Le 24 et le 25 mai prochain se tiendra le premier e-G8, initié par Nicolas Sarkozy, à la veille du G8 de Deauville, qui devrait en faire remonter les conclusions.

L’évènement se fait plutôt discret, tablant sur une communication soigneusement ciblée : le chef de l’Etat a ainsi annoncé sur sa page Facebook personnelle la tenue du e-G8, en présence de Rupert Murdoch, Mark Zuckerberg et des dirigeants de Google ou encore de Youtube.

"L’important, c’est la photo", écrit Frédéric Martel dans Marianne, à paraître demain. Un coup de pub pour montrer que Nicolas Sarkozy est "le meilleur ami du Web". L’affiche est alléchante, l’ambition abusive : "Le e-G8 est une plateforme d’expression dans laquelle tous les acteurs du monde de l’Internet vont pouvoir débattre", peut-on lire dans le communiqué. Tous les acteurs du monde de l’Internet ? Pas vraiment. Maurice Lévy, directeur de Publicis et chargé d’organiser l’évènement, a choisi des têtes d’affiche, des grands patrons. Pas de blogueurs, pas de journaux indépendants. Si Arrêt sur Image ne s’étonne guère de ne pas avoir été convié, à Mediapart, on s’interroge : pourquoi est-ce Marie-Hélène Smiéjan, directrice administrative et financière de la revue, qui a reçu l’invitation ? On imagine mal l’Elysée demander à Edwy Plenel de s’asseoir à la table de Nicolas Sarkozy, pour débattre d’"Internet et la croissance économique".

Car ce "e-G8" reste extrêmement sclérosé dans les thématiques qu’il compte aborder, privilégiant avant tout l’impact d’Internet sur l’économie. Un choix qui inquiète Nova Spivack : "L’évènement servira-t-il à rendre les grosses sociétés et les grands gouvernements encore plus gros, ou sera-ce l’occasion de faire entendre la voix des gens, des citoyens du web ?", demande-t-il sur son blog.

Les révolutions arabes ont révélé au grand jour le rôle qu’a pu jouer Internet dans la révolte des citoyens, sinon dans l’émergence de la démocratie. L’administration de Barack Obama a immédiatement senti l’importance de ce nouvel outil de "soft power". Et en France ? En France les choses prennent du temps, surtout lorsque l’Elysée met des bâtons dans les roues de ses ministres. C’est ce que révèle l’article de Frédéric Martel dans Marianne : la décision d’organiser une réunion internationale sur les problématiques liées à Internet a été prise il y a de ça un an et demi, par… Bernard Kouchner.

Petit retour sur les faits : début 2010, au moment de la révolution en Iran, le ministre des Affaires étrangères prend conscience de l’importance d’Internet dans le processus démocratique et l’organisation d’une résistance aux régimes autoritaires. Marianne fait ainsi état de deux notes, datées du 19 février et du 30 avril 2010, dans lesquelles l’équipe de Kouchner affirme que le "numérique doit devenir un outil central de soft power". Le 3 mai, lors de la journée mondiale de la presse, Bernard Kouchner présente son plan d’ensemble pour la liberté d’Internet, la décrétant "enjeu de politique internationale". En juillet, des ONG, des experts et les représentants de 17 pays se réunissent à Paris "pour venir en aide aux cyberdissidents", et créer un observatoire indépendant, qui se proposait même d’héberger en Europe les blogs des dissidents des pays autoritaires. Dans un document confidentiel, Kouchner annonce à la mi-juillet que la France va venir en aide aux "cyberdissidents confrontés à la répression de la liberté d’expression" et réfléchir à une assistance technique pour contourner la censure. Une lettre officielle cette fois, cosignée par Kouchner et son homologue néerlandais, est adressée à une vingtaine de ministres des Affaires étrangères pour programmer deux rendez-vous : une grande conférence le 29 octobre 2010 sur la liberté d’Internet, suivie d’un axe prioritaire sur Internet au G8 de Deauville, celui-là même qui se tiendra les 26 et 27 mai prochains.

Le conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, Jean-David Levitte, va mettre un coup d’arrêt au projet par une note lapidaire. L’Elysée demande à ce que la conférence du 29 octobre aborde en priorité les grands thèmes de la cybercriminalité, des zones de non-droits, et se propose de promouvoir les initiatives de régulation, à l’image d’Hadopi. Kouchner va protester, dans un courrier que Marianne s’est également procuré, arguant avoir le soutien de "très nombreux gouvernements et acteurs de la société civile, qui partagent (son) inquiétude à l’égard de la répression croissante qui s’abat sur la toile".

 

Officiellement, la conférence a simplement été annulée. Mais avec le départ de Bernard Kouchner du gouvernement le 13 novembre, elle sera définitivement enterrée.

Jusqu’à ce que Nicolas Sarkozy lui-même ressuscite l’idée, début 2011, après les cafouillages français autour du Printemps arabe. Mais, des sujets programmés au temps de Kouchner, seuls demeurent le développement économique, la sécurité, la cybercriminalité, la gouvernance d’Internet et Hadopi. Un programme somme toute fidèle à l’idée que Nicolas Sarkozy s’est toujours fait d’Internet : "un territoire à conquérir, à civiliser".

En parallèle, le président de la République prévoit, depuis 2008, la création d’un Conseil national du numérique (CNN). Un rapport de Pierre Kosciusko-Morizet, fondateur de Priceminister.com (et accessoirement frère de NKM) suggérait que ce CNN ait un rôle prospectif et consultatif, et que ses membres, élus, représentent la diversité du monde numérique. L’Elysée en a décidé autrement : les 18 membres du CNN ont finalement été nommés et pour beaucoup choisis parmi les industriels des télécoms, les fournisseurs d’accès à Internet, et les sociétés de commerce électronique. Parmi eux, Franck Esser de SFR, Emmanuel Forest de Bouygues Télécom, ou encore Gabrielle Gauthier d’Alcatel-Lucent. A l’image, finalement, des invités du e-G8, qui ne reflètent en rien la réalité d’Internet. "Mauvais signe pour la démocratie numérique", regrette le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil). Difficile, à l’aune de ces révélations, de rassurer Nova Spivack sur les conclusions que tirera le e-G8 de ces deux jours de "débats"

 

Vous pouvez lire l'article de Frédéric Martel sur Marianne2 : http://www.marianne2.fr/La-diplomatie-Internet-la-volte-face-de-Nicolas-Sarkozy_a206361.html

* Lire le dossier complet de nonfiction.fr sur le numérique