Au moment où le printemps arabe semble marquer le pas, une remise en perspectives des spécificités des pays arabes producteurs de pétroles, hors de la région du Golfe, et des spécificités des régimes à avoir bénéficié de cette manne.

C’est le deuxième marronnier du monde arabe : quand il ne s’agit pas du conflit israélo-palestinien, il n’y a en général pas à attendre longtemps avant que la question pétrolière ne vienne faire, au prix d’un exécrable jeu de mots, tache d’huile, et ne teinte l’ensemble des problématiques évoquées. Oui, le monde arabe dispose de certaines des principales réserves d’or noir, dans le Golfe Persique, et dans le Sahara. Ceci étant posé… Le terrain devient rapidement… Glissant, et que n’apparaissent des représentations, des images liées au pétrole, mais qui présentent souvent l’inconvénient d’être trop généralistes, peu explicatives, quand elles ne contribuent pas à enfumer le débat, et ce sera là la dernière facilité de langue de cette critique.


De ce point de vue, le petit livre de Luis Martinez présente un intérêt tout particulier. Ce travail est issu du mémoire présenté lors de son habilitation à diriger des recherches, et ne constitue pas, en soi, une somme. Ce n’est pas là son but. Pour qui a étudié la région (étudié, et non "suivi l’actualité"), les éléments évoqués ne sont pas spécifiquement nouveaux, étant donné que tout l’intérêt du livre tient dans sa remise en perspective de ces données, connues, dans une forme de système explicatif, qui prenne en compte l’importance de la rente pétrolière dans les Etats qui se sont faits les hérauts de la contestation, d’inspiration socialisante, mais intègre cette question de la rente dans une réflexion proprement politique, visant à comprendre les spécificités des évolutions que l’on retrouve dans les trois régimes qui ont dominé l’Algérie depuis l’indépendance, l’Irak jusqu’en 2003, et la Libye jusqu’à… Justement, pour comprendre quels sont, entre autres, certains des ressorts du pouvoir à l’œuvre au sein de la jamahiriyya, et parmi les ressorts de la contestation. Alors que l’intervention occidentale dans ce pays a été aussi contestée justement à cause du flou, de la méconnaissance des équilibres internes et des logiques de pouvoir à l’œuvre dans ce pays, ce livre présente justement l’intérêt, non d’en donner toutes les clés, mais, modestement, et c’est aussi ce qui fait sa valeur, de proposer des éléments de grille de lecture, débarrassés des fantasmes et des effets de manche de part et d’autres, afin, sinon de décider, au moins de mieux comprendre, apprécier, ce qui s’est déroulé, et ce qui est à l’œuvre encore actuellement.


Analogies et spécificités

Si le printemps arabe a montré les aspects de réelle solidarité, et de communion qui peuvent exister entre les peuples des différents Etats concernés, ce livre présente l’intérêt de montrer, dans le cas de ces trois pays, justement les spécificités qui sont à l’œuvre, et qui ont exercé une lourde influence sur leur histoire et ce jusque dans ses développements les plus récents, au travers de trajectoires distinctes, mais parallèles, et encore plus diverses par rapport à leurs voisins dépourvus de ressources pétrolières. Une série de faits sont à l’origine de cette réflexion : au sein du monde arabe, ces trois Etats, potentiellement les plus riches, disposant de ressources abondantes, et de moyens de développement conséquents, aux structures politique non monarchiques, sont également ceux qui ont subi les contrecoups de développement les plus violents, et ont vu se développer des caractéristiques étatiques de prédation, justement autour de la question pétrolière. Parallèlement, ce sont les Etats qui ont eu la plus forte tendance à vouloir se doter des instruments de la puissance militaire, et corrélativement à l’utiliser, ou du moins à le tenter, dans des tentatives hégémoniques régionales, ou contre leurs propres populations. Confrontés tous les trois également à des condamnations extrêmement sévères sur le plan international, condamnations morales et à des sanctions politiques et juridiques, les régimes en place ont également fait montre de capacités d’adaptation, et de ressources pour se survivre hors du commun. Condamnés pour leur gestion extrêmement brutale de la contestation, les généraux algériens demeurent en place depuis le temps de Houari Boumediene, sans que le régime n’ait pu être renversé, même par une guerre civile d’une rare cruauté. Mouammar Kadhafi a survécu à des années de sanctions internationales sans ciller, et combat toujours au moment où ces lignes sont écrites, en dépit d’une intervention occidentale directe et de l’opposition d’une large partie de la population. Le régime baathiste a tenu malgré une guerre douloureuse contre l’Iran, une défaite écrasante en 1991, et plus d’une décennie de sanctions très sévères, et il y a fort à parier que sans l’intervention de 2003, il serait toujours en place à Bagdad.


