L’heure, en ce début de printemps, est aux bilans. Et le thème de la réforme s’impose comme un des sujets clés de la prochaine présidentielle. Que retenir du quinquennat dans le domaine des réformes économiques et sociales ? 

Les implications de la crise ont certes été majeures. Avec une croissance quasiment nulle en 2008, et une baisse de -2,5% du PIB en 2009, la perte d’activité cumulée, par rapport à la tendance d’avant la crise, s’est élevée à près 5 points de PIB fin 2010. La France sort sonnée de la crise : amputée de 110 000 emplois industriels, elle compte désormais 800 000 demandeurs d’emplois supplémentaires.

Toutefois, la crise n’explique pas tout.

La détérioration historique des finances publiques n’est due que pour moins de la moitié par la crise, selon la Cour des comptes, la politique fiscale est aussi impliquée.

La baisse des impôts n’a pas relancé la croissance mais a grevé les déficits. La hausse du chômage depuis le point bas de mars 2008 aurait pu être mieux amortie, notamment par d’autres choix budgétaires et un plan de relance de l’économie plus équilibré et plus ambitieux. 

Dans le domaine de l’emploi, la politique de "réhabilitation de la valeur travail" a conduit à des réformes au mieux transparentes (telle que la très coûteuse baisse de la TVA dans la restauration ou le démantèlement des 35h), au pire, mal conçues techniquement (charges d’emprunts immobiliers, contrats d’avenir dans les PME, ….), et dont les plus emblématiques même - la détaxation des heures supplémentaires - se sont retournées contre l’emploi, accentuant la segmentation du marché du travail entre les "insiders" qui ont déjà un emploi et les "outsiders" exclus du marché du travail (les entreprises préférant augmenter les heures supplémentaires que d’embaucher).

Certes, "la critique est aisée, mais l'art est difficile". Certaines réformes, depuis 2007, ont dessiné de vraies avancées, telle que la mise en place du Revenu de Solidarité Active, le rapprochement des volets indemnisation et accompagnement de l’Assurance-chômage, les nouveaux moyens dédiés à l’innovation et aux pôles de compétitivité, ou encore l’amorce d’une réflexion nationale sur le financement des investissements d’avenir, notamment. Certaines ont même constituées l’amorce de réelles et nécessaires ruptures avec le passé, telles que la réforme – encore imparfaite - des universités, ou le lancement du Grand Emprunt en faveur des dépenses d’avenir.

Mais au total, la multiplication des réformes dites "structurelles" depuis 2007, dans le champ économique et social, n’a pas accouché de réformes réellement « de structure » de l’économie et de la société française, que ce soit sur le terrain de la re-spécialisation économique, de l’égalité des chances, de la lutte contre les multiples "dualismes" de la société française : entre insiders et outsiders sur le marché du travail, entre patrimoines élevés et personnes vivant de leur seuls revenus d’activité en matière de politique fiscale, entre quartiers aisés et territoires relégués, sur le plan territorial.

Le bilan de la France, tel qu’il se lit en ce milieu d’année 2011, souligne en particulier quatre principaux échecs collectifs de notre pays.



L’échec face au chômage 

La machine "France" ne créé plus d’emplois stables. Entre octobre 2009 et octobre 2010, si 100 000 "emplois" ont été créés en un an , 97 000 l’ont été dans l’intérim ! Les temps partiels subis ont augmenté de plus de 200 000 personnes depuis la crise et les inactifs souhaitant travailler de plus de 100 000. Face à une reprise incertaine, les entreprises ne recréent plus de postes permanents.
Les inégalités face à l’emploi se sont plutôt aggravées depuis 2007. Le nombre de chômeurs de longue durée (plus d’un an) a augmenté de plus de 500 000 personnes depuis septembre 2008 pour atteindre 1,6 millions de chômeurs (sur un total de 2.7 millions de demandeurs d’emplois).
Quant à l’emploi des jeunes, la France possède un taux de chômage de 4 points supérieurs à la moyenne européenne (24,2% contre 20%) ainsi que l'un des coûts du travail peu qualifiés parmi les plus élevés de l'OCDE, ce qui nuit à l'emploi des jeunes sans qualifications. Selon l’INSEE le taux d’emploi a reculé d’un point en 2 ans chez les 15-64 ans.

Avec 15,5 millions de salariés aujourd’hui, le secteur privé n’a toujours pas retrouvé le niveau d’emploi de 2002. Ce qui veut dire que depuis neuf ans et demi la droite n’a créé aucun emploi supplémentaire quand la gauche, de 1997 à 2002, avec Lionel Jospin, en avait créé 2 millions.

Depuis 2007, dans le domaine de l’emploi, la France a fait plutôt moins bien que les principaux pays européens (hormis l’Espagne) alors même qu’elle a connu une récession plus limitée qu’ailleurs en 2009 (-2.5% contre -4.9% en Allemagne par exemple). Plus inquiétant encore pour l’évolution du chômage dans les prochains mois, les amortisseurs sociaux, qui ont joué un rôle essentiel durant la crise, s’essoufflent.

Ce déclin touche tout particulièrement l’emploi industriel.

L’an dernier, plus de 70.000 entreprises ont fermé en France et, depuis 2007, 110.000 emplois dans le secteur industriel ont disparu. Le mouvement de désindustrialisation de notre pays s’accélère : l’industrie ne représente plus que 14% du PIB contre 26% pour l’Allemagne, alors qu’elle représente encore 85% des dépenses de R&D et 80% des exportations de nos biens et services.

