Elle a fait la couverture des journaux et la Une des sites internet en venant "défier", selon les dires de son entourage, Claude Guéant à Marseille sur les questions de sécurité. Depuis qu’elle est rentrée de vacances, Martine Aubry reprend la main sur les médias et sur les sujets qui jalonnent toujours l’élection présidentielle. Avec le 21 avril 2002, la gauche est restée malade de l’insécurité. Malade de n’avoir pas su prendre la température de la France. Le PS peine à devenir une réelle force de propositions en la matière, tiraillé entre la peur de verser dans le "tout-sécuritaire" et l’envie de se défaire de cette image de laxisme qui le paralyse. A Marseille, Martine Aubry a critiqué la politique de Nicolas Sarkozy et son inefficacité, chiffres à l’appui. De son côté, Claude Guéant s’est félicité des bons résultats de la politique du gouvernement en matière de sécurité, chiffres à l’appui. Il est facile de faire parler les statistiques, tant elles sont manipulables (en choisissant la période et le sujet précisément étudiés). Il est moins aisé de répondre efficacement au sentiment d’insécurité français, qui n’a jamais réellement faibli depuis 2002.
Sécurité : ce que le PS voudrait faire
Voilà pourquoi le PS, cherchant à retrouver sa légitimité sur la question, a longuement travaillé en amont de la primaire. Le 17 novembre 2010 se tenait le Forum des idées sur la sécurité, qui aboutit à un document de 9 pages intitulé "Pour un pacte national de protection et de sécurité publique". "22 propositions pour apporter les réponses justes et efficaces à la délinquance" ont ainsi été dégagées, qui seront ensuite reprises dans le programme commun du PS, distillées au gré des chapitres. Trois grands axes se dégagent : la prévention, la hausse des effectifs de la gendarmerie et de la police et une réponse proportionnée de la justice. Partant du principe que l’insécurité et la délinquance sont le fruit des inégalités sociales, le Parti socialiste entend faire de la prévention en créant une société plus juste et équitable. Une société dans laquelle les leviers d’action seraient en premier lieu l’école, une révision générale de l’urbanisme des banlieues, et le rétablissement d’une police de proximité. A la lecture des deux documents (celui issu du Forum des idées, et le programme commun), on réalise que c’est surtout une critique systématique de la politique menée par Nicolas Sarkozy, en tant que ministre de l’Intérieur puis comme président de la République, qui a dirigé la rédaction de ces propositions. Il faut "mettre fin à l’accumulation des lois de circonstances", à "l’illusion de l’action", "passer de la politique du chiffre à la culture du résultat".
Si, une fois de plus, la critique envers la politique sarkozyste de sécurité est unanime, des différences de style comme de propositions se font depuis longtemps sentir entre les socialistes. Nous pouvons ainsi aujourd’hui distinguer trois types de candidats : ceux qui font des propositions sécuritaires en vue de gagner la primaire puis l’élection présidentielle (Aubry, Royal, Hollande), ceux qui font des propositions sécuritaires en vue de gagner le ministère de l’Intérieur (Valls et dans une moindre mesure Royal), ceux qui (en ce moment) ne font pas de propositions sécuritaires, peut-être par simple refus de se plier au calendrier thématique de la primaire, sans pour autant être dénué d’idées dans le domaine (Montebourg, Baylet).
Pour la place Beauvau ?
Commençons par Manuel Valls, qui vient tout juste de se déclarer en faveur de "quotas migratoires". Le député-maire d’Evry est un de ceux qui tentent de faire bouger les lignes politiques du PS sur les questions de sécurité, tant et si bien qu’il a acquis une rude réputation chez les socialistes qui frémissent toujours à l’évocation de mesures répressives. Manuel Valls a publié récemment Sécurité, la gauche peut tout changer aux éditions du Moment, un livre-programme en la matière, dans lequel il appelle le PS à devenir "le parti de la sécurité". Le candidat prend ses distances avec le programme du parti, qui prévoit de recréer tous les emplois supprimés dans la police et la gendarmerie par les différents gouvernements de droite depuis 2002 (soit plus de 10 000 emplois). Selon lui, cet objectif est économiquement irréalisable et flirte donc avec la promesse démagogique. Sur la police de proximité, Manuel Valls se montre également très sceptique, proposant des " zones de sécurité prioritaires " qui se verraient assignées davantage de présence policière. Le député-maire milite également en faveur de l’installation la plus large possible de caméras de vidéosurveillance (et non uniquement, comme le prévoit le PS, là où cela serait "utile"), réfutant le terme de "vidéoprotection".
