Une biographie qui est aussi une tentative d'analyse du phénomène Barack Obama, premier candidat noir en position de remporter la présidentielle aux Etats-Unis.
Pourquoi consacrer une biographie à un candidat à l’investiture démocrate, quand tant d’incertitudes pèsent encore sur l’issue des primaires ? Parce que tout candidat du "parti de l’âne" incarne une alternative politique possible dans le contexte crépusculaire des derniers mois de mandat de George W. Bush. Parce que cette candidature, officiellement lancée à l’hiver dernier, du jeune et charismatique sénateur de l’Illinois n’a cessé de gagner en crédibilité aux dépens de la candidate "naturelle" du parti démocrate, Hillary Clinton, jusqu’à une récente victoire dans la première confrontation en Iowa et une courte défaite cinq jours plus tard dans le New Hampshire. Enfin, et surtout, parce que son âge, ses héritages culturels multiples et sa couleur de peau en font le signe tangible d’une avancée de la société américaine sur le chemin du métissage ethnique et culturel, loin des stéréotypes sur les conflits entre communautés juxtaposées et indifférentes. Obama, en somme, serait l’incarnation d’une autre Amérique, le révélateur d’une évolution profonde et symbolique, et sans doute un espoir qui pourrait inspirer au-delà des frontières, et singulièrement en France. C’est en tout cas le point de vue présenté par les auteurs d’une biographie qui fait découvrir le parcours de cet homme à un large public francophone.
Etre né quelque part
Les auteurs veulent trouver dans les premières années et les premières expériences du jeune Barack Obama les racines de ses convictions et de ses engagements ultérieurs. S’inspirant largement de l’autobiographie du candidat, ne ratant aucune des premières étapes de la "geste" qu’il popularise ces dernières années dans les médias américains, les deux premiers chapitres évoquent les héritages multiculturels de l’enfant né d’un père Kenyan venu étudier aux Etats-Unis et d’une mère blanche du Midwest aux origines irlandaises, écossaises et indiennes. Ils retracent une enfance et une adolescence cosmopolites, partagées entre l’Indonésie, où il suit un temps sa mère remariée à un musulman, et Hawaï, où il est envoyé grandir chez ses grands-parents. Son passage par l’Occidental College de Los Angeles le confronte ensuite à la question raciale, aux milieux militants et aux contradictions de son identité multiple. Après de brillantes études à Columbia et en attendant d’intégrer la très prestigieuse Law School d’Harvard, le jeune homme s’engage volontairement dans l’action sociale contre la pauvreté et l’exclusion dans le South Side noir de Chicago, prélude à son entrée en politique. Ils dessinent ce faisant le portrait d’un honnête homme, courageux et sincère, qui ne cache rien d’un passé parfois susceptible de le desservir, tels ses aveux sur la consommation de drogues dans sa période californienne.
Il se dégage à la lecture de ces premières pages toute la séduction de ce personnage à la fois visiblement nouveau et subtilement consensuel. Les auteurs semblent d’ailleurs s’être pour le moins laisser convaincre et adhèrent dans l’ensemble à cette mise en scène autobiographique. De longues citations renforcent cette impression de se couler dans le récit qu’il fait de lui-même. Si Obama exprime son ambition, c’est à la recherche de la figure tutélaire d’un père dont l’absence marque son enfance. Si le jeune homme fraie un temps avec les militants noirs, les professeurs marxistes et les féministes de son campus californien, c’est pour vaincre ses doutes identitaires personnels et se fondre un instant dans une forme de conformisme rassurant. S’il a touché à l’alcool et aux drogues, c’est pour mieux en comprendre les périls, et s’il accepte d’en parler, c’est par souci d’exemplarité pour ceux qui peuvent être amenés à les affronter. C’est faire peu de cas de l’habileté de l’homme politique Obama que de ne pas insister sur ce que le lecteur attentif et – quelque peu cynique – peut percevoir dans cet habile exercice de (ré)écriture de soi : des aveux en forme de rédemption par un homme qui a fait de la franchise son premier argument de rupture avec le milieu politique washingtonien ; un parcours dont les contradictions apparentes peuvent réconcilier un électorat élargi ; un autoportrait rassurant de sa personne et de l’Amérique, qui sied bien à celui qui construit son charisme sur le dépassement des fractures qui grèvent le rêve américain.
Curriculum Politicae
La seconde partie de l’ouvrage bascule justement sur la carrière politique du candidat pour la resituer dans le contexte politique et institutionnel Américain. On comprend entre les lignes qu’Obama capitalise sur son ancrage local à Chicago, s’appuyant sur son action sociale de la décennie précédente, pour être élu au Sénat de l’Illinois en 1996. Les atouts qui vont faire son succès – ses indéniables qualités rhétoriques et son image d’homme simple et fédérateur – commencent d’affleurer en 2002, la médiatisation de son keynote speech à la convention démocrate de Boston le lançant sur la scène politique nationale. Deux ans plus tard, il conquiert un siège de sénateur lors d’une victoire inattendue qui doit autant à sa capacité à rassembler une majorité hétérogène d’électeurs, de la communauté noire urbaine de Chicago aux terres rurales du centre et du sud de l’Etat, qu’à un concours de circonstances qui élimine de la course son principal adversaire républicain. C’est de son poste du Sénat qu’il bâti en quelques mois sa candidature à l’investiture démocrate pour l’élection de novembre 2008.
