Ariane Chemin et Judith Perrignon racontent la première nuit du Sarkozysme. Au Fouquet's, une coterie d’intrigants, de patrons de presse, d’idéologues néo-conservateurs et de iagos s'apprêtent à fêter le nouveau président. Qui n'arrive pas. Et Cécilia non plus.
Le livre d'Ariane Chemin et Judith Perrignon commence à la page 11 et se termine à la page 16. C'est long. C'est court.
En cinq pages, tout est dit. Journalistes au Monde et ex-journaliste à Libération, nos deux confrères donnent la liste des invités privilégiés de la "nuit au Fouquet's", cette soirée très spéciale, organisée par Cécilia Sarkozy, le dimanche 6 mai 2007 au soir du deuxième tour de l'élection présidentielle. L'essentiel du livre est là. Et pourtant, rien n'est encore dit.
Guest-list de luxe
La liste des invités est en elle-même un document exceptionnel. On y retrouve essentiellement des amis, des patrons de presse, des patrons tout court. Parmi les heureux élus: Bernard Arnault, le président de LVMH, Vincent Bolloré, PDG d'Havas, Martin Bouygues, PDG de Bouygues, Serge Dassault, PDG du Figaro, Nicolas Beytout (alors encore directeur du Figaro), Jean-Claude Decaux, la mère du président Andrée Sarkozy, l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, et l'inévitable Alain Minc. De nombreux futurs ministres y sont (à commencer par le premier, François Fillon, mais aussi Christine Albanel, Rachida Dati), des sondeurs (Pierre Giacometti d'Ipsos), des animateurs télé (Arthur), quelques rares intellectuels (Nicolas Baverez), quelques sportifs de haut niveau (Denis Charvet), peu d'artistes (Marie-Anne Chazel, Christian Clavier, Johnny Hallyday, Jean Reno), un photographe (Philippe Warrin), un éditeur (Bernard Fixot), l'ancien président de l'opéra de Paris, Hugues Gall, et bien sûr Claude Guéant, Henri Guaino, David Martinon (mais pas Emmanuelle Mignon). Au total, 55 personnes, sans compter les épouses, des amis moins illustres, des gardes du corps et bien sûr... Cécilia Sarkozy.
Une soirée organisée par Cécilia, sans Cécilia
La nuit du Fouquet's devait être la consécration d'une vie, la soirée la plus magnifique de Nicolas Sarkozy - et ce fut, pour lui, l'une des pires. Au Fouquet's, une coterie d’intrigants, de patrons de presse, d’idéologues néo-conservateurs et de iagos s'apprêtent à fêter le nouveau président. Qui n'arrive pas. Et Cécilia non plus.
Ariane Chemin et Judith Perrignon décrivent minutieusement (parfois jusqu'aux moindres éléments du diner), l'organisation de la soirée et son déroulement minute après minute. Cette histoire méritait d'être racontée. Le livre est bourré d'informations mais son style est parfois bâclé, rapide, sans parler des formules faciles ("Neuilly en passant par l'Etoile, arc de son triomphe") ou condescendantes à l'égard des prolos ou des jeunes de banlieue qui traînent sur les Champs Elysées ("les lascars s'attardent, matent et draguent entre les galeries et les fast-food" ; "les gagne-petit s'attablent à la Pizza Pino, s'achètent un rouge à lèvres chez Sephora ou un DVD au Virgin"). D'autres formules sont plus judicieuses ("L'avionneur Dassault est un autre fan du Président: ils parlent la même droite" ; "Bernard Arnault: plus peut-être que Nicolas Sarkozy, c'est leur proximité qu'il aime").
Le livre tourne parfois en rond: on se demande ce qui se passe et on s'ennuie - exactement comme les convives ce soir-là. Car la soirée, justement, ne tourne pas rond: Cécilia Sarkozy n'est pas là, Nicolas non plus. Il l'attend ailleurs et va la poursuivre toute la nuit.
Alors, pour passer le temps, on s'amuse comme on peut - et nos journalistes délayent leurs informations sur de nombreuses pages, comme Malraux qui a fait tout un plat de son entretien de moins de 10 minutes avec Mao comme s'il avait duré des heures !
