Dans le cadre de nos Grands Entretiens pour 2012 sur la question du travail, nous avons d’abord rencontré Claude Waret, président de la FIDES (Fédération Inter régionale pour le Développement de l'Emploi Senior). Après un recadrage de la grande faille de l’économie française qu’est l’emploi des séniors, nous lui demandons son avis sur les programmes politiques actuels, ainsi que sur les mesures qu’il faudrait soutenir en 2012.

Nonfiction – On ne cesse de nous dire que la performance et la viabilité de nos économies européennes sont liées au taux d’emploi des séniors. La dernière séquence fut marquée par un lourd conflit sur l’âge de départ à la retraite entre les partenaires sociaux et le gouvernement. Mais si on dresse le bilan de l’emploi des « séniors » en dessous de cet âge légal, que constate-t-on ?

Claude Waret – On constate tout simplement que l’on est très loin du compte. Il suffit de prendre les chiffres disponibles. Que nous disent-ils ? Qu’au 1er janvier 2010 le taux d’emploi des seniors, en France, dans la tranche 55-64 ans n’était que de 39% alors que l’objectif de Lisbonne était de 50% et que le taux de 44.4% a été atteint en Europe. Et même si l’on parle beaucoup de l’emploi des seniors dans le cadre de  la question de la retraite, on ne fait pas grand-chose. En effet, notons qu’entre 2002 et 2010 il y a très peu d’amélioration, puisque l’on est passé que de 36% à 39%, dont un passage entre 2009 et 2010 de 38% à 39%.

Peut-être pourrions-nous nous dire qu’il y a une sorte de fatalité à cela. Cependant, par comparaison, dire que l’on ne peut rien faire est difficile. En effet, en Allemagne la performance est nettement meilleure : le taux est passé de 39% à 56% entre 2002 et 2009. Preuve qu’il y a tout de même des choses à faire.

De même, on entend parfois dire que le taux d’emploi est bas en France sur les 60-64 ans, ce qui est vrai (16.3%). Mais l’attribuer à l’âge de la retraite à 60 ans est difficile à dire, sachant que les français prennent leur retraite en moyenne à 61.5 ans ; et encore plus lorsque l’on sait qu’ils sont hors de l’emploi à partir de l’âge moyen de 58 ans !

Enfin, un dernier chiffre qui devrait nous faire réfléchir sur la situation de l’emploi des séniors, c’est son ampleur et son fait directement français. En effet, concernant les 55-59 ans, leur taux d’emploi en France n’est que de 56.3% en 2008 contre une moyenne européenne de 60%. Nous pouvons donc faire des choses et agir avec les plus de 1 million de 50 ans et plus qui sont hors emploi. Il faut juste rappeler cette réalité et en prendre compte, dire que celle-ci ne cesse de s’accroitre : entre février 2010 et février 2011, le nombre de demandeurs d’emploi de plus de 50 ans, en catégorie A, B et C a augmenté de 14,1%, d’après la DARES.

NonFiction – On parle beaucoup des opérations de testing, notamment pour mettre en relief la réelle discrimination liée à la couleur de peau ou à des lieux de résidence des populations. Sans vouloir faire de ‘concurrence des discriminés’, quelle est la réalité des chances des salariés en fin de carrière de retrouver un emploi ?

Claude Waret – Les inégalités ne sont pas toujours là où on croit qu’elles sont. Il ne s’agit pas de faire une concurrence des inégalités, mais de savoir de quoi nous parlons. Une très sérieuse étude nous renseigne sur ce point, celle du Professeur Amadieu, Professeur à Paris I Panthéon-Sorbonne, qui a créé l’Observatoire des Discriminations. En effet, en 2005, il a conduit un testing en envoyant pour chacun des six candidats aux profils listés ci-après 325 CV avec des compétences identiques.

Les taux de convocation à un entretien sont les suivants :

*Homme blanc de peau 1, 33ans                                    30%
*Homme blanc de peau 2                                                  24%
*Homme de couleur originaire des Antilles                   21%
*Homme d’apparence obèse                                            10%
*Femme d’origine maghrébine                                           9%
*Homme blanc âgé de 50 ans                                            5%

Malgré tout ce que l’on peut dire, c’est bien l’homme de 50 ans qui est le plus discriminé. Lorsque l’on parle de testing, on ne parle que très rarement de la variable de l’âge. Ce n’est pas un tabou, mais on ne le dit pas assez. Alors, une question serait facile : pourquoi ne les emploie-t-on pas ? Mais cette question interroge également la réalité de l’organisation de nos entreprises. Est-on condamné et à ne considérer une personne "productive" qu’entre 30 à 45 ans ? Ou y a-t-il des solutions pour faire s’inverser cette tendance ?

