Un essai historique plaisant qui cède le pas à un brûlot politique inégal.

Ancien Premier ministre devenu avocat international, Dominique de Villepin s'imagine encore en président de la République nouvelle génération, mixte de la grandeur gaullienne et du talent populaire chiraquien. En campagne sans le dire, 2012 en ligne de mire, il livre deux livres sous une seule couverture, l'essai historique servant de prétexte au manifeste politique. En voulant parler de l'esprit de cour, l'auteur se perd et tire la couverture à lui, incarnant peut-être ainsi ce qu'il décrit comme la malédiction française.

 

Un essai historique (assez) intéressant

 

Les six premiers chapitres du livre sont de bonne facture : limpides et animés, ils retracent avec un certain brio l'histoire d'une France entravée, desservie et aveuglée par un esprit de cour qui envahit le pouvoir, abaisse les élites et éloigne le peuple. Le récit est bien mené et les exemples sont habiles. Seul bémol : Dominique de Villepin, égal à lui-même, exagère trop souvent et simplifie trop facilement.

 

Avec une certaine nostalgie de l'époque chevaleresque, l'ancien Premier ministre décrit l'esprit de cour comme un abaissement spécifique de la France : l'importance de l'étiquette l'exaspère, le triomphe des favoris le désespère. Au point qu'il fait preuve d'une surprenante mansuétude pour les traîtres avérés au roi que furent le duc d'Epernon, le duc de Guise et le connétable de Montmorency, tandis qu'il se déchaîne contre Louis XIV avec une certaine injustice : on trouvait à côté des courtisans et de leurs bassesses autant de ministres laborieux et de maréchaux valeureux.

 

Mais en parfait connaisseur de cette époque, c'est avec le premier Empire que Dominique de Villepin fait triompher sa thèse, ce qui lui offre un tremplin magistral pour porter un regard acéré sur les Républiques successives et les nouvelles élites que l'auteur assimile, un peu vite et sans précaution oratoire, à la cour moderne.

 

Si la démonstration déborde d'énergie, elle gagnerait cependant à être plus nuancée. D'une part sur l'effet délétère des entourages politiques et de l'esprit de cour : tout pouvoir ne s'immobilise pas sous les rubans et les roueries des courtisans. D'autre part sur la spécificité de la malédiction française : ce qui se passait à Madrid, à Vienne ou à Moscou était-il si différent du Versailles mesquin et du Paris pétrifié que Villepin dépeint ? Rien n'est moins sûr. 

 

C'est le principal reproche que l'on peut faire à l'ouvrage : son auteur voit toujours la France en deuil et les élites en faute. Pourtant, l'histoire ancienne et récente regorge d'exemples contraires : des soldats courageux, des savants vertueux, des entrepreneurs responsables, des écrivains honorables, des fonctionnaires estimables et des responsables publics convenables.

 

Un brûlot politique (plutôt) navrant

 

Après l'essai historique en six chapitres arrive la débâcle : un chapitre 7 fulminant, fallacieux et parfaitement arrogant. Dominique de Villepin essaye d'appliquer sa thèse historique d'antan à la réalité politique de maintenant. Et l'échec est cuisant.

 

Tout d'abord, Charles de Gaulle est naturellement installé dans une grandeur monarchique exemptée de toute cour et de toute dérive subalterne. Certes majestueux, mais pas vraiment véridique. Puis Georges Pompidou est snobé comme une courte parenthèse de l'histoire, après quoi Valéry Giscard d’Estaing est décrit comme symbole absolu de l'esprit de cour, "conjugaison d'une intelligence foudroyante et de petites vanités"   , "étranger aux évolutions de la société française"   et François Mitterrand défini comme le "premier Président de gauche à avoir incarné la dimension monarchique du pouvoir et avoir porté sous sa présidence les jeux de cour à leur incandescence».  

 

Quant à Jacques Chirac ?  Il est le parfait prétexte pour Villepin, qui s'autorise une grande parenthèse sur sa vie à l'Elysée et son action politique ministérielle. Il y expose ainsi sa version des faits sur la campagne électorale de 1995 et sur le fonctionnement de la République sous Jacques Chirac, jamais entachée d'un début de soupçon sur un éventuel phénomène curial. Au contraire, "la première présidence de Jacques Chirac ne fut pas victime d'un excès de cour mais plutôt de son absence."   Il fallait oser ! Qu'est-ce qu'un homme qui a été secrétaire général de l'Elysée puis Premier ministre sans jamais avoir été élu autre chose que délégué de classe, sinon le produit pur et simple d'une société de cour ? Seul le principal intéressé ignore ou feint d'ignorer cette évidence.

 

Car son objectif est ailleurs : démontrer l'effroyable culpabilité de Nicolas Sarkozy comme incarnation ultime de la malédiction française. Pourtant, faire de ce dernier un souverain figé par le protocole et les révérences ne s'impose pas spontanément à l'esprit. Mais qu'importe, Villepin le fait sans nuance, quitte à incarner précisément l'idéal-type du mandarin mesquin qu'il prétend dénoncer.

 

"L'homme n'a pas de surmoi et veut être aimé pour ce qu'il est. Il s'est forgé une vision de la France qui lui ressemble, c'est-à-dire individualiste, avide de réussite sociale et personnelle, obsédée par les biens matériels et indifférente à l'Histoire. [...] C'est oublier que le pouvoir suprême oblige à la hauteur et à l'exemplarité pour espérer commander le respect. Aux antipodes de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy a d'abord dévalorisé la présidence."  

 

Aux antipodes de Jacques Chirac ? Charité bien ordonnée commence par soi-même... Parfois, le mieux est l'ennemi du bien, et ce septième chapitre est superfétatoire. Mais sa conclusion est probablement partagée par beaucoup : "Nicolas Sarkozy a innové en inventant une cour à son image. Elle a la peur comme moyen, l’argent comme fin et le spectacle médiatique comme théâtre de sa mise en scène narcissique. La politique n’y est pas perçue comme un levier, encore moins comme un idéal, mais comme un marché où l’on achète et brade les hommes comme les idées en fonction de l’intérêt du moment."