Une nouvelle histoire de l'astronomie alors qu'il y en a déjà tant ? Sortant des sentiers battus, celle-ci démonte les idées reçues et la mythologie qui s'est imposée dans notre vision de l'avancée des connaissances.
 

L'ouvrage de M. Giraud-Ruby est difficile à classer. Dans son genre, c'est un monument. Ses 544 pages couvrent toute l'histoire de l'astronomie, depuis la préhistoire et l'Antiquité jusqu'à nos jours. Mais ce n'est pas une encyclopédie. On y cherchera en vain les grands chapitres classiques qui jalonnent les ouvrages historiques classiques, les événements importants et les "ères" consacrées : celles de Ptolémée, de Copernic, de Galilée, de Newton, d'Einstein ou de Hubble.  Non que l'auteur les ignore, bien entendu, mais son exposition est toute autre : thématique et non historique dans sa structure générale, anecdotique et jamais hagiographique dans sa présentation des hommes et des événements qui ont fait la science.
Anecdotique, avons-nous dit, mais il ne faut surtout pas y voir là une nuance négative ! Car les anecdotes, souvent croustillantes, participent grandement au plaisir immense de la lecture de l'ouvrage. Jamais hagiographiques, avons-nous ajouté, car l'auteur se garde d'élever des statues aux grandes figures de l'histoire astronomique mondiale. Les acteurs de cette histoire sont replacés dans leur humaine condition, et éclairés de façon à faire sortir même leur part d'ombre   ou de pénombre   . D'autres, habituellement ignorés, sont mis en lumière : comme Edgar Poe (dont les lecteurs assidus ne feront certes pas une découverte   en lisant qu'il fut cosmologiste amateur et proposa le premier une interprétation hardie du paradoxe d'Olbers   .

Signe des temps, du désanchantement du monde, de la perte des modèles humains ? Peut-être, mais sans la moindre nuance de tristesse, d'amertume ou de rancœur. Les protagonistes nous apparaissent plus vivants, plus sympathiques, plus proches de nous enfin, que dans bien d'autres ouvrages.  
L'ouvrage s'articule en quatre grands thèmes : définitions du temps et de l'espace ; l'inépuisable curiosité pour l'univers des étoiles ; les remous idéologiques autour des planètes ; la popularité des mythes cosmologiques. Chaque thème est l'occasion d'un "livre", largement indépendant des autres, qui retrace l'histoire de l'astronomie, plus ou moins chronologiquement. Les mêmes événements sont ainsi visités plusieurs fois, avec des points de vue différents.

La première partie met particulièrement bien en valeur la dette dont l'astronomie est redevable envers le commerce, la guerre et la politique, à travers la marine. Car, pour pouvoir naviguer efficacement, il faut savoir déterminer la longitude. Pour cela, il faut connaître l'heure précise. Problème : les meilleures déterminations à long terme de l'heure sont basées sur les méthodes astronomiques, qui à leur tour nécessitent de connaître la longitude. On n'en sort pas - à tel point que "la détermination de la longitude" devient un temps synonyme de "la quadrature du cercle" : un problème insoluble auquel seuls des fous peuvent prétendre s'attaquer. Pourtant, le problème finit par être urgent : des navires sombrent après des erreurs d'estimation de longitude... et quand ce sont des navires militaires, les politiques finissent par débloquer les crédits pour la recherche ! À côté des travaux de perfectionnement des chronomètres, des méthodes astronomiques se mettent en place, basées sur des tables précises des éclipses des satellites de Jupiter.   Ainsi, des considérations militaro-politiques débloquent les crédits qui font avancer la connaissance "pure". Ce lien entre science et politique, société, religion, mysticisme, gloriole, guerre, espionnage, est un souci constant de l'auteur, dont l'une des thèses est que : la connaissance pure est une retombée indirecte des motivations "impures", et non le contraire comme on se plaît parfois à le croire.

Dans la deuxième partie, nous rencontrons les "mordus" de l'astronomie, ceux dont la passion les pousse à consacrer leur vie à la science, quant bien même ils devraient polir à la main des miroirs de 2,5 mètres, au millionième de millimètre près, et les faire monter à dos de mules par des sentiers montagneux d'une étroitesse  effrayante.

Dans la troisième (les remous idéologiques autour des planètes), nous retrouvons les modèles planétaires, de l'antiquité à Copernic ; ils sont expliqués, de manière très précise --- beaucoup plus que ce que l'on lit habituellement   . On comprend notamment pourquoi les anciens modèles fonctionnaient si bien et, surtout, dans quel but : c'était notamment pour pouvoir établir des horoscopes précis !  Jusqu'à Kepler, ça a été la motivation des tables précises de position des planètes. Et parfois, les découvertes tiennent à si peu : Tycho Brahe n'a pu accomplir son formidable travail que parce qu'il avait d'importants fonds, généreusement alloués par le roi Frédéric II du Danemark (le père de Tycho s'étant sacrifié pour sauver son roi de la noyade). Johannes Kepler, dont les motivations étaient profondément mystiques, n'a pu achever son œuvre que grâce à la mort prématurée de Tycho Brahe ; encore la chance était-elle de son côté : deux erreurs de calcul se sont miraculeusement compensées...

De la recherche rigoureuse des nouvelles planètes (Uranus, Neptune) aux phantasmes sur les canaux de Mars, des sondes planétaires aux astéroïdes tueurs (dont on a fini par comprendre l'importance dans l'histoire géologique de la Terre), l'auteur réexplique, à sa façon toujours originale, les grands débats qui ont échauffé les esprits. Il ne se prive pas d'ailleurs d'y ajouter, çà et là, ses propres thèses   , fondées sur ses connaissances en physique, en astronomie, et en géophysique   . Et, parfois, défonce gentiment le décor érigé par la tradition. Ainsi, les cosmologistes modernes, dont le goût pour les outils mathématiques agace l'auteur   sont comparés à des coqs de village pérorant en rêve de gloire... et sont renvoyés dos à dos au mysticisme de Kepler. La mythologie   qui s'est construite autour du Big Bang, des équations d'Einstein, de la théorie des cordes, des Théories du Tout, en prend pour son grade. On se fera l'opinion que l'on voudra sur les idées personnelles de l'auteur   ; mais on sortira convaincu que les coups de pieds (intellectuels) sont toujours bons à prendre