La principale qualité de ces quelques chapitres est sans nul doute de réinscrire la carrière d’Obama dans son contexte, en déployant avec pédagogie les aspects essentiels de la vie politique, du système électoral et de l’architecture institutionnelle américaine. Le personnage prend un peu d’épaisseur et l’on commence à percevoir la "méthode" dont il assure la publicité : le pragmatisme, l’approche bipartisane, la recherche du consensus. La chronique se fait moins personnelle et l’on comprend rétrospectivement tout le bénéfice politique qui peut résulter de ses origines et de sa trajectoire. Cette partie de l’ouvrage se lit presque comme une introduction – claire, si nécessairement sommaire – aux arcanes des institutions politiques et de l’élection présidentielle. Les enjeux de son comportement au Sénat, le contenu des critiques qui lui sont adressées, l’organisation et le déroulement de sa campagne – et notamment de l’épineuse et complexe question de son financement – sont exposés avec clarté, sans s’interdire de longs excursus explicatifs toujours utiles pour appréhender des mécanismes politico-institutionnels, même si l’on perd parfois le protagoniste principal en cours de route.
Paradoxes d’une question raciale
Reste à aborder le programme politique sur lequel Obama fait campagne et les questions susceptibles de décider du sort des primaires d’abord, de l’élection générale ensuite. Un chapitre thématique balaie les thèmes essentiels en dévoilant l’évidente prudence d’un homme qui, s’il se fait l’avocat du changement, ne peut se permettre de brusquer l’opinion ou de mécontenter certains intérêts particuliers. Là encore, les auteurs se montrent compréhensifs, sinon favorables aux compromis et arbitrages de leur candidat, qu’il s’agisse de droits des homosexuels, de réforme du système de santé ou d’immigration clandestine. C’est en fait un préalable au dernier temps de l’ouvrage dont la construction intercale l’enjeu religieux et distingue la problématique raciale dans l’avant-dernier chapitre et la conclusion. C’est après tout la thématique principale de leurs recherches respectives et le sens explicite de leur ouvrage que de placer l’identité ethno-raciale au centre de la réflexion sur le premier homme noir à pouvoir sérieusement prétendre accéder à la présidence des Etats-Unis. Sur ce plan, Obama est à la fois en phase avec le métissage progressif de la société américaine et en porte-à-faux avec certains des leaders de la communauté afro-américaine qui lui reproche son identité finalement allogène, puisqu’issu d’un père africain (et non afro-américain) et d’une mère blanche. Autrement dit, il est en quelque sorte pris entre passé et présent, révélateur d’une mutation des rapports interraciaux et intercommunautaires encore à l’œuvre. Un court chapitre sur les conceptions religieuses assure la transition vers une conclusion où le trait et la plume se font tout à coup très fermes pour faire du succès d’Obama le miroir des scléroses françaises et le porteur d’un espoir transatlantique pour ceux qui aspirent à plus de diversité visible dans la politique hexagonale.
Cette conclusion suscite deux remarques principales. La première en forme de mise en perspective : comme le montrent les auteurs eux-mêmes, la question raciale, si l’on ne peut nier sa présence en filigrane, est très loin d’être centrale dans la campagne du sénateur de l’Illinois et, plus largement, dans la campagne électorale dans son ensemble. La modération d’Obama sur les politiques d’Affirmative Action et son insistance sur le règlement social des maux qui touchent les plus pauvres – et donc la minorité noire – est même significative du divorce progressif avec les problématiques, les aspirations et des méthodes héritées du combat des droits civiques. Peut-être s’agit-il en partie d’une habileté tactique de sa part, puisqu’il ne lui est pas nécessaire d’insister explicitement sur ce point. Toujours est-il que, à l’été 2007, quand il s’est avéré nécessaire de se distinguer clairement des candidats républicains et plus encore de ses principaux rivaux démocrates, c’est sur le terrain de la politique étrangère et de l’Irak qu’a porté l’essentiel de ses attaques. A l’automne, les questions liées à la réforme de la politique de santé ont constitué le cœur de ses propositions lors de ses interventions publiques. Une interrogation en découle : si Obama, tout en restant évidemment sensible aux problématiques raciales, se refuse à être le candidat d’une minorité, si son identité s’inscrit si profondément dans le rapport dialectique entre le passé américain et les dynamiques migratoires et ethnoculturelles des Etats-Unis contemporains, et s’il est bien un "citoyen transnational", quelle peut donc être la pertinence de ce "modèle" dans le contexte français ? A moins de réduire de nouveau le personnage à sa couleur de peau...
* Lire aussi la critique du livre de Barack Obama, L'audace d'espérer.