douleur et la folie.

De ce propos, nous ne voulons rien tirer concernant la consommation de drogue. Le problème n’est pas là. Ce qui nous intéresse dans ce détour, c’est le type de collaboration qu’il indique entre artistes et scientifiques. Il conviendrait maintenant de lancer une étude sur la portée de cette collaboration, quoiqu’elle concerne les drogues, désormais interdites. On pourrait, sans doute, montrer trois choses :
- quel type de collaboration est en jeu entre arts et sciences ;
- ce que signifie une collaboration qui porte d’abord sur les hommes, plus que sur les œuvres ;
- comment cette articulation a servi à interpréter certains types d’œuvres (ont-elles pour autant été produites sous l’empire des drogues, cela est moins certain ?).

Vu sous cet angle, la question Arts et Sciences prend un autre tour, puisqu’elle engage moins une réflexion sur les œuvres qu’une réflexion sur les "créateurs"