Indépendamment de l’image des quinquas, la mise à l’écart se fonde sur des éléments conjoncturels, entre autres le rajeunissement des effectifs. Ainsi, sous prétexte de diminuer la masse salariale, les entreprises ont embauché des jeunes (à l’exception des moins de 25 ans en raison de leur manque d’expérience). Cette diminution apparente ne prend pas en considération les surcoûts liés à la perte de mémoire de l’entreprise, à la perte de savoir-faire  et à l’absence de connaissance des us et coutumes du métier.

Examinons maintenant les atouts des quinquas pour savoir ce qu’il peuvent apporter à l’entreprise.

- Premièrement, les quinquas sont expérimentés. Leur expérience de l’entreprise et en général du secteur dans lequel ils postulent les aide à comprendre plus rapidement les enjeux et l’organisation de la société, surtout en cas de complexité. Ils sont plus rapidement opérationnels que des plus jeunes moins expérimentés.

- Deuxièmement, les quinquas sont motivés. Compte tenu de la difficulté qu’ils ont à retrouver un emploi, les quinquas sont en général déterminés à faire la preuve de leurs capacités, à s’investir fortement dans l’entreprise. Ils veulent transférer leur savoir-faire et leur savoir-être. Par ailleurs ils veulent se prouver que l’âge n’est pas un handicap comme on voudrait le faire croire.

- Enfin, Les quinquas sont des facilitateurs dans l’entreprise. Ils n’ont en général plus comme seul objectif de monter dans la hiérarchie  Ils attachent plus d’importance au travail des autres, ils savent faciliter, mettre en valeur, former, accompagner, prendre du recul, utiliser l’expérience du passé.

En Allemagne, chez BMW, une expérience a été menée dans l’une des usines sur une ligne de production où personne de nouveau ne voulait aller car elle était constituée de seniors et avait une productivité moindre avec pour conséquence des primes moindres. Il a été proposé aux opérateurs de la ligne de faire des propositions pour organiser la ligne de façon différente, avec, entre autres, des positions plus ergonomiques pour des seniors. Leurs propositions ont été acceptées et mises en œuvre : grâce à leur expérience, cette ligne est devenue la plus productive de l’usine !

Nonfiction – En 2012, il va y avoir une échéance importante, or la place qu’occupe la question des retraites dans les premiers projets de programmes électoraux montre que la question des séniors sera cruciale. Quelles sont des différences de fonds entre les différentes approches politiques de ce problème ? Selon vous, jusqu’où peut aller le politique face à ce genre de problématiques ?

Claude Waret – Bien entendu, la question de la retraite a été cruciale en 2010, elle le sera aussi en 2011 et en 2012. Les positionnements peuvent changer, mais regardons les solutions proposées par l’UMP et le PS.

A L’UMP, nous avons : *Report de la mise à la retraite d’office de 65 à 70 ans ; *Remontée de l’âge de la dispense de recherche d’emploi (DRE) ; *Surcote pour les retraites ; *Restriction des préretraites publiques ; *Libéralisation du cumul emploi-retraite ; *Gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC) ; *Entretien [obligatoire de bilan de carrière, ndlr] à 45 ans ; *Pénalité de 1% de la masse salariale par mois entier non couvert par un accord ou un plan d’action senior à payer aux organismes de recouvrement de l’assurance vieillesse ; *Décharge de cotisations sociales, pendant un an, pour l’embauche d’un senior ; *Tutorat.

Pour bien comprendre le sens de ces mesures, je crois qu’il faut les confronter aux faits. Et si l’on veut savoir de ce qu’il en est de la mise en œuvre de ces mesures en juin 2010 (hors mise en œuvre de la décharge de cotisations sociales qui est plus récente), une étude INERGIE conduite par l’ANDRH (Association Nationale des Directeurs de Ressources Humaines) auprès des DRH de 353 entreprises de plus de 300 salariés a donné les résultats suivants : pour ce qui est de l’engagement formel, cela est plutôt satisfaisant : 86% des entreprises déclarent avoir contractualisé un plan d’emploi des seniors, et ce pour une durée de 3 ans. Mais, il faut bien garder à l’esprit qu’un objectif prioritaire est le maintien dans l’emploi avec des ambitions qui restent très modérées en terme de recrutement : 75% des entreprises ont défini dans leur plan où accord un objectif chiffré de maintien des seniors dans l’emploi, avec pour 43% d’entre elles un objectif de maintien de 100% de la proportion de seniors au sein des effectifs. Seules 19% des entreprises se sont donné un objectif chiffré de recrutement, avec pour la majorité d’entre elles (89%) un objectif de seniors recrutés inférieur à 10% des recrutements.