Un travail d'actualité

C’est à partir de ce constat que l’ouvrage est écrit, mettant en perspectives parallèles les évolutions, depuis les premiers temps du développement effréné de l’époque où la rente le permettait, jusqu’aux contrechocs pétroliers, et aux enjeux posés par le renouveau actuel de la rente. Liant étroitement les aspects politiques et économiques, Luis Martinez parvient à dresser un panorama de ces évolutions parallèles, à la fois pour les régimes en cause, leurs populations, et leur environnement, à commencer par leurs voisins, sur lesquels les tentatives d’influence ont eu lieu, et pour le système européen, qui interagit avec ces pays.


L’ouvrage, en soi, est assez descriptif, innovant essentiellement sur le plan de la mise en perspective de ces évolutions, mais ce faisant, en n’ignorant pas les différences, essentielles par ailleurs, qui sont au cœur des identités des pays concernés. Simplement, il donne des clés de lecture, permet de sortir du carcan des représentations, et propose une ouverture de la réflexion sur les rapports extrêmement étroits qui se sont tissés dans la spécificité de cette histoire récente en prenant en compte les caractéristiques essentielles qui ont été au centre de l’autoreprésentation, et de la présentation de ces pays à leurs partenaires et adversaires. Si l’un des régimes concernés est aujourd’hui tombé, et un autre fortement contesté, cela ne diminue en rien l’intérêt de la recherche. C’est là aussi l’intérêt d’un travail qui prend en compte cet entrelacement sur le temps moyen, permettant d’isoler des dynamiques profondes qui ont été à l’œuvre, et couvrent les phénomènes de rémanence et de vécu de ces dimension par les populations concernées : on ne vit pas de la même façon le retour de l’abondance pétrolière après des sanction et un contrechoc économique.

 

Invitation à une recherche plus approfondie

L’ouvrage reste court, et est à prendre largement comme une invitation à de nouvelles recherches, permettant d’approfondir cette dimension vécue, au quotidien. Par son format, il s’agit davantage de pistes de réflexion ouvertes et permettant au lecteur d’appréhender des éléments qu’il connaît en les remettant en perspective, l’invitant ainsi à interroger sa compréhension immédiate des phénomènes à l’œuvre, sans plaquer sur eux ce qui lui vient immédiatement à l’esprit, du "Dutch disease" aux courses aux armements. A lire l’ouvrage, l’auteur apparaît comme étant davantage un spécialiste du Maghreb que du Moyen-Orient, ce qui fait que parfois, le lecteur aimerait davantage, et reste parfois un peu sur sa faim. Mais une faim salutaire, qui ouvre réellement la porte à un débat. Non un autre de ces débats sur la lutte contre la pensée unique, ou l’on s’affronte à coups de références et de storytelling sur une région qui est déjà saturée de souvenirs et de récits. Avant tout, un débat de recherche, et une prise en compte, essentielle, fondamentale, des spécificités de l’objet de recherche.


Il s’agit d’un exercice difficile, et ce livre offre des perspectives à cet égard. Un exercice nécessaire aussi, qui évite l’écueil de rester trop près de son objet, se contentant de le décrire par le menu, tout autant que celui de rester dans des théorisations certes séduisantes, mais qui perdent contact avec le réel, et doivent par la suite faire des acrobaties intellectuelles de haut vol pour garder un minimum de crédibilité. Un travail de recherche, en somme, mais qui soit accessible, et qui propose, si peu que ce soit, un système de compréhension. Que ce système fasse débat… Tant mieux : après tout, c’est le titre de la collection où il est publié. Et il y aura sans doute besoin d’approfondir ce travail, afin de le coupler à d’autres dimensions de compréhension. Mais nous avons là un ouvrage modeste, dans le meilleur sens du terme, qui, si évident que cela semble, tente de dire, avec ses moyens, parfois ses manques, que l’Algérie, la Libye et l’Irak ont connu des régimes autoritaires. Que ces pays ont des ressources pétrolières. Mais surtout, ce que cela signifie, d’être un régime autoritaire pétrolier dans le monde arabe, et ce que cela implique sur place, et ici