Un livre qui propose un panorama des théories actuelles sur l'origine de l'Univers, tout en détruisant les idées préconçues qui s'avancent trop systématiquement lorsqu'est abordée la question du commencement.

Etienne Klein, chercheur au CEA, arbore un parcours de physicien théoricien et philosophe des sciences, et s'est penché à maintes occasions sur les questions de philosophie relatives à la mécanique quantique ainsi qu'à la cosmologie. Son goût pour la poésie et les traits d'esprit en tous genres se remarque dans son écriture, qui sait se fait très pédagogique lorsqu'il s'agit de parler des théories physiques, et à la fois légère et amusante lors des passages plus narratifs. Il nous propose avec ce livre une petite histoire de l'Univers, ainsi qu'une discussion très éclairée et des plus intéressantes sur la manière dont il faut concevoir et parler de son origine, le désormais très célèbre big bang.

S'il est une question qui tourmente et passionne depuis littéralement la nuit des temps, c'est bien celle de l'origine, de la chose ou cause première qui engendra et donna naissance à l'Univers. Les premiers récits cosmogoniques variaient énormément d'une civilisation à une autre, mais prenaient en général la forme de mythes invoquant l'intervention de forces surnaturelles, de guerres ou accouplements entre divinités, pour expliquer la création de l'Univers à partir d'un substratum informe et fertile. Différentes idées d'Univers virent ainsi le jour, différentes conceptions du monde, appuyées sur des croyances et des idéologies religieuses. Au fil du temps, ces idées évoluèrent en se détachant progressivement de la pensée mythique et en se nourrissant d'observations scientifiques, pour finalement faire germer dans l'esprit de penseurs tels que Aristote ou Ptolémée (et bien d'autres !) des modèle d'Univers au sens plus mathématique du terme, c'est-à-dire censés correspondre à la réalité physique et matérielle du monde. Ce n'est en fait que très récemment, au XXe siècle, qu'il fut réalisé avec les développements de la cosmologie que l'Univers en tant que tel est un possible objet de science   , qu'il est intelligible à travers le langage physique et mathématique, que l'on peut le caractériser par des grandeurs mesurables, et extraire expérimentalement des informations sur son évolution, sa taille, son expansion, et même son âge. L'histoire qui est en partie racontée dans ce livre, c'est avant tout la succession des révolutions qui ont conduit à réaliser que l'Univers n'a peut-être pas existé depuis toujours, et qu'il est en fait âgé d'environ 13,7 milliards d'années. Nous concevons que si l'Univers a un âge fini, c'est qu'il est issu d'une naissance cosmique, qu'il a sans doute une origine que nous pouvons assimiler à un instant zéro (malheureusement devenu trop célèbre   avant lequel il n'y a rien, et après lequel il y a tout. Les physiciens parlent en fait du big bang, qui serait une sorte d'explosion cosmique, et dont Etienne Klein explique les tenant et les aboutissants dans le langage le plus simple.

Mais pourquoi réécrire un énième discours sur l'origine de l'Univers, conter une fois de plus la désormais si célèbre aventure scientifique qui conduisit Einstein, Lemaître, Hubble et leurs collaborateurs à établir les fondements de la cosmologie ? Etienne Klein tient sa légitimité du fait qu'il soit à la fois bon physicien et bon philosophe, et qu'il sache clairement ou se trouve la limite entre ces deux disciplines, qui de toute évidence n'abordent pas la question de l'origine de l'Univers de la même manière. L'originalité de ce livre est d'expliquer la différence entre la conception physique de la théorie du big bang, et les questions et images philosophiques qui viennent se coller par dessus. Qu'entendons-nous par origine ? Il est important de distinguer les questions qui relèvent de la physique, que l'on peut poser clairement et auxquelles on peut essayer de répondre grâce à l'expérience, et les questions non physiques, qui sont mal posées, et qui de fait relèvent plus de la métaphysique que de la science pure. Le big bang est un sujet dont on entend beaucoup parler, qui a été vulgarisé à l'extrême, et il est très intéressant de prendre le temps de s'arrêter pour essayer de comprendre les choses, identifier les difficultés et formuler proprement les questions auxquelles nous essayons de répondre. En parlant du big bang (et c'est le cas plus haut dans le texte !), il est facile de dériver sur des descriptions qui relèvent plus de l'image mentale que de la réalité physique, et d'invoquer à tort et à travers des vues de l'esprit qui induisent en erreur celui ou celle qui chercherait à comprendre ce qui se cache réellement derrière cette théorie de l'origine de l'Univers.