Manuel Valls n’est pas le seul à gauche à proposer des solutions qui innovent, mais également qui dérangent. Ségolène Royal en a fait les frais en 2007 avec une campagne axée sur "l’ordre juste" (terme auquel Manuel Valls avait alors adhéré), militant pour des structures à encadrement militaire pour les jeunes délinquants, et insistant lourdement sur la sécurité des femmes (et notamment des femmes policières, ce qui avait déclenché de nombreuses railleries à droite comme à gauche). Aujourd’hui, la candidate se félicite de voir que ce thème a gagné les autres candidats, qui lui reprochaient alors de marcher sur les platebandes de la droite. Dans son livre, Lettre à tous les résignés et indignés qui veulent des solutions (Plon), Ségolène Royal souligne l’inefficacité et la dangerosité des politiques menées par la droite. Ses positions n’ont guère changé depuis 2007 : elle défend toujours la police de proximité et le réinvestissement du terrain des forces de l’ordre. En cela, la candidate rejoint le programme du Parti socialiste, et table sur une hausse massive des effectifs de police. Elle prend davantage ses distances avec sa proposition, fermement défendue dans son livre, de créer ces fameuses structures à encadrement militaire, les présentant comme une alternative à la prison.
Si les sondages ne donnent ni Valls ni Royal gagnant pour la primaire, il est évident pour le premier, (et l’on peut supposer pour la seconde) que la précocité de leur engagement sur ce sujet ou l’originalité de leurs propositions puissent, un jour, les mener sur le chemin de la place Beauvau.
Pour la présidentielle ?
Martine Aubry et François Hollande cavalent en tête dans la primaire, et plus les sondages les confirment dans leur position de leader, moins ils se mouillent. La petite sortie marseillaise de Martine Aubry n’a trompé personne : l’ex-secrétaire du Parti socialiste n’a jamais fait que fustiger la politique de Nicolas Sarkozy, et "défier" un ministre de l’Intérieur dont la réputation ne s’est guère améliorée depuis sa nomination place Beauvau. Mais il était nécessaire, sans doute, que Martine Aubry s’exprime en public et pour la première fois sur cette question. Qu’en a dit François Hollande ? Vexé, il a rappelé comme il le pouvait dans les médias que lui aussi avait été à Marseille il y a peu, et que puisque Martine Aubry avait "défié le ministre", il n’avait "plus à le faire". L’un et l’autre ne s’éloignent en aucun cas du programme commun du PS, déjà consistant mais peu innovant : le parti ressert de vieilles recettes et distille, avec une efficacité certaine, des termes connotés positivement chez les Français. Que dire du retour promis de la police de proximité ? La mesure est certainement utile en termes de sécurité, et avait su faire ses preuves à la fin des années 90, mais elle est avant tout symbolique : on se souvient tous de Nicolas Sarkozy, après son entrée fracassante au ministère de l’Intérieur, effectuer une première visite dans les banlieues et s’exaspérer de voir des policiers jouer au foot avec des enfants du quartier. La police de proximité a été supprimée peu après. L’image est trop belle pour ne pas l’utiliser, et le Parti socialiste ne prend que peu de risque en soumettant la mesure au vote des Français.
Police de proximité et droit à la sécurité
Le père de la police de proximité, Jean-Pierre Chevènement, ne doit pas se reconnaitre dans ces propositions, puisqu’il envisage de se présenter à l’élection présidentielle. L’ancien ministre de l’Intérieur avait déjà fait les frais d’une politique sécuritaire soumise à de nombreuses critiques au sein du Parti socialiste, jusqu’à ce qu’il qualifie de "sauvageons" les jeunes délinquants. Un terme inacceptable pour le PS qui lui vaudra d’être relégué au rang des néo-réactionnaires de gauche. Tout ne doit pas être à jeter chez Jean-Pierre Chevènement, puisque l’année dernière, le désormais candidat Arnaud Montebourg s’est déclaré proche de l’ancien ministre sur ces questions de sécurité. A sa fête de la Rose à Frangy-en-Bresse, le député avait alors proposé un "pacte de tranquillité publique", permettant d’associer la population à la lutte contre la délinquance. Il avait également fait allusion à cette fameuse police de proximité, en interpellant Brice Hortefeux, alors ministre de l’Intérieur : "Embauchez des policiers éducateurs de rue plutôt que de faire des chèques à madame Bettencourt !". Ce rapprochement entre les deux hommes n’a pas échappé à Marine Le Pen, qui, après avoir déclaré qu’elle pourrait travailler avec Chevènement, aurait ensuite affirmé voter Montebourg au sein du PS…
Comme Arnaud Montebourg, Jean-Michel Baylet ne s’est pas récemment exprimé sur la question de la sécurité, ce qui ne veut pas dire que le programme du PRG soit dénué de propositions en la matière. Commençant par rappeler que le droit à la sécurité est un droit fondamental, le Parti radical conduit une liste de propositions précises, pas tellement éloignées de celles du Parti socialiste (notamment en termes de vidéosurveillance et de prévention). Plus largement sur le plan de la politique intérieure, le PRG consacre une grande partie de son programme à la question pénitentiaire et au droit des immigrés, militant pour une amélioration des conditions de vie en prison, et l’arrêt immédiat des reconductions à la frontière des populations immigrées. Jean-Michel Baylet devrait également défendre l’idée de la suppression du traçage du pass Navigo. Probablement pas dans les médias qui n’accordent que peu de visibilité aux petits candidats
Pour aller plus loin :
Christian Mouhanna, La police contre les citoyens, par Corentin Segalen
Le débat du 5 septembre à la Cité des livres avec Jean-Jacques Urvoas, autour de la sortie de son livre 11 propositions chocs pour rétablir la sécurité