Une introduction à l'approche scientifique de la sagesse, centrée autour d'une réhabilitation du concept aristotélicien de prudence.

La science contemporaine a commencé à s’intéresser sérieusement à la question du bonheur, du perfectionnement moral et de l’excellence humaine. Cela n’aura pas échappé à l’attention du lecteur moyen de la presse, car des articles sur la psychologie et l’économie du bonheur font de plus en plus souvent la une dans les média.

Cependant, notre lecteur moyen n’a sans doute pas pris la mesure d’un fait historique : ces articles sont signés par les meilleurs psychologues et économistes de Harvard ou du MIT, au lieu du dernier gourou en développement personnel et en spiritualité. Cela signe la rupture unilatérale d’une trêve entre science et religions/spiritualités sur laquelle les démocraties occidentales du XXème siècle étaient bâties à un niveau très profond : la science était censée s’occuper de l’homme moyen et de ses pathologies, la religion et la spiritualité de tout ce qui fait qu’une vie soit pleinement réussie, heureuse et accomplie.

Pour l’instant, la traversée du Rubicon de la part de la science qui envahit la chasse gardée de la spiritualité se passe dans une douceur totale. Car la science de l’excellence humaine n’en est qu’à ses balbutiements et paraît bien peu révolutionnaire : loin de faire sa révolution copernicienne, elle semble surtout donner raison au sens commun et à la sagesse ancienne. Pour ce qui est du sens commun, aujourd’hui nous apprenons d’une pléthore de nouvelles études scientifiques que l’être humain est un animal très social qui s’épanouit dans des relations humaines riches, en intégration profonde avec sa communauté ; il a besoin d’exprimer ses valeurs et ses capacités dans un travail intéressant et utile ; il n’est heureux que s’il donne un sens global à sa vie.

Pour ce qui est des traditions anciennes, les psychologues sont en train de prouver de façon de plus en plus claire les bénéfices (pour la santé et pour plusieurs performances cognitives) de la médiation bouddhiste, dans ses différentes variantes.

Pour l’instant, aucune découverte digne de la science fiction sur la façon de nous rendre heureux ad vitam aeternam. Malgré cela, le calme dans lequel ce bouleversement intellectuel des bases de notre société se déroule est surréel. Tout se passe comme si les professionnels de la spiritualité se réjouissaient du fait que la science au fond dit la même chose qu’eux, sans comprendre qu’à terme cela rendrait leur rôle complètement superflu (si c’est vrai parce que le dit la science, peu importe que la spiritualité le dise aussi).

Practical Wisdom par Barry Schwartz (psychologue et économiste) et Kenneth Sharpe (professeur de sciences politiques), s’insère dans le cadre d’une réappropriation des traditions anciennes par la psychologie contemporaine. Les auteurs ne s’intéressent pas au Bouddhisme, mais à la tradition philosophique de l’éthique de la vertu, notamment dans sa version aristotélicienne, inaugurée par l’Ethique à Nicomaque. Ils proposent une réhabilitation scientifique du concept aristotélicien de "prudence" (Phronesis, Practical Wisdom en anglais) qui placerait cette notion au centre du débat intellectuel, social et politique contemporain.

Le livre est très bien écrit, clair et facile à lire. Il peut être divisé en deux grandes sections. Dans la première section, les auteurs introduisent et expliquent par le biais de plusieurs exemples la notion de prudence (première partie), puis avancent leur modèle psychologique qui détaille les bases cognitives et la structure de la prudence (deuxième partie). Dans la deuxième section, les auteurs développent une critique sociale des institutions professionnelles américaines responsable de la formation des juges, avocats, médecins, enseignants, etc. Aussi bien au niveau de la formation que dans le contexte des conditions d’exercice sur le terrain, tout serait mis en place pour décourager le développement d’un jugement prudent chez les professionnels américains, au détriment de la qualité du service et de l’épanouissement humain dans la profession. Les causes de cette situation sont analysées (troisième partie) et des exemples de bonnes institutions alternatives sont présentés (quatrième et dernière partie).

 

Qu’est-ce que la prudence ?

La prudence est à la capacité à juger et à agir de la meilleure façon, en vue des fins appropriées au contexte et des circonstances particulières. Dans le jargon des philosophes, on parle d’excellence pratique. Cette excellence dans l’art de faire le bon choix est exemplifiée au plus au degré par de bons juges ou de grands leaders, mais elle est aussi nécessaire dans la vie quotidienne.
Quelle est la différence entre la prudence et l’intelligence, ou la rationalité ? Car l’intelligence et la rationalité servent aussi à faire de bons choix. Ces notions sont censées être également à la base d’une théorie de l’excellence pratique : on ferait le meilleur choix parce qu’on est intelligent et/ou rationnel.