Ariane Chemin et Judith Perrignon décrivent la société "bling bling" avec minutie. Elles découvrent le monde du luxe. Elles semblent amusées, fascinées - d'autres pourraient être dégoutés. Car derrière l'argent et le luxe, elles ont découvert une chose très inattendue: le mauvais goût. C'est triste - comme une nuit au Fouquet's.
Et voici que Laurence Parisot téléphone. La présidente du MEDEF, que Nicolas Sarkozy tutoie (ils étaient ensemble à Sciences-Po), l'appelle pour le féliciter. Et le nouveau président de répondre: "Pas cette conne ! Elle n'a même pas été capable de rassembler les patrons pour moi !".
Entre en scène, Mme Sarkozy, mère. Elle a tout suivi de la carrière de son fils. Elle dit n'avoir jamais douté. Les convives (et nos deux journalistes) comprennent que ce n'est ni la fascination, ni même l'amour qui parle, mais l'expérience. "Il s'est armé pour ça !", dit-elle. Et nos journalistes de conclure : "Elle sait ce dont il est capable - tout".
Sarkozy est sacré roi et la reine lui impose son absence
Place de la Concorde, la foule s'impatiente: "Mais comment dire à la foule qu'elle attend un homme qui attend une femme qui ne veut pas venir ?". Tout le monde a cru que la place de la Concorde attendait Nicolas Sarkozy, or la vérité, qui éclate dans ce livre, c'est en fait Nicolas Sarkozy qui a attendu Cécilia. Tel est le sujet du livre. C'est incroyable. Et c'est passionnant.
La soirée a été organisée par Cécilia Sarkozy et c'est elle qui a dressé la liste des invités: à "D", pas de Douste-Blazy, à "R" pas de Yasmina Réza, à "S" pas de Laurent Solly - Cécilia Sarkozy n'en a pas voulu.
Ce soir là donc, Nicolas Sarkozy est "sacré roi", écrivent Ariane Chemin et Judith Perrignon, "et la reine lui impose son absence". Les rumeurs les plus folles ont couru dans Paris sur cette soirée. Nos journalistes peinent à dire le vrai du faux et elles se sont même refusées à publier certaines informations croustillantes parce qu'elles n'étaient pas de première main ou pas authentifiées par une seconde source.
La soirée s'éternise. Johnny Hallyday tente de mettre de l'ambiance. Le livre le décrit d'une manière cruelle, avec son beau "sourire fiscal". On sait tout de ses activités ce soir-là et on commence, nous aussi, pauvres lecteurs, à trouver le temps long dans ce tout petit livre qui n'en finit pas.
Arrive le dessert. "C'est le dessert le plus long de la Vème République", écrivent avec humour nos auteurs.
Place de la Concorde, l'ambiance se refroidit. L'ancienne finaliste de la Star Ac', Ness, qui anime sur le cable un "VIP Club", peine à donner vie au podium. Steevy, évadé du Loft, et Miss Dominique, ne s'en sortent pas mieux. La foule veut Sarkozy, ou au moins Cécilia. Quand Bigard annonce l'entrée de celui qui va "chauffer la place", la foule crie : "Johnny ! Johnny !". Mais c'est Gilbert Montagné qui prend le micro...
La scène primitive du Sarkozysme
Au Fouquet's pendant ce temps, entre... Cécilia Sarkozy. Elle a séché ses larmes (le livre ne le dit pas, mais le couple s'est violemment disputé le matin, ce qui explique qu'elle n'est pas allée voter). On l'a dit libre, moderne: en fait c'est tout le contraire. C'est une amoureuse transie ou une femme devenue volage à force d'être désaimée. C'est une femme qui se sait trompée et qui ne le supporte plus. C'est une femme qui ne cherche pas à s'émanciper mais vit au crochet de ses maris. C'est une femme qui se dit indépendante, mais fait tout par dépendance. En une formule habile, Ariane Chemin et Judith Perrignon expliquent: "Cécilia comprend [ce soir là] sous la lumière que partir devient aussi difficile que rester".