Le commerce extérieur a affiché l’an dernier un déficit historique à plus de 50 milliards pour la France contre un excédent de plus de 150 milliards d’euros pour l’Allemagne. Et pour la première fois depuis 20 ans, l’Hexagone a importé davantage d’automobiles l’an dernier qu’elle n’en a exporté. Les taux d’utilisation des capacités de production sont tellement bas que l’investissement ne repartira pas avant plusieurs trimestres.

L’échec dans la lutte contre la pauvreté


La France consacré à ses dépenses sociales 30 % du PIB, le niveau le plus élevé des pays d’Europe avec les pays scandinaves – Danemark, Suède, Finlande – et la Belgique. Mais les pays nordiques affichent des résultats bien meilleurs quant à l’efficacité de leur système social pour réduire la pauvreté. Ainsi, selon les chiffres d’Eurostat, le taux de pauvreté français après transferts sociaux reste stable autour de 13%. Et se rapproche davantage de celui du Royaume-Uni que de celui des pays nordiques, alors que ce dernier pays a un niveau de transferts sociaux inférieur de cinq points au nôtre compte tenu d’une politique fiscale et des transferts beaucoup plus redistributifs globalement, à masses de prélèvements données.
De plus, une étude du Conseil Emploi Revenus Cohésion sociale (CERC) a montré que plus d’un million d’enfants vivent en France sous le seuil de pauvreté monétaire, la plaçant à peine dans une situation moyenne en Europe, loin des scores réalisés par les pays scandinaves.
Le sentiment d’une impuissance de notre pays devant la précarité mine notre cohésion sociale. Le sentiment prévaut que l’ascenseur social joue de moins en moins son rôle. Beaucoup de Français vivent dans l’insécurité, l’angoisse et parfois la peur ; ils se sentent sans avenir. De là bien des crispations.



L’échec sur la croissance


Depuis 2007, en dehors de l’année de crise de 2009 où la France a fait "mieux" que l’Allemagne qui a connu une récession historique de -3.4%, le taux moyen annuel de croissance entre 2006 et 2008 dans notre pays s’est établi +1,6% en moyenne contre 2.2% en Allemagne. En 2010, l’écart a explosé pour atteindre près de 2 points : 1.5% contre  3.6% pour notre voisin. 2011 risque d’être du même acabit.
La productivité par heure travaillée est certes élevée en France – elle l’est même davantage qu’aux États-Unis. Mais elle ne nous permet pas de pavoiser : une fois corrigée du taux d’emploi qui est plus faible en France qu’ailleurs, aux États-Unis, et de la durée du travail, également plus faible, notre performance apparaît inférieure à de nombreux pays de l’OCDE
Le déficit d’investissement, en particulier dans les nouvelles technologies est un second facteur. Dans les toutes dernières années, malgré les promesses éphémères du Plan de relance et du Grand Emprunt, le retard français en matière d’investissement, chiffré par les économistes Charles Wyplosz et Jacques Delpla à 400 milliards d’euros, ne s’est pas résorbé depuis 2007. Il s’est plutôt aggravé.

Dans le domaine de l’innovation et de la formation, la part de l’investissement en R&D dans le PIB (2.08%) reste bien inférieur à l’objectif de 3% établi par l’Agenda de Lisbonne d’ici 2010. Et malgré la mobilisation des instruments mis en place avant 2007 (Pôles de compétitivité, Agence nationale de la recherche, OSEO,…), l'absence de compétitivité de notre appareil productif, notamment de nos PME reste inquiétante.

Aussi significatif est le recul continu de la part des investissements publics dans le PIB hors Grand Emprunt. Hors effets du Plan de relance et du Grand Emprunt, qui ont été financés intégralement par de la dette publique supplémentaire contractée sur les marchés financiers, la part de l’investissement dans le budget ordinaire de l’Etat depuis 2007 n’a pas dépassé 15%, ce qui montre les limites du redéploiement budgétaire au sein des dépenses publiques.

Une crise aiguë des finances publiques

Les années 2007-2011 auront été celles de la plus importante dégradation des finances publiques en France depuis 1945 en temps de paix. Elles apparaîtront, d’ici quelques années, pour ce qu’elles sont : celles d’une véritable explosion des finances publiques françaises : une dette publique doublée en l’espace de 5 ans, des déficits sociaux abyssaux, et un financement de la dette soumis pour plusieurs années désormais à la pression des agences de notation et des marchés.

La crise n’explique que moins de la moitié de cette dégradation, comme l’a souligné la Cour des comptes.  La politique fiscale a été à juste titre pointée du doigt : les baisses d’impôt décidées depuis 2006 (impôt sur le revenu, allègements contenus dans la loi TEPA, TVA sur la restauration, taxe professionnelle, bouclier fiscal , …) ont représenté, à elles seules, près de 20 milliards environ de pertes de recettes pour le budget de l’Etat. L’abandon programmé d’ici quelques mois du bouclier fiscal, qui se voulait le symbole du quinquennat, sonne comme un désaveu paradoxal, révélateur des limites de cette politique.

Cette crise des finances publiques signifie un rétrécissement durable des moyens d’actions des pouvoirs publics. D’autant que dans les années qui viennent, le coût de la dette devrait se renchérir du fait la hausse récente de l'encours et de l'augmentation prévisionnelle des taux d'intérêt

Le dernier rapport triennal des finances publiques du Gouvernement table ainsi sur une hausse de près de 10 milliards des seuls intérêts de la dette française ! Ils passeront de 42,5 milliards en 2010 à 55,2 milliards d'euros en 2013 au détriment des priorités du budget de l’Etat.

Le prochain quinquennat sera placé sous cette lourde hypothèque. La prochaine majorité devra, à l’évidence, et quelle qu’elle soit, réconcilier les Français avec l’idée même de la réforme, pour ouvrir une nouvelle perspective de progrès à notre pays