Traditionnellement, la rationalité est associée à la capacité à suivre correctement des règles, des procédures ou des principes. La notion d’intelligence laisse quant à elle peu de place au rôle des émotions dans le choix excellent. Or, ni le suivi de règles et de procédures (même si elles étaient intériorisées et donc inconscientes) ni une cognition "froide" et non émotionnelle ne sauraient rendre compte de la complexité du processus optimal de prise de décision dans le monde réel.

D’un côté, aucun ensemble de règles ne peut prendre en compte la spécificité du contexte présent : chaque situation est différente d’une façon subtile et cela demande de l’improvisation et de la créativité. De l’autre, le jugement est influencé par des déficiences émotionnelles : un manque d’empathie empêchera un médecin de soigner de façon approprié ; un manque de détachement empêchera un juge d’être impartial.

Selon l’éthique de la vertu, la capacité à juger et à choisir de façon optimale est le résultat d’un développement cognitif/émotionnel complet et holiste de l’individu. Il s’agit de développer de façon organique la perception (la façon dont on interprète un contexte d’action), nos réactions émotionnelles et les capacités d’analyse et de délibération sur les moyens à déployer. Les différents niveaux ne sauraient être isolés. En particulier, la compétence technique dans l’exécution d’une tâche doit être associée à une motivation adéquate.

Souvent nous cherchons la performance et nous ne nous intéressons que peu aux motivations. Le plombier doit régler notre fuite d’eau de façon rapide et efficace, peu importe s’il est passionné par son boulot ou s’il travaille uniquement pour l’argent. Cette façon de voir les choses est à l’opposé de l’éthique de la vertu. Si l’action excellente est le résultat d’une maturité psychologique holiste, il faut avoir les réactions émotionnelles adéquates et agir sur la base des bonnes motivations. Un médecin qui ne s’intéresse pas aux patients et qui travaille pour l’argent finira par faire des erreurs professionnelles, surtout dans des cas difficiles qui sortent de la routine. En plus, il sera insatisfait, car, d’après l’éthique de la vertu, on ne peut être heureux que si on agit sur la base de motivations saines.

Aucun ensemble de règles ne peut articuler la compétence en même temps technique et émotionnelle d’un professionnel. Parfois il faut cacher un diagnostic qui ne laisse pas d’espoir à un patient en fin de vie, parfois il faut être honnête. Un médecin ne doit être ni trop attaché à un malade (il risquerait de lui épargner un examen très douloureux mais nécessaire) ni trop détaché (il risquerait de ne voir que des organes malades et ignorer les signaux psychologiques de détresse). Dans les métiers où on joue un rôle de conseiller, il faut parfois suivre à la lettre les désirs du client et parfois l’aider à reformuler ses souhaits pour lui faire comprendre ce qui est vraiment dans son intérêt (un tel va chez le coiffeur avec la photo d’une star et ne se rend pas compte que la coupe ne lui ira pas du tout).

 

La psychologie de la prudence

Comment peut-on devenir prudent ? Il ne s’agit pas d’intérioriser un système de règle, fusse-t-il extrêmement complexe. Il ne s’agit pas non plus de reconstituer les règles suivies inconsciemment par les meilleurs, car, d’après l’éthique de la vertu, aucun système de règles ne serait adéquat pour produire des choix optimaux.

C’est à ce point que l’intersection entre la tradition ancienne et la psychologie contemporaine a véritablement lieu. Selon les auteurs, l’apprentissage moral est rendu possible par l’entrainement de réseaux connexionnistes. Un réseau connexionniste est un système qui imite le fonctionnement et l’architecture (présumés) du cerveau, et qui peut apprendre à exécuter une tâche très difficile sans que le programmeur ne lui ait jamais fourni l’algorithme nécessaire. Par exemple, un réseau peut apprendre à distinguer une roche d’une mine dans les profondeurs de l’océan, en étant confronté à une grande variété de roches et de mines, à chaque fois essayant de deviner, et ayant ensuite accès à la bonne réponse. Au fil du temps, le réseau apprend à faire des distinctions aussi fines et souvent meilleures que l’homme. Des réseaux de ce genre ont appris à conjuguer les verbes irréguliers de l’anglais ; ils sont largement utilisés en finance pour prédire l’évolution des prix, ou en médicine pour identifier une tumeur dans une radiographie.

