Un ouvrage inédit dans sa forme, intelligemment conçu, qui rendra bien des services aux paléographes débutants

L’histoire érudite n’est plus à la mode. On lui préfère une histoire problématisée, une histoire à thèses, plus stimulante et de portée plus large que les travaux de pure érudition. L’étude des sources (archéologiques, numismatiques, archivistiques, codicologique) demeure pourtant la base de toute opération historique, et les cursus universitaires auraient tort de délaisser les sciences dites "auxiliaires" au prétexte de favoriser l’esprit de synthèse. En histoire, l’érudition ne suffit pas, mais elle est nécessaire.  On ne peut donc que se réjouir de découvrir le Dictionnaire de paléographie française de Nicolas Buat et Évelyne Van den Neste, propre à familiariser les jeunes historiens modernistes avec les documents d’archives.
L’ouvrage couvre une large période chronologique (XVe-XVIIIe siècles), mais les exemples proviennent pour l’essentiel de documents copiés entre 1550 et 1650. Les auteurs qualifient cette période de "siècle d’or" de la paléographie. L’expression est tout à fait pertinente ; elle aurait néanmoins mérité quelques mots d’explication : ces années correspondent à une phase de transition au cours de laquelle la culture manuscrite française quitte la tradition gothique pour se mettre à la mode italienne. Mais une introduction beaucoup trop courte (2 pages) ne permet pas aux auteurs de développer des réflexions sur la place et la forme de l’écriture dans la France d’Ancien Régime, ni même de livrer au lecteur quelques considérations théoriques ou méthodologiques sur le travail paléographique. Tel n’était sans doute pas l’objet du livre : ce dictionnaire n’est pas un manuel. Il n’a pas pour ambition de dispenser un cours de paléographie ou de remplacer les guides d’initiation déjà disponibles sur le marché. Il constitue en revanche un outil supplémentaire qui accompagnera avec profit les recueils de fac-similés par lesquels les débutants s’initient à la lecture des actes anciens.
On disposait déjà de quelques lexiques de paléographie, notamment des recueils d’abréviations devenus classiques comme le Dictionnaire des abréviations de Chassant (1846) ou le Lexicon abbreviaturarum  de Cappelli (1912). Mais le Dictionnaire de paléographie française n’est comparable à aucun de ces ouvrages. N. Buat et É. Van den Neste offrent aux chercheurs un outil qui dépasse de très loin la simple liste de mots ou le recueil d’abréviations. Accompagné d’une définition, chaque entrée est illustrée par un double type d’exemples : non seulement des fac-similés reproduisant des formes graphiques anciennes (complètes ou abrégées), mais également de nombreuses phrases transcrites, composées en caractères typographiques, qui permettent de situer chaque terme dans son contexte syntaxique et historique habituel.

 


Le Dictionnaire de paléographie française recense quelques mots rares (oblation, javeau, droguet, éclisse…). Il ne constitue pas pour autant un lexique de la langue française d’Ancien Régime. L’ouvrage se compose pour l’essentiel de termes extrêmement fréquents dans les actes – les mots d’usage courant étant justement copiés par les notaires avec moins de soin et faisant fréquemment l’objet d’abréviation. Les définitions accompagnant chaque entrée sont généralement utiles et bienvenues, principalement lorsqu’elles traitent d’usages vieillis. Les deux auteurs ont pris l’heureuse initiative de mettre en évidence quelques unes des formules anciennes qui posent tant problème aux paléographes ("au dit de gens à ce connaissant"). Les nombreuses phrases transcrites données en exemple, toujours datées, composent également un répertoire utile de formules à connaître.
Les fac-similés sont nombreux (en moyenne six par entrée). Généralement bien choisis, ils sont tous datés et présentent des difficultés de lecture variables. Leur intérêt réside surtout dans la révélation d’orthographes anciennes ou dans l’usage d’abréviations. Quelques uns des termes les plus courants (des noms, des verbes, des pronoms, des articles, des prénoms, etc.) font l’objet de planches à pleine page présentant plusieurs dizaines d’exemples en fac-similés. Certaines entrées sont augmentées de développements historiques sur le sens et l’usage d’un mot, qui constituent un effort pertinent de pédagogie. On se prend, du même coup, à regretter que ces petites notules « encyclopédiques » ne soient pas plus nombreuses car leur intérêt est indéniable.
Ce nouvel outil rendra donc bien des services. Cependant, pour toucher le public large d’étudiants et d’amateurs auquel il semble aspirer, ce Dictionnaire aurait gagné à être complété par un cahier d’annexes rassemblant des données utiles sur les monnaies de compte (conversion livres-sols-deniers ; équivalence entre monnaies tournois et parisis), sur le calendrier (date de pâques pour les XVe et XVIe siècles, calendrier révolutionnaire), sur les principales unités de poids et mesures ou sur les manières de chiffrer. Ainsi est-il symptomatique que les chiffres romains soient intégrés à leur place dans l’ordre alphabétique (C, I, V, X), alors qu’il aurait été logique de les rassembler sur une même planche récapitulant les manières de compter et les formes archaïques qui déconcertent souvent les paléographes débutants (« VIxx » pour 120). Évidemment, les paléographes chevronnés n’ont guère besoin de ces informations ; mais il y aurait eu quelque intérêt à les associer à ce dictionnaire pour composer une « boite à outils » du débutant, prête à l’emploi.  
Le Dictionnaire de paléographie française comporte 2000 entrées, 10 000 exemples, 12 000 illustrations. Au total, 654 pages. Une somme. L’ouvrage, pourtant, n’est pas massif : l’éditeur a eu l’intelligence d’adopter un format moyen (14 x 21 cm.), parfaitement manipulable. La colle employée confère au volume une relative souplesse et permet une ouverture aisée ; quant à la couture des cahiers, elle donne une agréable impression de solidité. Un ouvrage destiné à prendre place au rayon des usuels dans les salles d’archives ou les bibliothèques universitaires, un livre appelé à subir de fréquentes manipulations, méritait d’être ainsi fabriqué. Revers de la médaille, son coût (45 €) le rend sans doute difficilement accessible aux étudiants. Ceux-ci gagneront pourtant à le "pratiquer" régulièrement. Et les enseignants auront tout intérêt à conseiller à leurs élèves ce nouveau Dictionnaire de paléographie française.