Claude Rabant, psychanalyste, aborde à la fois le déni comme un mécanisme dynamique dont la présence est nécessaire dans le processus de maturation de l'enfant mais dont les implications et les conséquences sont variables selon l'objet du déni.

Ouvrage réédité, publié en 1992, écrit par Claude Rabant, ancien élève de l'ENS, agrégé de philosophie, psychanalyste membre de l'école freudienne avant sa dissolution puis cofondateur du cercle freudien, directeur de la revue patio, puis de la revue internationale de psychanalyse.

La pratique clinique dans un service d'urgences accueillant des patients en situation de crise, souvent suicidaire, mais pas seulement, m'a conduite à me plonger dans l'ouvrage de Claude Rabant : Inventer le réel, le déni entre perversion et psychose. L'ouvrage, publié en 1992, vient d'être réédité à l'occasion de la sortie du nouveau livre de l'auteur, Métamorphose de la mélancolie.
La rencontre aux urgences avec les patients, dans ce moment particulier où leurs moyens de défense sont ébranlés, permet d'entrevoir certains conflits psychiques, probablement moins accessibles habituellement. Il n'est pas rare alors de percevoir ce qui semble être l'objet de déni dans le discours des patients. Ainsi le titre du livre a immédiatement soulevé mon intérêt. Le choix des termes "inventer le réel" laissait penser, de plus, qu'il ne s'agissait pas uniquement de considérer ce qui est soustrait au moi mais aussi comment ce dernier peut construire le réel, avec dès lors, une dimension créative.

Le texte de C. Rabant est très riche dans sa sémantique et dans la précision sur les différents concepts employés et leurs mises en lien dans les raisonnements, probablement à l'image de cette fécondité du déni qu'il veut transmettre. Il serait impossible de revenir sur l'ensemble de la pensée qu'il développe. Ainsi tous les éléments de son propos ne seront pas abordés ici, ce qui forcément altérera les raisonnements évoqués ; en espérant cependant éveiller l'intérêt de futurs lecteurs.

L'ouvrage est un essai sur la question du déni, de ses mécanismes, de ce qu'il implique et de la manière dont il se décline, notamment dans le fétichisme et dans la psychose. Il s'adresse en premier lieu, de notre point de vue, à des personnes ayant un minimum de connaissances dans les théories psychanalytiques.
C. Rabant se positionne en tant que psychanalyste. Les implications dans la cure analytique de certaines de ses réflexions apparaissent au long du texte. Néanmoins il nous semble qu'il s'agit plus d'éléments en lien avec la réflexion principale que celle-ci directement.

L'émergence de la négation dans l'analyse
L'ouvrage débute d'ailleurs sur l'interprétation dans la cure avant d'en venir à la construction analytique. Il s'appuie sur la propre évolution de Freud dans ses raisonnements sur ce travail au cours de la cure.
Il s'agit donc d'abord du travail analytique, de ce qui se joue dans le transfert et le contre-transfert, de son aspect dynamique s'appuyant sur le langage et l'intersubjectivité. C. Rabant insiste plusieurs fois d'ailleurs sur l'aspect éthique de la position d'analyste. C'est dans ce cadre de travail qu'il interroge la question du déni, question qui émerge des énoncés teintés de négation de l'analysant. Le refoulement y figure, notamment dans la dénégation (Verneinung). Mais cela ne représente qu'une partie de la négation du discours que la Verleugnung vient compléter. La Verleugnung comprend dans sa signification un jeu entre trois termes : démentir (dire que cela n'est pas vrai, nier), désavouer (ne pas reconnaître comme sien), dénier (nier absolument, refuser de reconnaître) et peut-être aussi répudier (rejeter, repousser). C'est un concept que Freud élabore déjà et que reprend Octave Mannoni dans son article « je sais bien mais quand même », nous rappelle l'auteur.

C. Rabant développe plus longuement les mécanismes en jeu dans cette Verleugnung, dans le déni en particulier. Le déni apparaît comme un mécanisme de défense mais un mécanisme de défense qui est utilisé dans le processus de maturation de l'enfant. Et de ce fait, il a un rôle dans la structuration de l'individu, plus particulièrement dans sa construction du réel et dans sa relation à ce réel. C'est ici que réside son rôle créatif. Ceci amène l'auteur à s'interroger pour savoir s'il s'agit dès lors d'un processus à défaire ou au contraire nécessaire et fécond...