Selon les auteurs, qui reprennent l’hypothèse de Paul Churchland et Owen Flanagan (Ethic naturalized : Ethics as human ecology), la cognition sociale fonctionne sur la base de réseaux connexionnistes. L’enfant et l’adolescent sont exposés à une grande variété de situations sociales dans lesquelles ils essayent d’agir sur la base de leur compréhension limitée. Tout au long du processus, ils reçoivent constamment du feedback qui permet de faire développer de façon organique leur perception sociale et le répertoire de solutions adéquates à leur disposition. A la fin, le sujet sera en mesure d’avoir des réactions caractérisées par la complexité et la flexibilité d’un adulte, sans que personne ne lui ait jamais fourni le manuel des règles de vie en société.

Dans ce modèle, l’apprentissage de l’excellence pratique dépend entièrement des institutions et de la culture dans lesquelles on a la chance ou la malchance de grandir (ou de se former). Si on a la chance de se trouver au bon endroit on devient prudent, sinon on ne le sera pas. L’individu n’a pas de grande marge de manœuvre : il est difficile d’être le seul saint au milieu des pécheurs, car la culture ambiante finira par imprégner l’esprit des mieux intentionnés. Le seul espoir pour l’avenir est la construction de meilleures institutions qui favorisent l’apprentissage de la prudence.

La réforme institutionnelle en tant que seul levier possible est la marque de fabrique de l’approche aristotélicienne. Il s’agit d’une des deux grandes voies qui sont suivies par l’éthique de la vertu. La deuxième voie est celle exemplifiée par les Stoïciens, selon lesquels on ne peut pas attendre l’arrivée d’une société idéale et il faut s’équiper pour être le seul sage dans la foule des non sages. La voie de l’excellence passerait par un long travail sur soi.

Pour comprendre la différence, on peut utiliser une analogie avec la forme physique. Aristote nous dirait que les gens ne seront pas vraiment en bonne forme tant que l’effort physique ne sera requis par les tâches de la vie quotidienne, dans les mœurs d’une culture, sans compter sur la bonne volonté individuelle de faire du sport. Les Stoïciens, en attendant des temps meilleurs, nous conseilleraient de nous inscrire dans une salle de musculation.

Ce n’est pas un hasard que Schwartz et Sharpe s’inspirent d’Aristote. Dans la scène contemporaine, c’est le seul modèle qui ait été récupéré par les intellectuels : en philosophie pratique et dans les sciences sociales. On peut citer par exemple la théorie des "capabilités" développée par Nussbaum et Sen (Femmes et développement humain : L’approche des capabilités). Bizarrement, alors qu’on n’assiste pas à une nouvelle réforme institutionnelle d’inspiration néo-aristotélicienne tous les weekends, le modèle du travail sur soi est très populaire en pratique (mais pas chez les intellectuels). En témoignent les millions d’adeptes des différentes méthodes et techniques de développement personnel et de transformation de soi. Le fait que la plupart de ces méthodes ne soient pas valides et scientifiquement fondées ne constitue pas une objection valable, car alors il faudrait en développer de meilleures et plus puissantes, et cela n’est pas ce que cherchent à obtenir les détracteurs.

Le projet aristotélicien visant à répandre l’excellence pratique uniquement par la réforme institutionnelle est sorti affaibli du débat récent sur le situationnisme (en psychologie sociale, à ne pas confondre avec le mouvement de Guy Debord). Des philosophes tels que John Doris (Lack of Character) et Gilbert Harman se sont faits porte-paroles d’une longue tradition expérimentale en psychologie sociale qui montrerait la nature extrêmement fragmentée du caractère des gens. Notre comportement serait facilement influençable par les situations : nous pouvons être généreux dans le milieu du travail, mais pas dans la vie privé ; ou vice-versa. Nous serions timides dans une situation, mais plus du tout dans une autre.

D’après les situationnistes, une société bien organisée cache le côté obscur de l’homme, mais elle ne l’élimine pas, alors que d’après Aristote l’homme prudent, éduqué dans une société idéale, atteint une excellence pratique indépendante du contexte : il resterait prudent même en étant égaré dans une île déserte, loin de la civilisation. Si les situationnistes ont raison, le meilleur plan pour atteindre l’excellence pratique devient celui d’un long travail sur soi.

