L'auteur déconstruit les idées reçues et défend les écrans injustement pourfendus par des détracteurs ingrats. Les écrans peuvent aussi faire du bien !

Michael Stora, psychologue et psychanalyste, est l’auteur de plusieurs ouvrages relatifs aux rapports des enfants au virtuel. Il se présente comme un amoureux de l’image, en prend la défense et tente de déconstruire les idées reçues. Son petit ouvrage Les écrans, ça rend accro… est paru dans une petite collection nommée "Ça reste à prouver". Ce qui reste encore à prouver selon l’auteur, c’est que les écrans et ce qu’ils véhiculent sont dangereux pour les enfants. Sa thèse est qu’ils peuvent aussi faire du bien.

L’originalité de la pensée de l’auteur réside dans l’application clinique tout à fait novatrice qu’il fait de ces écrans. En effet, Michael Stora utilise les jeux vidéos dans son travail clinique avec des adolescents.


Quelques idées reçues quant aux images et aux nouvelles technologies

Le risque du virtuel est, pour l’auteur, avant tout fantasmatique. Leurs détracteurs imputent aux écrans différentes peurs qui leur sont extérieures : violence, absences parentales, individualisme et addiction. Ces représentations sont parfois alimentées par une certaine nostalgie du passé. L’idée que la violence représentée à l’écran puisse faciliter des passages à l’acte est exagérée : elle peut servir de déclencheur mais n’en est pas la cause unique.


Pour une meilleure considération du rôle des écrans dans la construction de soi

L’auteur souligne l’importance de se familiariser avec les codes de l’image qui, bon gré mal gré, prend une place de plus en plus prégnante dans nos vies. Apprivoisée, celle qui peut être un tiers abuseur peut aussi être un tiers réparateur. Ainsi, il existe des films tout à fait profitables pour les enfants, qu’ils aiment visionner et revisionner sans cesse. Cette pratique leur permet de revivre puis de maîtriser les émotions. Le plus important est que les enfants ne soient pas seuls face à l’écran, mais accompagnés, pour leur donner la possibilité de s’exprimer et d’interagir en posant des questions.

Michael Stora donne des exemples de sa clinique, avec les jeux qu’il instaure, permettant aux jeunes d’interagir différemment avec leur environnement. Il montre dans un cas que la "narration sensorielle" du jeu vidéo a permis de révéler un épisode manquant de l’histoire d’un jeune patient. À partir de ce départ narratif, il a été possible au patient d’élaborer une métaphore de l’image maternelle, et le thérapeute a pu noter quelques évolutions chez son patient. Au-delà de ce type d’accompagnement par le thérapeute, l’auteur voit même dans le jeu vidéo une possibilité d’auto-thérapie.

Avec le blog enfin, qui convient aux adolescents en quête d’identité, l’auteur met en exergue les possibilités de réparation narcissique.


L’addiction au virtuel

La dépendance commence quand il est impossible de cesser la consommation d’un produit. Comme toute dépendance, la cyberdépendance vient révéler un problème. Selon l’auteur, la cyberdépendance serait liée notamment à une image de soi défaillante.

Il appartient aux adultes de faire respecter les principes de la vie commune, et de repositionner chacun dans son rôle et sa génération. Les signes avant-coureurs d’une addiction sont la difficulté justement à faire respecter les règles de la vie commune : absence aux repas familiaux, repli sur soi, chute des résultats scolaires. Il faut dans ce cadre que les parents restent attentifs aux changements de comportement de leur enfant.


Parle-t-on vraiment de la même chose ?

À trop vouloir défendre les écrans, l’auteur prend le risque de mettre sur le même plan des médias qui ne permettent pas aux spectateurs d’agir sur leur environnement (la télévision), et ceux qui permettent d’interagir avec des situations (jeux vidéos). Peut-on comparer des outils de rencontre (chat) et des canaux de diffusion d’information (télévision) ? Peut-on comparer la mise en ligne de son journal intime (blog) et la construction d’un univers imaginaire ou merveilleux (jeux vidéos) ?

Ces différents types d’outils n’agissent pas de la même manière auprès de leur public. La mise en récit de soi (blog) a une fonction de narrativité et de participation à la construction d’une identité personnelle, qui ne peut en aucun cas être rapprochée du fait de regarder la télévision.

Cette mise sur le même plan d’outils de communication si différents laisse un peu à désirer. Et s’il est clair que chacune des utilisations qui peut en être faite est intéressante en soi (divertissement, imagination, récit de soi, rencontre, mise en commun…), toute généralisation clinique paraît bien malaisée.

Il est évidemment nécessaire que les métiers de l’enfance s’intéressent aux nouvelles technologies avec lesquelles grandissent les nouvelles générations. Il est tout aussi important que les enfants ne soient pas livrés à eux-mêmes face à ces outils qui prennent de plus en plus d’importance dans les relations sociales actuelles. L’auteur incite clairement à leur accompagnement. Il est clair qu’un enfant a plus de chance de grandir épanoui s’il est à même de naviguer dans ces nouveaux univers, d’en tirer partie et profit, sans en devenir l’esclave. Mais l’apprivoisement des écrans n’est que l’une des difficultés que les enfants rencontrent sur le chemin de leur construction personnelle dans un environnement social complexe.

L’utilisation clinique de nouveaux médias tels que les jeux vidéos, les animaux, les robots, sont autant de pistes étudiées dans la sphère anglo-saxonne comme en France. On sort là certainement du champ de l’exercice traditionnel de la psychanalyse. Mais si des effets positifs sont possibles chez des enfants en souffrance, cela semble tout à fait digne d’intérêt. Ce petit ouvrage a le mérite d’oser proposer des modes de prise en charge thérapeutique nouveaux, en prise avec les nouvelles pratiques enfantines. Reste à savoir si les mêmes effets cliniques qu’il présente ne pourraient pas être atteints par d’autres moyens ? N’y a-t-il pas là l’utilisation d’un medium simplement parce qu’il est du goût de l’auteur ?

Finalement, ne nous y trompons pas : ce n’est pas l’écran qui soigne, mais bien le travail que fait la thérapeute avec l’enfant !


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Crédit photo : nadine_davignon / flickr.com