La Verleugnung de la castration et du « père mort ».
Si la Verleugnung peut porter sur nombre d'éléments, pour l'auteur deux éléments sont principalement concernés : la castration et le "père mort".
Au sujet de la castration tout d'abord, il décrit ce déni potentiel au travers du fétichisme, dans la lignée de Freud, du fétichisme dans une approche théorique large, et non au sens nosographique contemporain d'une déviance sexuelle circonscrite. La Verleugnung préserve le désir de croire au phallus maternel grâce au clivage laissant coexister ce qui devient une croyance qu'il n'existe pas et un savoir qu'il existe. Ce mécanisme empêche l'accès à la signification, à la différenciation des sexes. C'est l'arbitraire du signe, c'est à dire un signe qui par ses caractéristiques permet une équivalence signifiante pour remplacer la différence des sexes, qui désigne ce qui sera le fétiche. Il se manifeste notamment dans le langage utilisé par l'analysant. Il porte en lui "la violence de l'aversion face à la castration et la force du triomphe sur elle"   .

Ensuite l'auteur aborde un point clé de sa réflexion : la mise en boucle du déni. Il s'agit pour lui d'un double déni où le fragment dénié dans le passé est substitué au fragment dénié dans le présent, construction délirante de la psychose, ainsi que l'aborde Freud, sans le développer, dans Constructions dans l'analyse. L'auteur s'interroge sur le fait que le concept lacanien de forclusion corresponde alors à cette mise en boucle. Il formule aussi l'hypothèse que l'objet du double déni dans la psychose est "un fragment concernant la castration et un fragment concernant le "père mort"."   .

La métaphore paternelle.
C. Rabant en vient justement à ce qu'il nomme la métaphore paternelle. Elle est la première métaphore, un acte nécessaire et fondateur introduisant la logique du père. Elle amène de l'altérité et le langage peut s'enraciner dans la différence, la différence des sexes. Elle permet une transmission et l'émergence du phallus, à condition que l'enfant en garde le "medium". Cela requiert aussi que le père se dessaisisse d'une puissance illimitée pour créer la métaphore au sein du désir maternel.
L'auteur parcourt différentes approches de cette métaphore paternelle en s'appuyant sur les concepts de plusieurs auteurs : la grandeur négative reprise par Lacan à partir de Kant, le premier mensonge en reprenant des théories de Wolfson et Kierkegaard.
Dans le développement de la métaphore paternelle, il revient aussi sur l'interdit et la tabou. Énoncer l'interdit fait naître l'écart entre le désir et la jouissance et réalise la fixation de la pulsion. L'interdit et le non-dit forment le tabou. Pour l'auteur, deux issues sont ouvertes au tabou. Il y a la conscience morale (ce qui se prohibe de soi) et l'angoisse (qui dans la culpabilité, répond à l'inconnu), c'est à dire la mise au jour de la jouissance inconsciente qui fonde la loi morale. Il existe aussi l'inscription dans le rêve et le message inversé.

L'orientation du réel.
Pour ouvrir la quatrième et dernière partie de l'œuvre, l'auteur reprend Lacan : « le réel est un ouvert entre le semblant et la réalité, le symbolique et l'imaginaire. » Il en vient à la question de l'orientation du réel, qui n'est pas celle du sens. Cette orientation réaliserait même une forclusion du sens. S'arrimer à une orientation du réel permet de ne pas se perdre dans la polyphonie de l'énonciation. C. Rabant développe son propos sur l'orientation du réel au long de ces derniers paragraphe et termine sur le point essentiel du rôle de la mort, la croyance en la mort, le nom de la mort.

Ainsi l'auteur aborde à la fois le déni comme un mécanisme dynamique dont la présence est nécessaire dans le processus de maturation de l'enfant mais dont les implications et les conséquences sont variables selon l'objet du déni. Il ouvre un champ de réflexion vaste, qui participe d'une certaine difficulté de garder une vision synthétique des éléments théoriques énoncés.