Cela marque un point pour les Stoïciens contre Aristote : il est encore temps de s’inscrire en salle de musculation.

Les auteurs ne citent même pas ce débat sur le situationnisme qui met à mal leur modèle de l’excellence pratique. C’est sans doute une faiblesse du livre. En même temps, Schwartz et Sharpe ne prétendent pas présenter un état de l’art complet sur la psychologie de l’excellence pratique. Ils se limitent à choisir et à développer de façon claire l’approche aristotélicienne. Leur centre d’intérêt véritable est la critique des institutions, ce qui nous amène à la deuxième section du livre.

 

Critique aux institutions : standardisation et démoralisation

Pourquoi les institutions des Etats-Unis sont-elles de moins en moins en mesure d’encourager le développement de la prudence dans la formation professionnelle et citoyenne ? Parce qu’elles ont subi un double processus de standardisation et de "dé-moralisation".

La standardisation des méthodes d’apprentissage enlève tout espace à l’improvisation, aussi bien chez l’élève que chez le formateur. Ainsi, aux Etats-Unis des curricula s’imposent qui organisent dans les détails l’ordre et la structure des leçons à l’école primaire. Dans la formation des soldats, toute situation de combat ou d’entrainement est associée à une procédure à apprendre et à reproduire exactement, avec le résultat que les militaires ne savent plus improviser quand la situation réelle ne rentre pas dans leurs schémas.

La standardisation répond à plusieurs exigences : d’abord, elle est plus facile à vendre d’un point de vue politique, car elle donne aux électeurs l’image d’une action concrète et mesurable. Lorsque les enfants n’apprennent plus à lire comme il faut, il est facile de communiquer sur le principe d’un "retour aux fondamentaux" et afficher les détails de la nouvelle méthode qui sera suivie. Cela fait du concret. Les parents enragés auraient plus de mal à suivre un discours complexe sur la nécessité d’améliorer la capacité de jugement et d’adaptation des enseignants et des élèves.

Ensuite, la standardisation permet de se prémunir contre les pires échecs. Si les plus mauvais enseignants ou militaires avaient davantage de liberté, ils causeraient des dégâts considérables. L’obligation de suivre la méthode au pied de la lettre nous sauve du pire. Faire disparaître les bavures et les contreperformances honteuses est plus facile et politiquement rentable que faire progresser véritablement le système, malgré la rhétorique d’une société qui se dit de l’excellence et de la connaissance.

La démoralisation dans la formation professionnelle est la tendance à ne plus transmettre aux apprentis la motivation éthique qui devrait être associée à l’exercice d’une profession. Nous avons vu que pour l’éthique de la vertu il est essentiel d’agir sur la base des bonnes motivations. Il y aura toujours un prix à payer (tôt ou tard) pour une bonne performance obtenue avec des motivations suspectes. Un banquier devrait être motivé par le désir d’être au service de la communauté ou du secteur de l’économie qu’il finance. Il aide les gens d’un village à faire avancer leur projet de vie ou il permet à un nouveau secteur industriel de progresser et d’embaucher. Il ne devrait pas viser uniquement la maximisation de ses gains. De la même façon, un médecin devrait écouter les malades et avoir une vraie relation avec eux, non pas maximiser son honoraire. Idem pour un avocat ou même pour un coiffeur, qui devrait prendre le temps de contribuer à l’image et au bien-être de ses clients, non pas multiplier les prestations en en réduisant la durée et la qualité, pour gagner plus.

Malheureusement, dans notre économie la pression financière et la nécessité de réduire les coûts imposent plusieurs contraintes : on finit par pratiquer une profession non pas comme il faut (par rapport à sa vraie mission), mais de la seule façon qui est financièrement soutenable. Ainsi, un jeune médecin américain est contraint à voir un grand nombre de patients chaque jour, lors de consultations de 20 minutes au maximum, s’il veut amortir le coût de ses longues études. Le coût des examens employant du matériel technologique avancé impose aux cliniques la même discipline managériale que dans n’importe quelle entreprise de pointe.

La rentabilité se substitue au service aux clients comme principale forme de motivation. La question légitime des contraintes imposées par la rentabilité devient peu à peu un culte du profit qui s’enracine dans les mœurs de la profession. Jusqu’à ce que, au niveau des institutions formatrices, on ne fasse même plus semblant de proposer un modèle éthique. Ainsi, les apprentis avocats ou médecins s’entrainent analysant des cas totalement dépersonnalisés : le patient, même lorsqu’il se trouve juste en face de vous, est réduit à une catégorie diagnostique

 

Quelle réforme des institutions ?

