* Suite à la publication par nonfiction.fr d’une lettre ouverte cosignée par diverses sections universitaires du PS, Guillaume Tronchet, secrétaire de la section PS de la Sorbonne, revient sur les divergences et les points de convergences des projets socialiste et communiste pour l’Enseignement supérieur et la Recherche.


À l’approche de la fête de l’Humanité, le Parti communiste vient de publier les grands principes de son programme pour l’enseignement supérieur et la recherche, en annonçant qu’il en présentera tous les détails d’ici à quelques semaines. Le document – c’est de bonne guerre – tape comme il faut sur le PS et son programme, tel qu’il a été présenté le 18 mai dernier, lors du Forum des idées Recherche et Enseignement supérieur. Au-delà des critiques inusables – et attendues – du PCF sur les socialistes et leur "vision hégémonique du gouvernement", que peut-on en retenir ?

D’abord, une remarque de pure forme : nos partenaires du PCF possèdent, eux aussi, des sections universitaires, telle que celle d’Orsay, présente dans la Fédération communiste de l’Essonne. Cette présence militante en terrain professionnel – nous n’avons de cesse de le dire avec les sections socialistes universitaires – est trop peu développée au PS. C’est qu’on n’en mesure pas assez toute la portée politique et intellectuelle : être présent, tout au long de l’année, par des structures militantes pérennes non-territoriales, au cœur du monde social, permettrait d’en saisir les préoccupations à temps (et non systématiquement à contretemps, en plaçant le PS à la remorque du mouvement social), d’en mobiliser plus facilement les acteurs en période électorale (sans s’entendre dire, et à raison, sous forme de reproche : "mais où étiez-vous quand… ?"), et de faire éclore, grâce aux savoirs spécialisés des militants de ces sections professionnelles, des idées nouvelles au sein même du parti, et non plus en dehors, à l’inverse de la situation actuelle où toute une nébuleuse de clubs aux sensibilités diverses et aux influences concurrentes voire contradictoires gravite autour du PS. La ligne du PS y gagnerait en lisibilité et le parti lui-même éviterait par-là de perdre son temps et son énergie à se démarquer des propositions de tel ou tel club auquel l’opinion publique l’associe trop communément, comme il a dû le faire encore récemment sur la question des droits d’inscription à l’entrée des universités en écho aux propositions du think thank Terra Nova.

Et c’est précisément ce manque de lisibilité que le PCF reproche au projet Enseignement supérieur et Recherche du PS. "La question, écrit-on place du colonel Fabien, est de savoir au plan politique quel principe doit prévaloir : la compétition ou la coopération ? [...] [Or], si le PS considère à présent que la coopération a des vertus, ce n’est pas pour lui le principe majeur", tant son projet demeure emprunt "d’ambiguïtés" et de "contradictions structurantes non affrontées, non déclarées".

La charge est rude. D’autant qu’elle vise juste, en révélant ce secret de polichinelle qu’est la situation d’entre-deux idéologique dans laquelle le PS paraît enlisé depuis plusieurs années. Il a d’ailleurs fallu au secrétariat national à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, tout au long de l’élaboration du programme, des trésors de diplomatie pour concilier des courants contraires au sein du PS. Le texte final n’en est pas sorti indemne, provoquant quelques déceptions au sein de la gauche universitaire.

Le PCF a donc tout à fait raison de pointer – et il le fait en détail – ces faiblesses. Sa logique de la critique systématique, toutefois, vise parfois à côté et n’est pas non plus exempte de contradictions.

Pourquoi, par exemple, reprocher au PS de vouloir organiser, à son arrivée au pouvoir, des Assises de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ? "N’y a-t-il pas lieu, écrivent nos camarades communistes, avant que de réunir une énième fois des États généraux propositionnels et aux contours bien balisés que le PS affectionne, de faire un bilan réel, une évaluation sans concession, des dégâts commis sous le quinquennat Sarkozy et de prévoir un plan d’urgence pour les réparer ?" Étonnante remarque. Si le programme du PS prévoit des Assises, c’est justement pour permettre une "remise à plat de l’ensemble des textes contestés depuis plusieurs années de gouvernement de droite" et pour préparer une "loi de programmation pour l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation" destinée à revenir sur la LRU (p. 6). Démarche pertinente. Le monde des universités et de la recherche a suffisamment souffert des réformes menées à la baïonnette par l’UMP pour ne pas avoir à redouter du retour de la gauche au pouvoir une nouvelle table-rase lancée sans concertation ni négociation avec les partenaires sociaux.

