Un panorama sous forme de bilan et d’essai de prospective d’une des principales innovations de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Si les citoyens sont quasi quotidiennement confrontés aux discussions relatives au vote des lois compte tenu des débats de société qu’elles peuvent engendrer, il n’existe en revanche qu’assez peu de dispositions procédurales qui aient eu autant d’écho médiatique que l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Présentée par le président de la République comme "l’aboutissement d’une évolution commencée avec la Constitution de 1958 pour instaurer dans notre droit une véritable hiérarchie des normes qu’une longue tradition de souveraineté absolue de la loi avait jusqu’alors rendue impossible"   , l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité, désormais communément appelée "QPC", permet, sous conditions, à chaque justiciable de contester la constitutionnalité d’une loi applicable au litige où il est partie. Selon la juridiction devant laquelle le procès est instruit, il appartiendra au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation de renvoyer ou non cette question devant le Conseil constitutionnel, qui jugera de la compatibilité avec la Constitution de la loi contestée et, en cas de réponse négative, de son annulation.

Après un peu plus d’un an de pratique, le numéro 137 de la revue Pouvoirs consacre un dossier à cette nouvelle disposition. Les treize contributions réunies permettent de porter à la connaissance du lecteur les différents enjeux qui se dessinent suite à l’adoption de ce nouveau dispositif.

Si les travaux du comité Balladur ont servi de base à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 porteuse de la QPC, la volonté d’introduire un tel dispositif dans l’arsenal juridique français est bien antérieure   . Sous la Ve République, des tentatives initiées par R. Badinter (1989) et la commission Vedel (1993) ne purent aboutir pour des raisons liées au contexte politique. Entre 2008 et 2010   , ce fut sous l’impulsion vigilante du Parlement que l’exception d’inconstitutionnalité put voir le jour   .

En offrant à n’importe quel justiciable la possibilité de contester une loi promulguée, le dispositif permet une réelle avancée en termes de garantie des droits puisque, d’une part, la sanction de l’inconstitutionnalité d’une loi ne dépend plus d’une volonté politique (saisines traditionnelles par le président de la République ou les présidents des assemblées ou soixante députés et sénateurs) et, d’autre part, que le Conseil pourra, à l’occasion de l’examen de la QPC, s’appuyer sur la manière dont la loi a été appliquée ou interprétée. Le succès   de ce dispositif, compte tenu notamment de sa relative simplicité, renforce l’idée qu’un manque important dans notre système juridictionnel a pu être comblé à l’occasion de l’adoption de l’article 61-1   . Ainsi, pour ne prendre que deux exemples, les décisions rendues sur la cristallisation des pensions des anciens combattants   et le régime de la garde à vue   , les débats qui les ont suivis et les règlementations adoptées, ont démontré la force du dispositif et son efficacité.

Si l’intérêt de la disposition est donc indéniable, les auteurs laissent à penser que la question prioritaire de constitutionnalité n’est pas une fin en soi mais révèle un certain nombre de problématiques qui pourront être résolues dans les années à venir pour la plupart d’entre elles.

Ainsi, la QPC donne une actualité nouvelle aux conflits de juridictions analogues à ceux qui ont émergé pour permettre l’articulation des droits communautaire et européen avec le droit national. C’est ainsi que, pour D. de Béchillon, le système juridique français dispose aujourd’hui de "cinq cours suprêmes"   . La réception mitigée de la QPC par la Cour de cassation, dont N. Molfessis   donne des explications tirées tant de la tradition judiciaire française que des aspects sociologiques liés au différences de culture entre le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation, accréditent l’idée que l’on se dirige vers un «dialogue des juges» qui sera pour le moins…constructif.

Le dossier contient en outre des études consacrées aux autres systèmes en vigueur dans certains pays européens   qui permettent de souligner les différences existantes mais aussi le chemin qui pourra être parcouru pour que la QPC atteigne un degré de maturité au moins équivalent aux mécanismes en vigueur chez nos voisins. Cette évolution devra permettre un meilleur accès au prétoire (comment ne pas penser que le mécanisme de filtrage par le Conseil d’Etat et la Cour de cassation aboutit au moins à un pré-jugement de constitutionnalité sinon un jugement lorsqu’il n’y a pas transmission ?) mais aussi une intensité de contrôle plus importante et un panel élargi des normes invocables. L’optimisme en la matière est de mise puisque, d’une part, l’histoire jurisprudentielle française a montré que c’est cette voie qui a été suivie   et, d’autre part, que les techniques adoptées par le Conseil constitutionnel dans ses premières décisions sont allées dans le sens de l’ouverture.

L’introduction de la QPC dans le droit français interroge en outre le fonctionnement même du Conseil constitutionnel. Ainsi, la question classique du mode de nomination des membres mais plus encore des choix conduisant (aujourd’hui) à leur présentation pour validation aux parlementaires trouve matière à rebondir. On pense en outre aux moyens matériels et humains qui sont alloués au Conseil pour absorber le contentieux mais aussi à l’articulation des différentes procédures applicables. En tout état de cause, le Conseil constitutionnel devra poursuivre sa mutation en véritable juridiction inspirée, sinon soumise, aux exigences du procès équitable défendues par la Cour européenne des droits de l’homme.

Le dossier élaboré par la revue Pouvoirs permet au lecteur de saisir tant les mécanismes que les enjeux attachés à la question prioritaire de constitutionnalité. Cependant, on peut d’ores et déjà s’interroger   , sur le futur même du mécanisme de la QPC, et notamment du filtrage mis en place, au regard des évolutions actuelles du droit constitutionnel. En effet, celles-ci tendent tout d’abord vers une internationalisation croissante et une complexification des différentes normes applicables notamment en raison de leur prolifération. Ensuite, on assiste à un mouvement visant à une participation de plus en plus importante des citoyens à l’élaboration de la norme jusqu’à interroger la notion même de Constitution telle qu’elle est entendue aujourd’hui.

Quoique tous les articles de la revue ne soient pas accessibles à des non juristes, on saluera néanmoins la volonté de porter à la connaissance du plus grand nombre ce nouveau droit à disposition des justiciables, en espérant qu’il remplira les espoirs placés en lui