Année après année, les acteurs publics de notre pays redécouvrent, à la lecture des statistiques sur nos déficits commerciaux, le lent déclin de l’industrie française.

Cette année n’échappera pas à la règle, puisque le déficit commercial atteindra vraisemblablement un nouveau record de plus de 25 milliards d’euros fin 2011, après 16 milliards l’an dernier !

Certains se rassureront en soulignant que la hausse de la facture énergétique y est pour quelque chose. Mais les plus avisés y verront tout autant le fruit de la perte de compétitivité de notre industrie.

La désindustrialisation de la France est de fait en marche !

Notre pays a perdu près de 2 millions d'emplois en 30 ans dans le secteur industriel et plus d’un demi-million depuis 2007, selon un récent rapport de la Direction du Trésor   . L’industrie n’y représente plus que 17% de l'emploi total contre 36% en Allemagne.

Les « délocalisations » au sens strict vers les pays à plus faibles coûts salariaux n’expliquent qu’entre 10% et 20% des pertes d’emplois industriels selon ce même rapport, soit environ 15.000 emplois détruits par an. Les 90.000 autres emplois industriels perdus chaque année tiennent à un mélange de causes structurelles, communes à l’ensemble des pays développés (montée des services dans l’économie, nouvelles technologies et gains de productivité, montée en puissance des nouveaux pays émergents, ….) mais aussi à des causes plus spécifiques à l’Europe : une succession d’erreurs collectives, commises depuis la fin des années 1980.


- Première erreur : les pays européens se sont endormis sur leurs lauriers en matière de technologies et de brevets ! Ainsi en France, les dépenses publiques en faveur de l'innovation n'excèdent pas 20 milliards de dollars par an, contre 230 aux Etats-Unis. Même en tenant compte de la taille des deux pays, le compte n'y est pas ! Nous autres Occidentaux avons cru que la mondialisation se contenterait de détruire des emplois d’exécution pour nous laisser la valeur ajoutée des activités de recherche, de conception, de marketing et de services associés. Grave erreur !


- Deuxième erreur : le maintien d’une politique européenne de la concurrence qui joue contre la constitution de grands groupes industriels pan-européens de dimension réellement mondiale. L'unification du marché intérieur européen est réalisée, mais les pays européens n’en tirent pas pleinement profit. Pour le faire, il nous faudra passer d’une politique de la concurrence à une politique plus globale de la compétitivité.


- Troisième et dernière erreur : la mise en sommeil de la politique industrielle impulsée par la puissance publique au profit de la seule libéralisation des marchés. Depuis 20 ans, le déclin de l’industrie en Europe aura été parfaitement concomitant du retrait de la politique industrielle ! Les orientations politiques de l’Union européenne sont aujourd’hui excessivement favorables à  la concurrence mais défavorables à la croissance et l’investissement productif.
La France s’est tout particulièrement endormie sur ses lauriers anciens hérités de la grande époque du jacobinisme triomphant - Concorde, le TGV, Ariane, Airbus....


L’insuffisance de l'investissement physique, la baisse de l'effort de recherche et développement et le faible renouvellement du tissu des entreprises expliquent beaucoup plus le déclin de nos positions industrielles que le coût du travail en France (qui reste toutefois un vrai sujet) ou encore la durée du temps de travail, qui est moyenne très proche de celui de l’Allemagne.
S’il faut augmenter la durée du travail collectivement en France, il faut d’abord le faire en faisant revenir sur le marché du travail les jeunes et les salariés âgés, dont les taux d’emploi sont tous deux très inférieurs à la moyenne européenne.



Réinventer une ambition et une politique industrielles en France et en Europe, tout en l’adaptant aux réalités d’un monde en mutation : voilà le défi.


Loin des chimères de la « révolution postindustrielle », de l’« industrie sans usine » ou « sans salariés »,  il n’y aura demain ni croissance sans industrie, ni industrie sans usines, ni usines sans politique industrielle !
L'expérience de la ré-industrialisation réussie des Etats-Unis dans les années 1990 peut donner des idées aux Européens : un grand sursaut en matière d'innovation technologique avec une diffusion des nouvelles technologies dans l'ensemble des secteurs de l'économie, une « reconfiguration » complète de la chaîne de valeur des entreprises entre donneurs d'ordre, fournisseurs, sous-traitants et prestataires de services.


En matière d'innovation, et malgré la concurrence croissante des pays émergents, l’Europe profite encore d'une réelle avance dans certains domaines, comme les nouveaux développements de l'électronique et des biotechnologies.
Elle dispose également sur le papier des moyens d’une nouvelle ambition industrielle malgré la crise actuelle de ses finances : réorientation du budget européen, émission d’obligations européennes destinées au financement de vastes programmes de recherche, abondement des dotations de la Banque Européenne d’Investissement, réveil de la politique européenne des brevets, établissement d’un Fonds stratégique d’investissement à l’échelle européenne prenant des participations au capital des futures « étoiles » de l’industrie européenne….


