Dans une note publiée en 2003 sur son site, TemPS Réels s’interroge sur l’absence de politisation d’Internet, et de clivage gauche-droite sur les questions numériques. "N’existerait-il donc aucun sujet d’affrontement ? La civilisation numérique est-elle apolitique ?" Huit ans plus tard, nous pouvons enfin esquisser une réponse.
De la loi DADVSI à HADOPI en passant par Edvige, la question numérique semble avoir pris toute sa place dans les débats politiques. Les partis de la gauche française se sont immédiatement dressés contre les projets de loi du gouvernement, qui traduisent la conception spécifique qu’a Nicolas Sarkozy d’Internet : un espace de non-droit, à civiliser. La récente reprise en main de ces questions à travers la création du Conseil national du numérique et de l’e-G8 a creusé encore le fossé qui existe entre la vision toute sarkozyste d’Internet et celle(s) de l’opposition.
Mais s’opposer ne suffit pas. Il faut également proposer aux Français une autre vision du numérique, d’autres projets, de nouvelles idées, qui prouvent que l’importance d’Internet a enfin été comprise par la classe politique.
Le Parti socialiste a longtemps eu du mal à avoir une position claire sur ces questions. Les six motions présentées en 2008 pour la course au premier secrétariat du parti en témoignent : alors que Martine Aubry faisait la part belle au numérique, la motion de Benoit Hamon faisait l’impasse sur Internet et les nouvelles technologies. Jean-Luc Mélenchon, qui avait soutenu la candidature de l’actuel porte-parole du PS, semble avoir tiré quelques conclusions de son échec : le Parti de gauche dispose désormais d’une commission numérique à part entière, chargée de réfléchir aux problématiques liées à Internet et aux TIC. Selon son responsable, Julien Bernard, "Internet doit être un outil d’émancipation pour les citoyens". Et cela passerait par une "nationalisation de la bande passante, pour créer un service public de qualité", qui bénéficierait d’un "tarif social". Une mesure radicale, qui ne trouve pas son écho dans les programmes des autres partis de gauche. Pour le PG, Internet est un espace nécessaire de liberté, "où les citoyens échangent sur les diverses solutions et où la décision se dessine librement à l’abri des pressions", et non "une zone de non-droit".
Le Parti socialiste, pour sa part, bénéficie des travaux du Laboratoire des idées, dont le président, Christian Paul, s’intéresse de près aux questions liées au numérique. Le 1er mars, ce dernier a déposé une proposition de loi sur la neutralité d’Internet, qui a été rejetée au Parlement par 311 voix contre 218. Les think tanks comme la Fondation Jean-Jaurès et Terra Nova ont également leurs groupes de travail sur ces enjeux. Nelly Fesseau, coordinatrice du pôle "numérique" à Terra Nova, explique que les principaux axes de travail de la fondation sont la prise en compte du numérique par les politiques (en "renforçant le lien entre les individus, en facilitant l’expression démocratique et en améliorant l’accès au service public"), le numérique comme pôle d’innovation, et le choix de la gouvernance.
Pas question ici de nationaliser la bande passante : le politique doit avant tout jouer "un rôle de gestionnaire et de garant de l’intérêt général par un mode de gouvernance adaptée où les pouvoirs publics trouvent toute leur place". En réponse à la volonté du gouvernement de réguler Internet, Terra Nova affirme que la seule régulation possible est pour "garantir la neutralité du Net".
Au-delà de ces think tanks, certaines agences Internet fournissent également une aide à la fois logistique et théorique sur le numérique. C’est le cas du blog collectif TemPS Réels, qui se propose de "donner des coups de main en ligne aux mouvements d’opposition et aux défenseurs des libertés numériques". Animés par l’idée qu’il n’est aujourd’hui plus possible de gouverner sans pendre en compte les nouvelles technologies, ses fondateurs insistent sur le rôle éminemment politique d’Internet. Une étude TNS-Sofres, réalisée pour le blog, montre que près de la moitié des internautes ont une activité politique sur la toile, de la signature de pétition au commentaire sur un site d’actualité. La preuve, s’il en fallait, qu’Internet est un moyen d’expression politique non négligeable, qui peut faciliter la démocratie directe et la participation à la prise de décision des citoyens.
Cette idée, Benoit Thieulin l’a matérialisée avec la création du site désirsdavenir.org pour la campagne de Ségolène Royal en 2007. Encarté au Parti socialiste, cet ancien diplômé de Sciences Po a également aidé Europe Ecologie à monter son organisation Web, et créé la Netscouade en 2007, une agence Internet à qui l’on doit entre autres le site Mediapart. Il est aujourd’hui une des têtes pensantes du numérique à gauche.
Dès 2003, TemPS Réels, dans une note contributive au congrès du Parti socialiste appelle ce dernier à "une extension du domaine publique sur Internet à travers une approche plus ouverte du droit d’auteur" et la généralisation des logiciels libres. Il demande au parti de s’engager à garantir l’égalité d’accès à l’informatique, devant l’échec évident de la libre concurrence des opérateurs de télécommunication. TemPS Réels s’élève également contre la surveillance généralisée, qui ferait d’Internet un "univers kafkaïen". Le titre de cette note : "Notre Internet n’est pas le leur".
Alors, peut-on affirmer qu’il y a deux conceptions d’Internet, une de droite et une de gauche ? Pour Nelly Fesseau, "il existe des divergences de point de vue, pas foncièrement de droite ou de gauche. Mais dans le numérique aussi, la gauche développe une vision de progrès au bénéfice de l’ensemble des citoyens"
* Lire le dossier complet de nonfiction.fr sur le numérique.