Une biographie qui permet d’aborder Sagan sur un mode encore jamais utilisé, celui du beau livre.
On pensait avoir tout lu et tout entendu sur Françoise Sagan. Des biographies pointilleuses et scientifiques au biopic en passant par la chanson hommage d’Alain Souchon (Bonjour Tristesse), on n’aurait jamais cru découvrir de nouvelles informations sur l’écrivain. Certes, ce livre ne révèle pas de scoop jusque-là tenu secret ou échappé des griffes de Paris Match. Cependant, il a cela en plus des autres d’aborder la vie de cette femme, d’une part, en laissant une grande place aux illustrations (certaines bien connues, d’autres plus inattendues) et, d’autre part, en s’appuyant sur les événements qui ont jalonné son histoire et l’Histoire en général.
L’une des grandes forces du livre se trouve sans nul doute dans une maquette bien construite qui guide le lecteur dans sa lecture et l’invite, à l’aide de codes couleurs et d’encarts, à choisir les éléments qu’il a envie d’approfondir. Ainsi, chaque chapitre est introduit par une citation de Françoise Sagan, qui fait office de chapeau. De même, des intermèdes réguliers, signalés par des aplats de couleurs, se penchent plus particulièrement sur des événements historiques, sans rapport direct avec Sagan, mais qui contribuent à expliquer le contexte dans lequel elle a grandi et évolué ainsi que les éléments qui ont pu l’influencer, l’inspirer et l’aider à écrire. Ces petites parenthèses historiques encrent Françoise Sagan dans l’histoire et rappellent à quel point elle était une femme engagée. Les focus historiques portent sur des thèmes relativement divers. L’auteur fait ainsi un point sur Brigitte Bardot et la liberté sexuelle. Plus sérieusement, elle rapporte également un extrait de l’article de Pierre Brisson, directeur du Figaro, datant du 8 mai 1945 et racontant avec un bonheur mêlé de tristesse les épreuves horribles endurées par la France.
L’autre force du livre réside pour une très large part dans le choix des illustrations : les photographies sont magnifiques, d’une belle qualité et souvent en pleine page. Certaines sont tout à fait naturelles, d’autres ont clairement été réalisées par des photographes. Ainsi, on voit tour à tour Sagan à son avantage, comme sur cette photographie qui la montre assise sur le poteau d’un brise-lames, en maillot de bain rayé, une main dans les cheveux et les yeux légèrement plissés à cause de la luminosité des bords de mer. Mais, on la trouve tout aussi bien la bouche pleine, les yeux fermés d’avoir été prise en photo au mauvais moment, en train de manger un sandwich à côté de son fils Denis. C’est aussi le parti pris de ce livre : montrer la vraie Françoise Sagan et pas seulement les facettes fascinantes de ce personnage.
L’ouvrage est documenté avec beaucoup de zèle. Les documents choisis par l’auteur pour illustrer son propos sont extrêmement nombreux. En effet, en plus des photographies (chaque double page du livre en compte au moins une, sinon plus), on rencontre au cours de la lecture des documents d’autres natures. D’ailleurs, c’est le deuxième atout de la documentation : elle est très variée. Des unes de journaux, des couvertures de livre, des affiches de cinéma, des articles de presse et même les bulletins scolaires de l’adolescente ! Les légendes, toujours précises, commentent quasiment systématiquement l’image, le document ou la photographie, aidant le lecteur à replacer le document dans un contexte et à comprendre de quelle façon il s’y insère. Par ailleurs, Geneviève Moll est profondément nourrie de tous les romans de Sagan et de ses recueils d’entretiens, auxquels elle se réfère continuellement.
Le récit est chronologique et le livre s’ouvre donc tout logiquement sur l’enfance de la petite Françoise Quoirez. Geneviève Moll la décrit volontiers rebelle et déjà fêtarde à l’aube de son adolescence, déjà grande lectrice et très indisciplinée. Dans ce chapitre, l’auteure tente d’expliquer la personnalité et l’œuvre de l’adulte Sagan sans parvenir pour autant à convaincre le lecteur. Les liens entre les anecdotes d’une simple enfant et le caractère d’une romancière adulte semblent souvent artificiels. Les liens sont peut-être pourtant bien réels, mais vouloir tout expliquer, sans se contenter de raconter, comme le promet le sous-titre de l’ouvrage, paraît quelquefois abusif. Par la suite, le récit n’oublie pas les informations connues du grand public. Cependant, on apprend tout de même beaucoup de choses sur Sagan. On la découvre reporter pour Elle, à la demande d’Hélène Gordon-Lazareff, la patronne du magazine qui capte au vol le succès de Bonjour Tristesse : Françoise Sagan écrit ainsi des chroniques poétiques et tendres intitulées “Bonjour Naples”, “Bonjour Capri”, “Bonjour Venise”… L’auteure utilise toujours le mode de l’anecdote pour retranscrire des épisodes cocasses de la vie de l’auteur. Une parmi tant d’autres raconte une séance de dédicaces de Françoise Sagan à New York. Sur tous les livres, elle signe “With my all sympathies” avant de se rendre compte quinze jours plus tard que cela signifie “Avec toutes mes condoléances”.
Geneviève Moll offre, en finalement peu de mots, une biographie facile d’accès qui traite les aspects connus de la personnalitéet de la vie de Sagan, sa passion pour la vitesse et son accident au volant de son Aston Martin, son goût pour l’alcool et les drogues dures, son addiction aux jeux – jusqu’à être interdite de casino –, qui rappellent sans cesse qu’elle repoussait toutes les limites qu’on essayait de lui imposer. Le livre fait une large place à son côté people assumé : Françoise Sagan fréquenta Billie Holiday, était très liée à René Julliard et à Juliette Greco et ne ratait aucune sortie à Paris ou à New York. Ce récit de Françoise Sagan fait aussi la lumière sur les amours de l’écrivain, sur ses mariages successifs et ses relations avec des femmes qu’elle ne cherchait pas à cacher, notamment avec Peggy Roche avec qui elle partage la fin de sa vie. On la retrouve également engagée politiquement, pendant la guerre d’Algérie aux côtés des jeunes français, ou encore dans le combat pour la libéralisation de l’avortement.
La fin du livre est à l’image de la fin de sa vie : d’une tristesse infinie. Une santé précaire assortie de débauches sans cesse renouvelées auxquelles s’ajoutent son addiction à la drogue et une dépression devenue chronique. Sans compter qu’elle est criblée de dettes. Ce sinistre dénouement ne fait en rien oublier le talent de cette femme, profondément humaine, qui essuyait des échecs (notamment au théâtre) sans pour autant se décourager. Sans relâche et jusqu’à la fin de sa vie, elle continue à écrire des textes sublimes, à l’image de cette lettre ouverte à Sartre dans laquelle elle lui signifie toute son admiration. Le livre, par des extraits et des arguments précis de son auteure, rappelle à quel point elle savait analyser les sentiments et sonder les âmes en mettant ses personnages à nu.
Paradoxalement, Françoise Sagan, autrefois traquée par tous les journalistes et à la une de tous les journaux, meurt dans le plus grand dénuement et dans la solitude. Si parfois le récit n’est pas très crédible et si l’on doute de temps en temps de la véracité des paroles rapportées, Geneviève Moll réussit tout de même à donner au lecteur, resté attentif jusqu’au bout, l’envie de lire et de relire Sagan.