Cette 21e réflexion sur le thème du rapport entre Arts et Sciences vient clore une première saison ininterrompue depuis le 25 janvier 2011 : Christian Ruby donne rendez-vous aux lecteurs en septembre pour la suite !

Pierre Boulez et Alain Connes explorent la créativité en musique et en mathématique. C’était à l’IRCAM (8 au 18 juin 2011). L’un est musicien, l’autre mathématicien. La question : Y a-t-il une dimension esthétique dans l’activité mathématique ? Et celle-ci encore : la notion d’élégance d’une démonstration mathématique ou d’une construction théorique en musique joue-t-elle un rôle dans la créativité ? A dire vrai, on ne sait pas si ce n’est pas plutôt l’envie de jouer intellectuellement de rapprochements formels qui conduit le rendez-vous, plutôt que le sérieux de la question. Ces rapprochements sont effectivement formels, même si les uns peuvent évidemment trouver des sources d’inspiration chez les autres, et inversement. Que les outils mathématiques soient indispensables aux musiciens, surtout à l’ère de l’informatique, des modèles de référence et des compositions qui s’appuient sur des structures algébriques ou les structures d’ordre, cela ne fait aucun doute. Que les mathématiciens trouvent dans les arts des ressources inventives qu’ils peuvent ensuite reconfigurer, nul doute non plus.

Quant à l’idée d’un simple transfert de l’un à l’autre, celle d’une analogie ou celle d’une synthèse par un pôle commun (l’imagination ou le fonctionnement de l’esprit), elle laisse plus rêveur.

Ce qui n’interdit pas, au contraire, de songer à penser une surface d’échange à partir de laquelle les arts viendraient interroger les mathématiques et réciproquement.

Dans une émission de radio récente, sur France Inter, Pascal Dusapin, musicien, titulaire de la chaire de création artistique au Collège de France, expliquait ceci. Elève de Yannis Xénakis, il ne travaille cependant pas comme lui. Xenakis, selon Dusapin, ne voulait pas seulement construire un pont entre Arts et Sciences, mais voulait que les deux "copulent". Xenakis avait une triple formation : formation d’ingénieur et d’architecte (il a travaillé avec Le Corbusier) et de musicien (il y a été conseillé par Olivier Messiaen). Il affirmait que "les musiciens font des maths sans le savoir" (division, rythme, rapports, ...). A quoi il ajoutait que, dans ses œuvres, il réglait des questions locales de sa musique grâce aux maths. Il ne se servait par conséquent des maths que pour régler des problèmes, mais sans réussir une fusion impossible.

Dusapin affirmait avoir adopté un point de vue plus pragmatique : il cultive la différence entre Arts et Sciences, puisque l’art n’est pas la science et réciproquement. Par contre, pour avancer dans la confrontation, et sans les mélanger, il convient néanmoins de se départir aussi des conceptions banales des arts et des sciences, avec lesquelles on ne peut finalement rien entreprendre. L’art peut se servir de telle ou telle manière mathématique de poser un problème ; la mathématique peut bien moins se servir de telle ou telle méthode artistique.

Enfin, Dusapin affirmait que, pour lui-même, il se servait des mathématiques en poète. Il ne domine pas ce champ de savoir, il ne capte que quelques schémas qui lui servent à penser en musique. Le rapport est d’usage et n’est que métaphorique. Les maths n’engendrent pas de la musique. L’association, encore une fois, est poétique