Notons d’ailleurs, sur ce point, que le PCF se contredit lui-même à son tour puisqu’il propose, dans le cadre de ses mesures pour "agir tout de suite", la mise en œuvre d’une "évaluation collective" qui "rassemblera les organisations syndicales de travailleurs scientifiques, y inclus celles des BIATOSS, les Conseils d’Universités et d’IUT, le Comité national du CNRS et plus généralement toute instance démocratique pouvant y contribuer", notamment sous la forme "d’assemblées de personnels [qui] se tiendront partout et feront des propositions", le tout devant déboucher "dans les six mois" sur un "rapport aux exigences duquel le gouvernement sera tenu de répondre". Voilà qui ressemble à s’y méprendre – sans en porter le nom – aux Assises et à la loi de programmation proposées par le PS. Quant à supposer, comme le fait le PCF, que ces Assises ne seront pas contraignantes et qu’une fois la "grand-messe" passée, le "champ libre" sera laissé par le PS aux "contre-réformes" de la droite, c’est intenter sans preuve un procès en machiavélisme que l’on pourrait fort bien monter à front renversé. Le PS, rappelons-le, a voté contre la LRU en 2007.

Plusieurs autres critiques sont tout autant injustifiées. Ainsi de celle sur les jeunes chercheurs. Présenter la démarche du PS comme boiteuse parce qu’il "demande la reconnaissance prioritaire dans les grilles de la fonction publique" du titre de docteur "au lieu d’exiger immédiatement la reconnaissance du titre dans les conventions collectives" n’est pas sérieux. Il est dit clairement, dans le programme du PS, que "la reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives doit être enfin mise en œuvre" et que "nous conditionnerons certaines aides de l’État à l’embauche de docteurs" (p. 13). Et s’il a été choisi de placer la reconnaissance dans les grilles de la fonction publique en premier (soit deux lignes plus haut seulement !), c’est pour mieux insister sur la nécessité d’exemplarité de l’État en la matière. Comment le PCF pourrait-il sincèrement y trouver à redire ?

Nul n’est besoin d‘excès pour appeler le PS, à quelques mois de l’élection présidentielle, à plus de cohérence. D’autant que le travail ne s’est pas arrêté le 18 mai, à Toulouse.Bertrand Monthubert a d’ailleurs eu l’occasion de le dire : le texte du forum de Toulouse ne représente qu’une "étape". Étape décisive et malgré tout porteuse, comme le souligne Henri Audier (SLR), d’une "rupture incontestable par rapport à la situation actuelle", dans la mesure où l’autonomie dont le PS souhaite la réalisation, "quoiqu’on puisse penser par ailleurs du manque de précision de certaines propositions, n’a rien à voir avec l’autonomie sarkozienne de la LRU". C’est de là qu’il faut repartir, en tenant compte des remarques des syndicats, des collectifs et de nos partenaires, en soumettant aussi leurs propositions à venir à un examen critique non moins exigeant que le leur, afin de jeter les bases d’un éventuel futur programme commun de gouvernement.

Un autre paramètre, que le PCF oublie dans son analyse, peut d’ailleurs permettre aux socialistes de résoudre rapidement les incertitudes de l’heure : la tenue des primaires et la possibilité, pour le/la candidat(e) qui en sortira vainqueur, d’imprimer sa marque et d’en finir avec les contradictions qui subsistent ici ou là en proposant un projet de société global et cohérent, déclinable dans tous les domaines de l’action publique, à commencer par l’Enseignement supérieur et la Recherche. C’est d’ailleurs pourquoi, le 25 août dernier, les sections et groupes universitaires du PS ont adressé aux candidats aux primaires une lettre ouverte leur demandant de présenter aux Français un projet nettement clivant par rapport aux orientations néolibérales de la droite en matière d’éducation, d’enseignement et de recherche. Gageons qu’ils s’y emploieront. À suivre.

Guillaume Tronchet