Que faire face aux processus de standardisation et de démoralisation qui érodent le niveau de prudence de la population ? Les auteurs citent plusieurs cas de résistance individuelle, souvent payée à un coût personnel très élève. Il y a des juges qui refusent d’appliquer des peines trop sévères, prescrites par la loi mais pas adaptées au contexte. Des enseignants refusent d’appliquer des curricula structurés de façon trop rigide. Souvent ils perdent leur poste ou ils sont mis au placard.

Bien évidemment, la révolte individuelle n’est pas la solution dans l’approche aristotélicienne. Il s’agit de réformer les institutions. Comment ?

Les exemples et les propositions que les auteurs avancent pour résoudre le problème de la standardisation paraissent intéressants et crédibles. Il s’agit de baser l’apprentissage sur la présence de modèles à imiter, sur la mise en situation réelle et sur l’analyse et la critique de la performance de l’élève. Il faut éliminer les grandes séances dans les amphis de fac où on analyse les cas de façon impersonnelle : il faut une mise en situation qui se rapproche le plus possible de la pratique réelle de la profession. Par exemple, assez tôt dans son cursus, un étudiant en médicine sera supervisé dans le traitement de malades "réels". S’il faut simuler, la mise en scène doit être aussi réaliste que possible, comme dans le cas d’une école de négociation que les auteurs citent, où des acteurs professionnels interviennent pour augmenter le niveau de réalisme. Au fil du processus, la place pour l’initiative et l’improvisation de l’élève sera garantie.

Malgré le coût politique, ces réformes se basent sur la façon dont les gens apprennent vraiment. En ce sens, on a le droit d’espérer que le public le comprenne un jour, et commence à soutenir ce changement salutaire dans la pédagogie.

Par contre, en ce qui concerne le problème de la démoralisation, la solution des auteurs ne parait pas suffisante. La culture de l’argent roi pénètre tous les esprits, y compris les plus avisés, par le biais de la tyrannie de la réduction des coûts et de la gestion managériale qui s’impose. Comme alternative, les auteurs se limitent à citer des cas de professionnels ou d’entreprises vertueux qui travaillent à niveau local, se concentrent sur le bénéfice social de leur activité et ne gagnent pas énormément d’argent, parfois à la limite du no-profit. Dans ces circonstances, l’argent n’est pas roi et leur activité est compatible avec les motivations les plus saines.

Un autre monde est possible, sauf que toutes les entreprises ne pourraient pas fonctionner comme cela dans une économie mondialisée qui se base sur la génération massive de profit pour financer l’investissement, le progrès technologique et la croissance. Les auteurs seraient mieux servis par un discours de gauche radicale qui prône une reforme profonde de l’économie mondiale. Sur la base des mêmes prémisses, c’est la voie qui a été suivie par un néo-aristotélicien célèbre comme McIntyre (Après la vertu). Mais Schwartz et Sharpe ne tiennent jamais un tel discours dans le livre. Le lecteur reste donc déçu par l’absence d’une solution viable.

En conclusion, Practical Wisdom est un bon livre, dont la plus grande qualité est de fournir une grande quantité d’exemples réels, si bien que le lecteur est littéralement entraîné à l’usage de la notion de prudence. Après la lecture, vous serez en mesure de reconnaître les questions pour lesquelles cette notion est pertinente, dans votre vie ou dans le débat public. En ce sens, le livre atteint pleinement son but, malgré le fait que, au niveau théorique, il n’apporte pas de véritables contributions originales à l’éthique de la vertu ou à la psychologie de l’excellence pratique.

 

Références

Aristote (2007). Ethique à Nicomaque, J. Vrin.

Doris, J. M. (2002). Lack of character: personality and moral behavior. Cambridge, U.K. ; New York, Cambridge University Press.

Flanagan, O. (1996). Ethics Naturalized: Ethics as Human Ecology. Mind and Morals. Essays on Ethics and Cognitive Science, The MIT Press: 19–44.

MacIntyre, A. (1997). Après la vertu: étude de théorie morale, Paris, PUF.

Nussbaum, M. C. and C. Chaplain (2008). Femmes et développement humain: l'approche des capabilités, Des femmes-Antoinette Fouque.