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Un rapide tour d’horizon des textes, agences, directions parus et apparues depuis 2005 pourrait laisser croire que la cohésion sociale a été au cœur des préoccupations gouvernementales. Elle est en effet devenue la nouvelle "référence obligée" de tout package politique. Phénomène qui traduit la justesse, non du diagnostic de la situation sociale, mais de l’analyse des préoccupations sociales faite par la droite, qu’il s’agisse de la lutte contre la "fracture sociale" en 1995 ou de la campagne du candidat Sarkozy en 2007 axée autour du "pouvoir d’achat". Mais sous le vernis des effets d’annonce la réalité est bien différente. Les politiques conduites depuis bientôt sept ans ont contribué au délitement progressif du lien social et à la dégradation de la situation des plus précaires.

Les quatre propositions que nous faisons ici afin de contribuer à la mise en place d’un Etat social actif garant de la cohésion sociale ont pour fondement un constat : il n’y a pas de cohésion sociale sans accès de tous à un habitat digne, sans possibilité offerte à chacun d’avoir accès à un travail suffisamment rémunérateur, sans large diffusion de la connaissance et sans égalité réelle des chances.


Un diagnostic : des politiques qui contribuent à la dégradation de la situation des plus précaires

De même que la fracture sociale ne s’est pas résorbée sous Chirac ou que le pouvoir d’achat des plus modestes n’a pas augmenté depuis 2007, la cohésion sociale n’a pas été protégée mais a été au contraire mise à mal depuis 2005. D’où vient ce décalage entre annonces et réalité ?

Premièrement, il n’y a pas de politique en faveur de la cohésion sociale qui ne soit globale, c’est-à-dire qui n’intègre, aux côtés des actions menées en faveur de la réhabilitation urbaine, de la promotion de la diversité ou de la préservation du système de protection sociale, un volet redistributif, et donc un volet fiscal. Or des gouvernements qui ont fait entre 2006 et 2011 du bouclier fiscal le principal instrument de leur action peuvent difficilement prétendre avoir fait dans le même mouvement de la cohésion sociale leur priorité.

Deuxièmement, la cohésion sociale doit se penser et se défendre non seulement à l’intérieur des générations, mais également entre les générations. Or la droite a aggravé la situation d’une jeunesse sacrifiée, première victime de la grande braderie de l’éducation nationale puis variable d’ajustement du marché du travail, tout en opposant de manière systématique les différentes générations lors du débat sur les retraites comme lors de ceux sur la dette et le déficit publics.

Troisièmement, la droite a fait le choix de se focaliser de manière excessive ces trente dernières années et quasi-exclusives ces cinq dernières années sur la défense des protections civiles au détriment des protections sociales, contribuant ainsi à la détérioration progressive d’un tissu social déjà fragilisé par, pour citer Castel, la "nouvelle insécurité sociale". Et les politiques conduites au nom de la cohésion sociale ont contribué à la dégradation de la situation des plus précaires :

-    l’absence dramatique de moyens accordés à Pôle Emploi – un fonctionnaire pour plus de 100 demandeurs d’emploi contre un pour vingt au Danemark – se traduit par des dysfonctionnements récurrents et une insatisfaction grandissante : un demandeur d’emploi sur trois considère que son conseiller n’a pas le temps de s’occuper de lui et que les propositions qui lui sont faites ne correspondent ni à ses qualifications, ni à son projet professionnel.

-    la politique du logement a pris la forme d’un détricotage progressif des obligations de la loi SRU du 13 décembre 2000 : les incitations initialement posées par ce texte ont été successivement affaiblies par le plan de cohésion sociale du 30 juin 2004 puis par les lois portant engagement national pour le logement du 13 juillet 2006 et de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion du 25 mars 2009. Comme l’a montré en 2010 le CREDOC, "jamais les Français n’ont ressenti autant de difficultés liées au logement". Le manque de logement est estimé à 900 000 et 3,5 millions de personnes sont privées d’un logement digne en France.