Elles la décrivent bientôt au centre d'un cercle, au Fouquet's, entre ses amies. C'est la scène où tout se joue. Nicolas et Cécilia se seraient disputés de nouveau à ce moment-là. On se serait apostrophé et le projet de "retraite" solitaire de Nicolas Sarkozy en Corse fait long feu. Les éclats de voix sont tellement forts que les amies de Cécilia tentent de la calmer ou de parler plus bruyamment pour couvrir ses répliques sévères. Hors de question, pour Cécilia, de partir pour la Corse ; la dispute avec le nouveau président prend de l'ampleur. Une phrase très dure est lancée, reprise sur les blogs depuis. Les auteurs ne la reproduise pas ici, faute d'avoir plusieurs sources de premiere main fiables. En tout cas, c'en est fini de la Corse, et Vincent Bolloré propose opportunément son yacht pour accueillir le couple. "Si vous voulez le Paloma pour vous reposer quelques jours" insiste Bolloré. On connaît la suite.
Ariane Chemin et Judith Perrignon disent tout et en même temps ne disent rien. Au lecteur de décrypter : "Cécilia a ce soir des envies de larges. Sur la mer, pas de paparazzis dans les bosquets, pas de paysages de maquis admirés avec d'autres, pas de passé qui fâche". On notera la subtilité des journalistes qui, contrairement à bien d'autres scènes du livre, sont ici toute en discrétion ("admirés avec d'autres"). "Tope-là. On ménage le secret et l'avenir, sans prévenir la Corse, qui déroule déjà son tapis rouge sur l'aéroport de Figari". Ce sera donc le yacht de Bolloré.
Maintenant, le président peut se rendre à la Concorde où l'attendent Mireille Mathieu, Faudel et Enrico Macias. "Nicolas Sarkozy esquisse un sirtaki, la danse des gens qui ne savent pas danser" écrivent nos deux journalistes, en une formule cruelle. Et efficace.
Vous adorerez maintenant Carla
Depuis que la rupture est consommée et le divorce prononcé, le livre a perdu de sa force. Il confirme toutefois que l'élection 2008 a mis face à face deux candidats - Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal - qui ont voulu, chacun à sa façon, récupérer leur compagnon amoureux. Dans les deux cas, la stratégie n'a pas fonctionné, même si la France a été prise en otage pendant ce temps. Même quand on est élu président, on ne peut pas avoir tout ce qu'on veut, et surtout pas récupérer sa femme. Un drame sourd s'est joué au Fouquet's. L'acte I, scène I du Sarkozysme. Avant Carla Bruni, avant la suite que l'on devine aussi folle, aussi délirante. Vous avez aimé Jacky Kennedy, vous avez désiré Cécilia, vous adorerez maintenant Carla.
La morale de l'histoire - magnifiquement résumée par le très bon titre de ce petit livre : la Présidence Sarkozy n'a pas finie de susciter des passions. Elle est un évènement permanent, une course contre la montre et contre le temps, comme l'avait bien vue Yasmina Réza. Et Cécilia elle-même, l'a bien noté lorsqu'elle confessait à Elle : "Je me suis mise entre parenthèses. Nous étions un couple ordinaire dans une fonction extraordinaire" .
Ce petit livre nécessaire comporte au total 125 pages de 20 lignes en double interligne : à 35 signes par ligne, cela fait moins de 95.000 signes, espaces compris ! Rapporté au prix de l'ouvrage (12 Euros même si vous l'achetez avec la réduction FNAC sur nonfiction.fr), ça fait quand même cher la page ! A ce prix là, Proust est donné et La Chartreuse de Parme, cadeau. Et au lieu de ces livres fleuves qui se lisent dans les trains de nuit, au lieu des livres TGV qui se lisent en un aller-retour Paris-Marseille, Fayard vient d'inventer le livre 'Ligne 1 du métro' : qui se lit entre le château de Vincennes et la Défense : en passant par la Concorde, l'Arc de Triomphe et Neuilly !
Et pourtant cette soirée se devait d'être racontée. C'est un chaînon anecdotique mais significatif de la scène primitive du sarkozysme. Il est d'ailleurs étrange que personne ne l'ait racontée avant, dans un dossier de news magazine ou dans une double page "Horizon" du Monde - auquel ce livre fait penser.
Mais le critique doit arrêter ici sa critique. Il y aurait beaucoup à dire encore, et sur cette longue nuit au Fouquet's, et sur ce petit livre. Mais à trop raconter, on risquerait de signer une critique plus longue que le livre dont on entend rendre compte. Ce serait aussi cruel que ce petit livre. Aussi cruel que ce que Cécilia a fait à Nicolas cette nuit-là au Fouquet's.