Dans sa dernière édition, "Up in the air" ("Election en suspens" : la couverture montre les candidats comme les figures d’un jeu de carte, John Mc Cain en roi de pique, Hillary Clinton en dame de carreau et Barack Obama en valet de cœur – on peut d’ailleurs s’interroger sur le choix d’une telle présentation quand on connaît les événements auxquels renvoie la thématique du jeu de cartes dans l’histoire récente américaine), l’hebdomadaire The Economist revient sur les conclusions que tirent les européens des primaires américaines de l’Iowa et du New Hampshire. Il publie également un stupéfiant sondage où l’on apprend que les électeurs Républicains sont bien plus confiants quant à l’avenir de leur pays que les Démocrates : à la question “L’Amérique est-elle toujours la terre des possibles?”, 90% des Républicains répondent oui – dans l’autre camp, les réponses affirmatives atteignent 20 points de moins. Quand un peu moins de 70% des Démocrates pensent que les années de gloire des Etats-Unis sont terminées, seulement une toute petite moitié de Républicains est d’accord. Dernier résultat très instructif : 20% des Démocrates pensent que leurs enfants bénéficieront d’une meilleure situation – c’est le double chez les partisans de Mike Huckabee, Mitt Romney, John McCain… pour l’instant, les résultats de Rudolph Giuliani ne justifient pas vraiment de l’ajouter à la liste… nous verrons en Floride (29 janvier), comme il l’a dit.


Un concours de beauté

Mais revenons à l’Europe. Pour The Economist, la majorité des européens sont plutôt agréablement surpris par ce qu’ils découvrent d’une Amérique dont ils restent toujours un peu méfiants (la French-American Foundation – France soulignait dans son excellente étude de mai 2007 que 69% des français   expriment indifférence ou antipathie à l’égard des Etats-Unis, quand 49% des américains interrogés disent avoir le même sentiment pour l’Europe), mais il faut souligner que les progrès dans les primaires d’une femme et d’un candidat noire (« marié à une Noire », ce qui ferait entrer « une famille noire à la Maison Blanche », comme le rappelle Libération) séduit plutôt les européens, qui, de toute façon, ont plus tendance à suivre les Démocrates que les Républicains, biais idéologique oblige. Si, dans dix ans, un Barack Obama passé deux fois par la Maison Blanche vient amuser la galerie au Conseil National de l’UMP, il sera encore temps de se raviser ! Pour l’heure, on affiche sur le Vieux Continent une certaine satisfaction devant cette machine électorale qui s’emballe, et qui attire beaucoup d’électeurs, avec l’idée que les "années Bush, 43ème président des Etats-Unis", sont à oublier et à faire oublier avec une belle présidence toute neuve. C’est justement ce que critique le Süddeutsche Zeitung : ce journal allemand insiste sur les dérives de la compétition de l’Iowa et du New Hampshire, une campagne dans laquelle on joue tout sur l’émotion, les sentiments, rien sur le fond – bref, un concours de beauté (à l’heure actuelle, Hillary Clinton n’a pas encore fait savoir si elle considérait cette déclaration comme une attaque sexiste…).


Comment leur en vouloir ?

Pour quasiment tous les pays d’Europe, il s’agit donc en quelque sorte de "tester" l’Amérique, de voir comment elle parvient à sortir de huit années de bushisme. En effet, selon l’hebdomadaire, ce côté de l’Atlantique est certes marqué par les jeux électoraux, mais surtout attentif aux enjeux historiques de l’élection – insistons sur le fait qu’il s’agit de conséquences historiques, et non politiques. Nous voulons savoir si le prochain président des Etats-Unis saura faire coexister, et pourquoi pas dialoguer, Europe et Amérique. Nous voulons, après le symbole de la Christian Right dans le bureau ovale (celui où sont prises les décisions d’intervention armées), celui d’une "minorité" dans le jardin de la Maison Blanche (celui où l’on se préoccupe de développement durable). Les enjeux politiques, programmatiques, sont moins prégnant pour les européens, note le journal. Son explication ? Les changements de cap que représenterait l’élection d’Hillary Clinton ou de Barack Obama sont tellement important que les différences entre les deux prétendants finissent par ne plus importer. C’est un diagnostic un peu facile, est surtout très optimiste. Il faut dire évidemment que les européens sont d’autant moins sensibles aux différences entre les candidats Démocrates qu’ils ne vivront les conséquences de l’élection, faut-il le rappeler, de manière très indirecte. Ainsi, la politique américaine n’est pas uniquement une politique étrangère, et on peut penser que les vues de Clinton et d’Obama sur les politiques d’immigration ou de fiscalité ne sont pas au centre des préoccupations des européens. Rien d’étonnant, alors, à ce qu’ils accordent peu d’importance au distinguo entre les Démocrates. Mais là n’est pas l’essentiel. Si les européens n’expriment pas de véritable préférence entre Obama et Clinton sur les questions programmatiques, c’est bien sûr qu’ils ne connaissent pas leur propositions ! Et comment leur en vouloir, eux qui doivent déjà suivre les orientations de leurs gouvernements et présidents, qui, selon les pays, sont plus ou moins erratiques ? Comment leur en vouloir, quand, de France, pour ne prendre que cet exemple, les échos de la primaire Démocrate se limitent à une dichotomie absolue : le changement prouvé par l’expérience face au changement de "l’audace d’espérer"? Il faut dire que, même aux Etats-Unis, il est bien difficile de dépasser ce discours.

La conclusion de l’article ? Peu importe l’identité du prochain président américain – il exercera de toute façon ses fonctions avec en tête la promotion des intérêts américains, ce qui, selon The Economist, incitera bien des européens à ravaler leur enthousiasme. Qui pense qu’un président américain peut être aimé en Europe est tout simplement naïf.

On a bien vite oublié Kennedy.


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Crédit photo : Samuel Rönnqvist/flickr.