Eve Ruggieri aimait beaucoup Big Luciano. Cela ne suffit pas pour écrire un livre.

Nous aimons bien Eve Ruggieri. Grâce à elle, la musique classique et surtout l’opéra n’ont pas totalement disparu du paysage télévisuel hertzien. Certes, le "Musiques au cœur" hebdomadaire et nocturne subit une sévère cure d’amaigrissement et devient, en 2008, bimestriel, ce qui fera bien peu à la fin de l’année. Mais enfin, dans cette affaire, la Ruggieri est sans doute victime d’une telle décision autant que nous. Donc, nous aimons bien Eve Ruggieri. Et le problème est que nous allons dire du mal de son dernier ouvrage, consacré à Luciano Pavarotti, opportunément sorti trois mois après le décès du ténor, dans sa ville natale de Modène le 6 septembre dernier, à l’âge de 72 ans.

Que ceux qui cherchent une biographie de Big Luciano ou un essai sur le "phénomène" Pavarotti passent leur chemin. Ces 300 pages ne sont ni l’une, ni l’autre, même si le fil conducteur reste chronologique.

Une biographie digne de ce nom supposerait une certaine cohérence et de la rigueur. Or, chaque chapitre est entrelardé de développements sur tel compositeur ou tel théâtre, multiplie les anecdotes risibles, les reconstructions de dialogues invraisemblables et les approximations   , le tout appuyé sur un style déplorable   . Que l’auteur commette des fautes d’italien   , c’est d’autant plus regrettable que personne ne lui demandait d’en truffer son propos, mais cela n’est pas grave. Des erreurs musicales sont en revanche plus embêtantes pour cette "grande spécialiste" - dixit la quatrième de couverture - : Renato Bruson, baryton certes exceptionnel, n’a jamais dirigé Pavarotti dans un enregistrement du très rare Requiem de Donizetti (p. 197) ; l’air de Chenier Un di all’azzuro spazio… n’est pas "l’Improvisio", mais l’Improvviso (p. 237)… et ainsi de suite. Cessons de grincher. Après tout, qui cela peut-il bien choquer… si le reste du livre est bon ?

Mais le reste du livre, justement, n’est guère plus qu’un témoignage de l’affection, sans doute très sincère, d’Eve Ruggieri pour le ténor, qu’elle a eu l’occasion d’accueillir sur ses plateaux et qu’elle a rencontré à de nombreuses reprises. Et son affection l’aveugle…

Car, indépendamment de la biographie qui reste donc à écrire, il y avait place pour un véritable essai sur L. Pavarotti. Un essai qui développe certains des aspects simplement évoqués ou surtout passés sous silence: une carrière alla Pavarotti est-elle encore possible aujourd’hui compte tenu des changements importants que le monde lyrique a connus depuis ses débuts, il y a près de 50 ans ? Le rôle des agents a-t-il changé ? Le rythme imposé par le star system que Pavarotti a contribué à nourrir est-il compatible avec une carrière longue ? Ces questions ne sont pas posées.

Prenant fait et cause pour son objet d’"étude", Eve Ruggieri ne livre aucune analyse objective des spectacles de masse que Pavarotti a multipliés, surtout à partir du début de son déclin. Ces archetypes du cross-over abondamment cités dans la discographie "sélective", ces concerts de Pavarotti en duo avec U2, Sting, Elton John, Céline Dion ou les Spice Girls,  ont-ils fait venir un nouveau public à l’opéra ou ont-ils avant tout servi à remplir le compte en banque de Big Luciano ? Ces entreprises florissantes, dont les concerts des Trois ténors   , depuis la première édition dans les Thermes de Caracalla le 7 juillet 1990, ont été le prototype à la féconde lignée, ont-ils apporté quelque chose à la musique ou ont-ils contribué à la médiocrité musicale ambiante, en Italie et au-delà ? La réponse est hélas dans la question… mais pas dans le livre d’Eve Ruggieri. Elle aurait au moins pu prendre la peine de conduire le procès, à charge et à décharge, et de recueillir l’avis de certains collègues de Pavarotti. Elle aurait ainsi pu mentionner le refus d’Alfredo Kraus, ténor espagnol à la carrière sans tâche décédé en 1999, de participer à cette mascarade   … et dans l’autre sens, obtenir de Roberto Alagna son habituel plaidoyer fervent et convaincant en faveur du divertissement de qualité.

Alors, de grâce, que la direction de France Télévisions redonne beaucoup d’heures d’antenne à Mme Ruggieri, pour qu’elle continue à faire ce qu’elle réussit bien. Nous serons fidèles devant le poste… et elle aura moins de temps pour écrire des livres inutiles.


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