Une grande enquête d'Eric L’Helgoualc’h sur cette Europe qui se ferme et qui refoule, de Malte à la Grèce, de Varsovie à Bruxelles.

Le livre d’Eric L’Helgoualc’h, Panique aux frontières. Enquête sur cette Europe qui se ferme publié chez Max Milo, arrive à point nommé pour revenir sur l’un des débats trans-européens les plus chauds de ces dernières années : quelle politique migratoire pour l’Europe ? Dans une enquête menée aux frontières du continent, en Méditerranée et en mer Egée, et au cœur du système institutionnel de l’UE, l’auteur montre combien l’Union peine à concilier ses idéaux universels et les populismes qui montent en son sein.

L’enquête commence en Méditerranée. C’est dans cette région que la hausse de l’immigration illégale a été la plus spectaculaire dans les années 2000. « Entre 2006 et 2008, les arrivées de migrants ont augmenté de 64% en Italie, 100% à Chypre et 400% en Grèce. » L’Italie est ainsi devenue une terre d’immigration après avoir longtemps été une terre d’émigration. « En 2001, l’Italie comptait 1,3 millions d’étrangers enregistrés. Moins de 10 ans plus tard, ce chiffre s’élevait à 3,8 millions. » Les autorités de ces pays sont dépassées par cette hausse, surtout un micro-Etat comme Malte, d’autant que cette immigration est aujourd’hui combinée avec une crise économique gravissime. Les deux phénomènes interagissent en nourrissant une xénophobie et un populisme en hausse dans bon nombre d’Etats européens.

L’Union européenne apparaît pour ces populistes comme une aggravation de la menace, le règlement européen Dublin II a instauré un vrai système d’expulsions internes : les migrants illégaux sont renvoyés dans le pays par lequel ils sont entrés dans l’espace Schengen. Ces Etats-frontières eux-mêmes tentent de les renvoyer vers les pays par lesquels ils ont transité avant d’entrer sur leur sol : Turquie, Libye, Maroc… Ces derniers sont bien entendu réticents à ces mécanismes de réadmissions que l’Union européenne essaie de conclure systématiquement avec eux. Certains Etats, comme l’Italie, ont donc décidé de « prendre les choses en mains » et de négocier directement avec la Libye par exemple. Les liens entre le gouvernement de Rome et celui de Tripoli se sont resserrés de manière spectaculaire dans les années 2000, sur fond de gros contrats pétroliers. L’Italie a ainsi sous-traité son « problème migratoire » au régime libyen sans que l’UE n’y trouve rien à redire.

Or, la question de l’immigration économique n’est pas la seule en cause. Elle se double de celle de l’asile. Une partie des clandestins tentent, en effet, de quitter leurs pays pour des raisons humanitaires et l’UE éprouve toutes les difficultés du monde à séparer l’immigration illégale pour raisons économiques et pour raisons humanitaires. Le renvoi des clandestins vers des régimes aussi peu soucieux des droits de l’homme que la Libye pose pour le moins la question de la cohérence de l’action européenne. Cette « solution » insatisfaisante sur le flanc sud de l’UE semble pourtant avoir donné des résultats. Eric L’Helgoualc’h rappelle que les flux de migrants clandestins avant le début des révolutions arabes ont été largement asséchés, tout du moins pour leur partie la plus visible, celle des migrants illégaux arrivant par voie de mer. Mais, l’auteur souligne que les migrations illégales fonctionnent comme un « water-bed », quand on appuie d’un côté du matelas rempli d’eau, celle-ci se masse en un autre point du lit.

Le second « front » visité par l’auteur se situe en mer Egée, entre l’île de Lesbos et les Thraces grecque et turque. Les migrants profitent des centaines d’îles de la mer Egée pour tenter d’entrer en Grèce et, de là, partir pour l’Allemagne ou les autres grands pays européens moins touchés par la crise économique. En Grèce, les autorités sont dépassées. Leur système embryonnaire de gestion de l’asile n’est pas taillé pour faire face à de tels afflux de demandeurs. Athènes demande l’aide de l’Union et se décide à construire un « mur » terrestre entre la Thrace grecque et turque, sans que là encore l’UE ne s’inquiète de la construction d’un mur entre un pays membre et un pays candidat.

Dans tous les cas, l’Union européenne essaie de fournir de l’assistance par le biais de Frontex, une agence située à Varsovie. Cette dernière essaie de coordonner l’action européenne et d’envoyer sur place des forces de police des Etats membres pour appuyer les autorités locales, parfois avec succès comme au large des Canaries. Pourtant, la question du rôle de l’agence et de ses moyens se pose. Officiellement, elle veut lutter principalement contre les filières et non contre les migrants eux-mêmes, mais « en 2009, l’ensemble des opérations conjointes a permis d’enregistrer l’entrée illégale de 165 700 personnes, de détecter 251 700 étrangers en situations irrégulières et d’arrêter seulement 6 600 « facilitateurs » selon le terme d’usage. »

De plus, l’action européenne s’appuie sur la création de multiples bases de données biométriques permettant de lutter contre le « tourisme consulaire » ou contre la destruction de leurs papiers par les migrants. Au moment où l’UE fait remarquer aux Etats-Unis que leurs pratiques dans le domaine de la conservation des données biométriques prête à débat, elle se lance elle-même dans une intense opération de fichage, sans ouvrir de controverse démocratique sur cette question.

On ne peut pas dire que le livre d’Eric L’Helgoualc’h est celui d’un déçu de l’Europe. L’auteur a pendant quelques années exercé la fonction qu’il qualifie lui-même de « propagandiste soft » au sein de l’équipe Touteleurope.eu avant de se plonger dans une enquête d’un an sur les politiques migratoires européennes. Le résultat n’est pas tendre, mais il pose un bon nombre de questions auxquelles les euro-réalistes doivent répondre dans les dix ans qui viennent. Comment concilier le déclin démographique européen qui ralentira la croissance de l’UE et les inquiétudes des citoyens européens renforcées par la crise économique ? Ou comment combiner le long terme et le court terme, tout en respectant les valeurs fondatrices de l’Europe ? Jean-Claude Juncker, le Premier ministre luxembourgeois a l’habitude de dire à ce sujet « nous savons ce que nous devons faire, mais pas comment être réélus ensuite. » Voilà le nœud du problème.

Les quatre étapes de l’enquête d’Eric L’Helgoualc’h (Malte, la Grèce, Varsovie et Bruxelles) permettent de lier les éléments épars distillés par la presse européenne, et il convient de saluer ce véritable travail d’enquête journalistique, bien écrit et nécessaire à la vitalité démocratique européenne