-    plusieurs outils structurants de la politique de la ville et de l’intégration ont été démantelés, à l’image de la DIV et du FASILD en 2006, au moment où le gouvernement communiquait sur la création de l’Agence pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé).


Quatre propositions pour refonder un Etat social actif

1ère proposition : compléter le système de protection sociale existant par un investissement massif dans le capital humain
   
Les logiques de marchandisation et du donnant-donnant mettent chaque jour plus à mal la cohésion sociale en rendant chacun responsable de ses difficultés, alors même qu’il faut agir, comme proposé par Castel, en termes de redéploiement des droits en fonction des différentes fragmentations de la société.

Nous proposons donc de compléter le système de protection social existant par un investissement massif dans le capital humain à deux niveaux, la petite enfance et l’éducation tout au long de vie, afin d’une part de combattre le plus en amont possible les sources d’inégalités et, d’autre part, de réduire la précarité salariale en faisant de la formation une réponse aux parcours professionnels discontinus. Cet investissement massif doit permettre :

-    dès lors que les parents en font la demande et que leurs ressources sont inférieures aux plafonds d’obtention de l’allocation rentrée scolaire, l’accueil obligatoire dès 2 ans des enfants dans les écoles maternelles,

-    la création d’une "allocation formation continue professionnelle", à destination des chômeurs non indemnisés, permettant d’accumuler des droits à la retraite.

2e proposition : faire de la construction de logements sociaux la première priorité de la politique du logement

La politique du logement doit se fixer comme première priorité la construction de logements sociaux. Deux instruments devront être mobilisés au service de cette politique :

-    l’Etat doit utiliser son droit de préemption urbain dès lors que les collectivités locales ne respectent pas la lettre et l’esprit de l’article 55 de la loi SRU, qui leur fait obligation de disposer d’au moins 20% de logements sociaux ;

-    les dispositifs d’aide aux investisseurs privés, et en premier lieu l’amortissement Scellier, aujourd’hui socialement injustes et économiquement inefficaces, doivent être conditionnés par des contreparties sociales.

3e proposition : apporter une solution au phénomène des travailleurs pauvres

La politique de lutte contre la pauvreté ne devra plus seulement penser la pauvreté en termes absolus, mais également en termes de lien social et de statut, ce qui implique un changement radical à la fois dans les actes et dans les mots par rapport à la politique conduite actuellement :

-   en finir avec le discours de culpabilisation des pauvres, instrument électoraliste démagogique fragilisant le lien social,

-   mettre en œuvre une politique active de l’emploi : le conditionnement des indemnités et des allocations et les incitations contraignantes à trouver un emploi n’ont de sens que si elles accompagnent un traitement véritablement individualisé des chômeurs, ce qui nécessite de multiplier dans un premier temps par deux le nombre d’agents de Pôle Emploi (passer de 45 à 90 000 ETP), et de proposer des formations longues donnant réellement accès à l’emploi,

-   repenser le revenu de solidarité active qui sous sa forme actuelle pose les jalons de la création d’un sous-salariat chronique, durablement installé dans la pauvreté, un travailleur pouvant se retrouver indéfiniment soutenu par ce revenu complémentaire.

4e proposition : ouvrir le débat sur l’égalité des revenus et des conditions de vie

Il s’agira enfin de conduire une politique de l’égalité des revenus et des conditions de vie, en agissant à la fois sur les salaires, la fiscalité et la pauvreté. Il est urgent aujourd’hui d’organiser un grand débat national sur le partage de la valeur ajoutée entre profits et salaires et la mise en place d’une politique salariale combinant augmentation du salaire minimum et encadrement des plus hauts revenus.

En effet, dans une société où les écarts entre positions sociales s’accroissent, l’égalité des chances restera une illusion, que ne suffiront jamais à transformer en réalité les quelques portraits d’enfants des classes populaires ayant réussi à se hisser en haut de l’échelle sociale.

La puissance publique est le seul garant possible de la sécurité globale et de la cohésion de la société, le seul acteur à même de promouvoir l’égalité et la solidarité, de préserver les chances des générations futures et le futur des générations actuelles