A l’heure où le débat relatif à la désindustrialisation s’emballe sur la blogosphère et où les voix en faveur d’un rétablissement du protectionnisme aux frontières extérieures de l’Europe se multiplient, un pronostic récent de l’économie chinoise a de quoi rassurer. Certes, la Chine a doublé le Japon pour devenir en 2010 la seconde économie nationale, et les courbes de sa croissance sembleraient indiquer que, sans fléchissement significatif, elle devrait détrôner les Etats-Unis d’ici deux décennies au plus tard. Mais d’après les projections de Barry Eichengreen (Berkeley), Donghyun Park (Asian Development Bank) et Kwanho Shin (Korea University), le XXIe siècle ne sera pas nécessairement celui de l’inexorable ascension de la Chine se hissant au rang de première puissance dominant sans partage l’économie mondiale. 

En se fondant sur l’exemple de multiples cas de rattrapage économique de divers pays depuis 1957, ces chercheurs ont en effet identifié un seuil au-delà duquel les économies de rattrapage basculeraient – au mieux – dans un modèle de croissance normale. Témoin parmi d’autres de la validité de ce modèle et du seuil très précis de 16 740 dollars de produit intérieur brut (PIB) par habitant (en monnaie constante, aux prix de 2005), la France. Choc pétrolier ou non, elle a franchi ce cap en 1973, plongeant dans une "crise" perpétuelle qui ne serait en réalité qu’un retour à la normale, sur lequel il ne servirait donc à rien de gloser, d’après Jean-Pierre Robin, chroniqueur au Figaro et lecteur de ce rapport. L’exemple des nombreux pays ayant réussi à passer ce seuil tout en accédant au statut pérenne de "pays riche" invitant par ailleurs à le considérer avec sérénité. 

Actuellement, la Chine connaîtrait donc à son tour son "âge d’or", ses "Trente glorieuses" contenant en elles-mêmes l’annonce de leur fin, prévue par ce modèle pour 2015 dans le cas où sa croissance se maintiendrait à un niveau de 10% dans les années à venir. Comme le résume clairement un article de l’hebdomadaire britannique The Economist, dans une situation de rattrapage, "la croissance rapide est facile au début,  car le meneur a déjà tracé une voie claire. Les pays qui se développent peuvent emprunter des technologies existantes aux pays qui sont déjà devenus riches." Paradoxalement, "les économies avancées peuvent être entravées par des infrastructures obsolètes, tandis que les derniers partis peuvent bondir directement au niveau le meilleur et le plus éclatant."

Mais passé un certain point, la progression du développement est d’autant plus menacée que l’économie émergente ressemble à celle qui lui a servi de modèle, alors que les prix agricoles intérieurs croissent  et que se développe un secteur tertiaire dont les gains de productivité sont rarement fulgurants. Le risque de recul est fort, en effet, devant ce second cap identifié par les trois chercheurs, celui de l’innovation. Tout aussi précisément que pour le seuil objectif du PIB par habitant, ceux-ci ont en effet identifié un second seuil, relatif cette fois, qui rend la situation particulièrement difficile pour les économies de rattrapage "dès qu’un pays obtient un niveau équivalent à 57% du PIB de l’économie nationale la plus avancée, celle qui campe "sur la frontière technologique" (les Etats-Unis en l’occurrence)." (J-P Robin)

La question ne serait donc plus tant celle de savoir si la Chine retrouvera un jour une croissance normale – laquelle serait imminente – mais plutôt si elle parviendra à passer ce cap de l’innovation et à accéder au statut durable de "pays riche". D’autant plus que la Chine cumule un certain nombre de handicaps, tels que sa démographie, la faiblesse de sa monnaie et la puissance de la corruption. Des perspectives dont semblent avoir parfaitement conscience les autorités chinoises qui, en dépit des succès récents, tablent sur une croissance de 7% dans l’établissement de son prochain plan quinquennal, et entreprennent de développer leur marché intérieur et les services, soit en définitive d’anticiper sur le modèle économique des sociétés d’innovation

•    “When Fast Growing Economies Slow Down: International Evidence and Implications for China”, NBER working paper, mars 2011


Pour aller plus loin :

-“Growth tends to slow when GDP per head reaches a certain threshold. China is getting close”, The Economist, 14 avril 2011-05-09

-Jean-Pierre Robin, “Le jour où la Chine retrouvera un rythme de croissance normal”, Le Figaro, 2 mai 2011