Ce livre est à mettre entre toutes les mains, il s'adresse à un public très vaste, comprenant aussi bien scientifiques et philosophes aguerris que néophytes. En extrapolant un peu, la question qui y est abordée est vraiment celle du langage avec lequel on communique et l'on vulgarise la science, et tout particulièrement un sujet comme la cosmologie de l'Univers naissant. La question du commencement de l'Univers est une thématique de recherche fondamentale pour plusieurs communautés (j'en vois essentiellement trois) : celle des scientifiques, celle des philosophes, et enfin celle des théologiens. Prise individuellement, une communauté dispose d'un langage, d'une méthodologie, et d'outils spécifiques à la démarche adoptée pour construire un corpus de connaissances sur la question de l'origine de l'Univers. Ainsi, lorsque l'on étudie la naissance de l'Univers du point de vue d'un physicien théoricien, on s'appuie sur un certain nombre de théories qui décrivent l'Univers tel que nous le connaissons actuellement (c'est le cas de la relativité générale d'Einstein, qui décrit la gravitation), et l'on essaye d'établir des modèles et des hypothèses pour décrire ce qu'il a pu être il y a environ 13,7 milliards d'années. On confronte ensuite ces modèles à la myriade de données que nous collectons chaque jour à l'aide, entre autres, des télescopes (terrestres, ou embarqués dans l'espace), afin de les valider ou de les infirmer. Ce qu'il faut bien assimiler, et c'est ce qu'explique habilement Etienne Klein, c'est que le statut de l'origine de l'Univers du point de vue de la physique est tout à fait clair. Le big bang est un modèle d'évolution de l'Univers, qui invoque une succession de processus physiques depuis sa naissance jusqu'à l'instant présent, et qui est supporté par une quantité phénoménale d'observations. Le big bang ne fait aucunement référence à un instant zéro, à un commencement précis dans le temps ou même dans l'espace, comme on l'entend souvent dire par la métaphore délirante qui voudrait que l'Univers tout entier soit comprimé dans une tête d'épingle. C'est à l'interface entre les différents regards que l'on porte sur une seule et même question que naissent des contresens et des chevauchements épistémologiques. Il y a d'une part les questions philosophiques, et d'autre part les questions physique, et il faut user de prudence si l'on se risque à essayer de concilier ces deux mondes, qui présentent une complémentarité subtile.

Un autre sujet passionnant qui est abordé dans le livre est celui des théories visant à décrire l'état de l'Univers avant le big bang. En effet, il est expliqué que ce dernier est un modèle d'évolution de l'Univers dont les équations fondamentales cessent tout simplement de fonctionner si on tente de les utiliser pour décrire sa naissance. En réalité, il faut se rendre compte du fait que les théories physiques et leurs lots d'équations sont toujours munies d'un certain domaine de validité et d'applicabilité. Il se trouve que la théorie du big bang est à l'heure actuelle tout simplement incapable de dire quoi que ce soit sur l'Univers dans l'instant qui suit immédiatement sa naissance (encore faudrait-il définir ce que l'on entend ici par naissance). C'est bien pour cela que l'auteur nous explique qu'il faut prendre des précautions si l'on veut parler de l'origine de l'Univers, car s'il est toujours possible de poser des questions au caractère philosophique ou théologique et tenter d'apporter des éléments de réponse, la vraie interprétation physique de ce qu'a été le début de l'Univers reste inaccessible, tout simplement faute de théorie permettant de décrire les événements. Bien entendu, cette question est au centre des thématiques de recherche contemporaines, et un chapitre du livre établit le portrait, certes un peu rapide, mais tout de même passionnant, des théories les plus sérieuses et les plus avancées dans le domaine (tout le monde a du entendre parler au moins de la théorie des cordes, sinon même de la gravité quantique). Et ici encore, si parfois les chercheurs ont tendance à s'exprimer trop rapidement, et à parler de théorie du tout, d'une théorie physique ultime histoire de vulgariser le message plus simplement, Etienne Klein explique pourquoi il ne faut pas aller trop vite en besogne, et se laisser aller aux simplifications qui privilégient la force et la beauté de l'image au sens physique.

Pour résumer, il s'agit d'un récit très intéressant sur l'origine de l'Univers, qui s'applique tout particulièrement à distinguer les différents aspects physiques et philosophiques d'une question très délicate qui possède une infinité de ramifications et de d'embranchements et pour laquelle, n'en déplaise à certains, la réponse est bien loin d'être écrite sur un tableau noir.