Certes, beaucoup de choses ont été tentées. Les accords GPEC, notamment, font une large place à la problématique des seniors. Ainsi, dans le cadre de la signature d’un plan où accord, les entreprises se sont majoritairement engagées sur quatre domaines : le développement des compétences et des qualifications (76%), l’anticipation des carrières professionnelles (72%), la transmission des savoirs et des compétences (68%) et l’aménagement des fins de carrière (66%).

Reste désormais à parler d’un programme alternatif. On se tourne alors vers le premier parti d’opposition, le Parti socialiste, qui a exposé son programme, notamment pour l’emploi des séniors, pendant le mouvement des retraites de la fin de l’année dernière. Que nous dit-il ?

Le tout des propositions est encadré dans une négociation triennale de la GPEC (pour les sociétés de plus de 300 salariés) avec des entretiens d’accompagnement des salariés tous les 2 où 3 ans au-delà de 45 ans, des bonus/malus de 1 point de cotisation patronale en fonction de la part des seniors parmi les salariés, la fixation à Pôle emploi d’objectifs chiffrés de retour à l’emploi de seniors par bassin d’emploi, et la mise en place d’un tutorat/binomat en aide pour la recherche d’emploi. Mais à ce jour, comme vous le savez, ces propositions n’ont pas été mises en œuvre, donc il est difficile de conclure. Disons que si il y a une approche assez clairement différente dans les propositions politiques, je pense qu’il faut aller au-delà, compte tenu de l’importance de ce sujet pour l’avenir de notre économie.

Nonfiction – En tant que président de la FIDES, vous avez donc des propositions, je suppose, qui vont au-delà, pourriez-vous nous expliciter en nous disant pourquoi, justement, il faut aller au-delà ?

Claude Waret – Nous avons vu que le taux d’emploi des seniors n’évolue pas malgré les plans du gouvernement et les qualités des seniors. Reste à savoir et à comprendre pourquoi. Pour notre part, nous pensons que la raison est de nature culturelle. Une histoire s’est bâtie au fil du temps, initiée par les préretraites en passant par des périodes d’éloge du jeunisme. Au lieu de buter sans cesse sur ce problème, il faut commencer à le solutionner. Cela passe par un système à double détente : communiquer pour convaincre, sanctionner en cas de non exécution.

Cette approche a été utilisée de manière particulièrement efficace en matière de prévention routière, avec des campagnes de publicité pour convaincre et des radars pour sanctionner. Il faut une campagne de publicité sur l’emploi des seniors. Le fait qu’il n’y en ait pas montre que ce sujet n’est pas considéré comme prioritaire : il y a eu une campagne sur les propositions du gouvernement en matière de retraites ! Et en ce qui concerne les radars, les entreprises de plus de 50 personnes ont dû faire, nous l’avons vu, des plans seniors au 1er janvier 2010 sous peine d’une pénalité de 1% de leur masse salariale. En réalité, ces plans sont plus orientés vers le maintien de l’emploi que vers l’embauche de seniors, et les moyens de contrôle de leur exécution ne sont pas clairs. Au contraire, pour favoriser l’embauche, on propose maintenant de ne pas faire payer, pendant un an, les charges sur le salaire d’un senior embauché. Cela veut-il dire qu’on ne va garder le senior que pendant un an ?

J’avoue préférer une autre formule. Il ne faut accorder de subventions qu’aux entreprises respectant un certain nombre de conditions, dont celle de la part des seniors dans ses effectifs. Ainsi, à chaque demande de subvention, il serait alors possible de contrôler le facteur emploi des seniors.

Ce type d’idée chemine doucement. Ainsi, le parti socialiste a fait deux propositions, dont l’une va dans le sens de la sanction :

*Celle proposant un bonus/malus d’un point de cotisation chômage patronale en fonction de la part de salariés seniors dans l’entreprise,

*Celle demandant de fixer à Pole Emploi des objectifs chiffrés de retour à l’emploi des seniors par bassin d’emploi.

C’est bien dans l’esprit. Mais ayons du courage, allons plus loin, d’autres mesures peuvent nous aider à solutionner le problème. Toute la politique pour l’emploi des séniors doit prendre en compte les éléments suivants, faits de règlementations et d’incitations, au cœur de la gestion dans les entreprises. C’est pourquoi, je préconise pour ma part les mesures suivantes : *Utiliser le système du CV anonyme ; *Faire pression via les partenaires sociaux sur les investissements des caisses de retraite : on n’investit que dans des entreprises éthiques et qui ont un taux correct d’emploi des seniors ; *Maintenir l’employabilité par la formation continue ; *Former les RH au management des seniors ; *Aménager les fins de carrière avec des temps partiel, des retraites progressives ; *Adapter les conditions de travail/pénibilité ; *Encadrer la rémunération des dirigeants et les stocks options… où l’on gagne de l’argent à court terme en licenciant car cela fait monter l’action ! ; *Associer dans les bassins d’emploi les associations de quinquas en recherche d’emploi