Pour Ziyad Clot, il est désormais impossible qu’un Etat Palestinien voie le jour. Explications et critiques.

Le conflit israélo-palestinien trouvera-t-il une issue par la négociation ? Les points de vue des deux camps sont-ils conciliables ? Leurs leaders assez forts pour amener leurs peuples à accepter la création de deux Etats, condition sine qua non de la fin du conflit ? En ont-ils seulement la volonté ? De plus en plus d’analystes répondent par la négative   . Et l'on ne peut pas dire que le livre de Zyiad Clot leur donne tort.

Français de mère palestinienne, l’auteur a fait partie, entre 2008 et 2009, de la Negotiations Support Unit de l’Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP) en qualité de conseiller juridique sur la question des réfugiés. Il a donc directement participé aux négociations entre l’Autorité Palestinienne (AP) et Israël, et son témoignage vient confirmer deux impressions largement partagées

La première, c’est l’absurdité de l’occupation que Zyiad Clot souligne en racontant son quotidien à Ramallah : côté palestinien, avec les attentes interminables aux checkpoints (censés assurer la sécurité des habitants des implantations qui demeurent quasiment invisibles puisqu’ils évoluent dans un monde quasi-parallèle), la paralysie économique, les drames humains que l’occupation engendre et, inévitablement, la rage qu’elle suscite. Côté israélien également, avec la gestion militaire de la vie d’un million et demi de personnes et la banalisation des humiliations, volontaires ou non, infligées quotidiennement par des jeunes adultes qui, parfois, comprennent à peine ce qu’ils font là. Toutes les enquêtes d’opinion montrent qu’une immense majorité des israéliens savent la situation instable et reconnaissent le droit des Palestiniens à disposer de leur Etat.

 

Des négociations inutiles

La seconde, c’est qu’une conclusion s’impose : il ne sortira vraisemblablement rien des différentes séances de négociations. D’une part parce que, compte tenu de la désorganisation et des luttes de pouvoirs au sein de l’Autorité Palestinienne, ce qui est négocié ici peut l’être en sens inverse dans la pièce d’à côté. D’autre part, parce que le gouvernement israélien, croyant avoir mis son peuple définitivement à l’abri du terrorisme grâce à la barrière de sécurité, ne cherche pas à aboutir à un accord mais uniquement à gagner du temps pour poursuivre l’expansion des implantations. Stratégie de ''processus sans paix'' exposée dès mai 2009 par le Premier ministre israélien dans son discours à l'université Bar-Ilan : des feuilles de route à demi respectées (des deux cotés), un gel jamais complet de l'extension des implantations, des dates-butoirs éternellement repoussées, des conditions préalables tantôt exigées (que les Palestiniens reconnaissent le caractère juif d'Israël), tantôt rejetées (les Palestiniens exigeant l'arrêt des implantations pour revenir à la table des négociations). S’il accepte bien le principe de la création d’un Etat palestinien ("A chacun son drapeau, à chacun son hymne''), les limites qu’il y pose sont clairement inacceptables pour les Palestiniens, notamment en ce qui concerne l’absence de continuité territoriale et la présence militaire israélienne dans la vallée du Jourdain   . Deux après, rien n’a d’ailleurs changé, comme en témoigne le discours, vite qualifié de ''Bar-Ilan 2'', prononcé fin mai 2011 devant le Congrès américain.

Au final, les rencontres au sommet qui se succèdent ne semblent plus relever que de la mise en scène. Exactement ce que les extrémistes, Hamas en tête, ont toujours clamé depuis Oslo : seule la lutte armée permet de faire avancer la cause palestinienne ! D’où l’affirmation de Zyiad Clot : il n’y aura pas d’Etat Palestinien. Mais, contrairement à ce qu’on pourrait croire, cela n’est pas pour lui déplaire.