Notre dernière réussite industrielle collective en Europe remonte à EADS. C’était il y a dix ans ! Il faut s’inspirer de ce retour d’expérience pour tous les secteurs.


Mais l’Union européenne a pris du retard. Pendant longtemps, la notion même de politique industrielle ne fut pas en odeur de sainteté à la Commission. L’échec de la stratégie de Lisbonne, qui devait faire de l'Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici à 2010 », a été tout aussi patent que regrettable, malgré le doublement des financements de la Banque Européenne d’Investissement.


Au moment où l’Union européenne s'apprête à mettre en place une nouvelle stratégie « Europe 2020 », l’Europe n’a plus le droit à l’erreur. Cette fois, les objectifs semblent plus modestes et plus réalistes dans le contexte actuel de réduction des déficits publics : affectation de 3% du PIB européen à la R&D contre 2% actuellement, facilitation des financements de la R&D, accélération du déploiement de l'internet à haut débit, promotion des énergies renouvelables, mais aussi augmentation des taux d’emploi (à 75%) et lutte contre la pauvreté et l’échec scolaire. 


De quoi développer, sur le papier, une croissance « intelligente, durable et inclusive » s'appuyant sur une plus grande coordination entre les politiques nationales et européennes dans le domaine industrielle. Cette coordination qui , précisément, a été le principal facteur de l’échec de la stratégie de Lisbonne dans le domaine industriel.


En complément, la relance des coopérations bilatérales franco-allemandes ferait sens. Elle se heurte toutefois à des réticences quasi-culturelles de nos partenaires allemands, pour lesquels le référentiel de l’économie sociale de marché donne le primat au marché plutôt qu’à la puissance publique.


Cet effort au niveau européen devra être relayé au niveau national au cours du prochain Quinquennat.


L’expérience montre qu’il n'est jamais trop tard pour entreprendre une politique industrielle plus ambitieuse. L'Allemagne a ainsi rattrapé largement son retard dans les biotechnologies en moins de 10 ans à partir du milieu des années 1990 en réussissant l’agrégation des expertises publiques et privées, grands groupes pilotes et PME innovantes, et en redessinant le « périmètre stratégique » de son économie dans les années à venir.


Renouons en France avec une politique publique forte de filières, en relisant les propositions de la mission Beffa en 2005 : la sélection d'une douzaine de priorités (espace, nanotechnologies, transport à grande vitesse, énergie, biotechs, etc.) pour éviter la dispersion, des financements élevés en faveur des agences de moyens dédiées, le choix de modes de financement diversifiés et adaptés (avances remboursables, aides à la recherche...), la définition de critères stricts destinés à stopper rapidement les projets qui ne marchent pas, et la mise en place d’agences de financement réactives et professionnalisées.



Pour coordonner cette nouvelle politique industrielle nationale, une idée intéressante vient d’émerger dans le paysage : la création d’une Banque publique d’investissement.
Celle-ci regrouperait tous les outils dédiés à l’accompagnement des entreprises et à leur financement : Fonds stratégique d’investissement, Caisse des Dépôts et Consignations, Oséo ou Banque postale. Tous sont aujourd’hui séparés, éparses, ce qui provoque dédoublement de fonctions et perte d’efficacité.
Cette banque publique d’investissement aurait une pesée financière digne d’un fonds souverain à la française. Son but sera d’investir dans la recherche et l’innovation, de soutenir les PME et PMI et de prendre part dans des activités stratégiques et des filières industrielles d’avenir, porteuses de la « nouvelle croissance » de demain.
Elle serait déclinée sous forme de fonds régionaux au plus près du tissu économique des régions, des agglomérations, des pôles de compétitivité au soutien des filières clés de l’industrie de demain, favorisant les synergies entre grands groupes et PME d’excellence française


Il nous faut aussi remettre pleinement l’outil fiscal au service de l’avenir, et non plus au service de la rente ! Relançons l’investissement par une modulation de l’impôt sur les sociétés en faveur des entreprises qui réinvestiront leurs bénéfices dans l’innovation, dans les salaires ou dans des projets collaboratifs, et réorientant les autres dispositions fiscales en faveur des PME, tout en préservant le crédit d’impôt-recherche en faveur des très grands groupes nationaux.
Enfin, il ne peut y avoir de politique industrielle nationale sans un système d’éducation et une formation professionnelle efficace. Ce qui implique la revalorisation de l’image des filières technologiques et professionnelles dès le collège, et la mise en place de passerelles nouvelles entre écoles et entreprises.


L’Industrie a de l’avenir. Oui, décidément, vivement demain !


Thomas Chalumeau