Dès son propos liminaire intitulé ''note de l’auteur'', un indice : ''Parmi tant d’autres choses, j’ai découvert la maison de mes grands-parents, à Haïfa. Ma maison.''   Ce possessif est une clé : pour Zyiad Clot, le droit au retour des réfugiés ne saurait être négocié et chaque Palestinien doit pouvoir choisir individuellement la façon de l’exercer. Qu’on en juge : ''c’est Sari Nusseibeh qui a auguré il y a quelques années avec son homologue israélien Ami Ayalon cette sombre perspective visant à lâcher le droit au retour des réfugiés en échange de l’établissement d’une Palestine avec Jérusalem est comme capitale.''   . Pour mémoire, Sari Nusseibeh et Ami Ayalon sont à l’origine des Accords de Genève, le document de référence des modérés des deux camps. Encore Ziyad Clot juge-t-il utile de préciser que ''après près de 20 ans de négociations, […] le nombre de réfugiés n’est pas de l’ordre de 4,5 millions comme Mahmoud Abbas le déclare dans Haaretz mais plutôt de 7 millions''   .Comme pour rendre encore plus compliqué le règlement de la question des réfugiés, il juge utile de retenir l’estimation maximaliste du nombre de réfugiés palestiniens, dont une large part enfants et petits enfants de réfugiés nés hors du territoire actuel d’Israël.

 

Droit au retour des réfugiés : une pierre d'achoppement insurmontable ?

Certes, cette vision du droit des réfugiés et de son champ d’application n’est a priori pas infondée au regard du droit international. Elle est également parfaitement compréhensible du point de vue ''émotionnel''. Mais comment demander que soit appliquées à la lettre des résolutions prises il y a 60 ans et refusées à l'époque par ceux-là même qui aujourd'hui s'en réclament ? Cette prétention équivaudrait à refuser de facto, purement et simplement, la solutions à deux Etats. De surcroît, un connaisseur doublé d’un praticien du conflit israélo-palestinien de la trempe de Ziyad Clot ne peut ignorer qu’aucun gouvernement israélien n’acceptera jamais cette perspective, qui sonnerait tout simplement la fin du projet sioniste : la création d’un foyer national juif, c'est-à-dire d’un Etat démocratique dans lequel le peuple juif serait majoritaire, condition indispensable à l’exercice de son droit à l’autodétermination. Or, le ''retour'' de plusieurs millions de réfugiés palestiniens en Israël y ferait des juifs une minorité.

D’où l’idée d’''Israeltine'', l’Etat binational dont Ziyad Clot juge la création non seulement inévitable, compte tenu du blocage des négociations et de l’inexorable grignotage du territoire cisjordanien par les implantations israéliennes, mais surtout souhaitable, puisque les réfugiés auraient alors la possibilité d’exercer facilement et complètement leur droit au retour. Pour donner du poids à sa proposition, l’auteur appelle à la rescousse Sari Nusseibeh, comme si ce dernier avait changé d’avis : ''Nusseibeh pense que la solution à 2 Etats a vécu. […] Les palestiniens vont devoir envisager à nouveau l’idée d’un seul Etat pour tous et combattre pacifiquement pour une égalité des droits au sein de cet Etat.''   En réalité, Sari Nusseibeh sait parfaitement que l’Etat binational, dans l’hypothèse hautement improbable où les Israéliens l’accepteraient ou y seraient contraints, déboucherait inévitablement sur une guerre civile. En effet, comment espérer que des populations qui se déchirent depuis plus de 100 ans cohabitent harmonieusement du jour au lendemain au sein du même Etat ?

C’est pourquoi, Sari Nusseibeh n’a jamais préconisé la solution binationale : il ne fait que suggérer aux Palestiniens d’en agiter le spectre pour forcer les Israéliens à négocier ! D’ailleurs, hormis des groupes ultra-minoritaires en Israël, les seuls à réclamer sérieusement l’instauration d’un Etat binational sont le Hamas, le Président Ahmadinejad et le Colonel Mouammar Kadhafi. Ils n’ont pas renoncé à détruire Israël mais savent qu’il est impossible d’y parvenir par la force. Ils prônent donc l’organisation d’un référendum, auquel seraient conviés les Israéliens et tous les Palestiniens. Les derniers étant presque deux fois plus nombreux, il s’agirait ni plus ni moins que d’une destruction pacifique d’Israël parée qui plus est des oripeaux de la démocratie.

Consciemment ou non, Ziyad Clot fait le jeu du premier en détournant les arguments du second, dans une posture probablement sincère mais assez peu éthique : il ne devrait pas méconnaître les dangers dont la solution qu’il propose est lourde. Les représentants des Palestiniens, qui semblent sur le point d’obtenir de l’Assemblée Générale de l’ONU la reconnaissance d’un Etat Palestinien en ce mois de septembre ne s’y sont heureusement pas trompés

 

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