Tony Kushner, le dramaturge récompensé par le prix Pullitzer pour sa pièce "Angels in America", a vu son nom rayé d’une liste de personnalités en lice pour obtenir une récompense de l’Université de New-York. En cause, les propos qu’il aurait tenus sur Israël, et son attitude générale vis-à-vis de la politique étrangère de l’Etat hébreu. Jeffrey Wiesenfeld, donateur régulier de l’Université, l’a ainsi accusé de supporter le boycott anti-israélien, et d’avoir parlé de "nettoyage ethnique" à propos de la constitution de l’Etat en 1948. Des propos que l’intéressé récuse, affirmant de son côté être "fier d’être juif". Mais la question n’est pas de savoir s’il a effectivement fait ou non ces déclarations. Si la polémique enfle, c’est que beaucoup s’interrogent sur la légitimité d’une université à sanctionner les opinions politiques d’un particulier (ces dernières étant par ailleurs totalement déconnectées de la récompense que Tony Kushner devait recevoir, pour l’ensemble de son œuvre théâtrale).

 

La décision de l’Université de New-York a été fortement critiquée. Benno C. Schmidt Jr, ancien président de Yale a ainsi déclaré que "la liberté de pensée et d’expression était le fondement de toute université digne de ce nom". "Comment pouvons-nous, en tant qu’Américains, s’élever contre la violation des Droits de l’Homme et les atteintes à la liberté d’expression dans certains pays, quand nos institutions américaines, dont la mission est de représenter les plus hauts idéaux démocratiques et la liberté de pensée, décident de punir un individu pour ses croyances politiques, quelles qu’elles soient ?", a pour sa part dénoncé George Campbell Jr, président de The Cooper Union for the Advancement of Science and Art. Trois personnalités, dont Michael Parley et Judith Pasternak, ont décidé de rendre leur prix à l’Université de New-York en signe de protestation.

 

Tony Judt, historien londonien d’origine juive, a beaucoup dénoncé à la fin de sa vie l’amalgame fait entre "antisémitisme" et l’opposition faite à la politique d’Israël. En 2006, son intervention au consulat de Pologne sur le thème : "Le lobby pro-israélien et la politique  étrangère américaine" est annulée quelques minutes avant le début. Le consul de Pologne affirmera par la suite avoir été contacté par plusieurs organisations juives, dont le Comité juif américain, qui s’inquiétait du caractère anti-israélien du propos. 

 

Jeffrey S. Wiesenfeld, lui, s’est défendu en disant qu’il condamnait le mot "nettoyage ethnique", qui dressait un parallèle hasardeux et dangereux entre Israël et l’Allemagne Nazie, la Bosnie ou le Rwanda. Une attaque frontale que l’on ne peut permettre, dans la mesure où Israël est «le seul pays démocratique de la région». 

 

Nous abordons là le point d’achoppement, selon Peter Breinart du site The Daily Best. Pour lui, cette polémique autour de Tony Kushner pose une seule question : peut-on encore débattre au grand jour de la nature et de la légitimité étatique d’Israël ? Peter Breinart résume la pensée de Tony Kushner ainsi : pour lui, un gouvernement démocratique ne peut souffrir aucune affiliation ethnique ou religieuse. Par conséquence, même si Israël arrêtait la colonisation, il n’en deviendrait pas plus démocratique, puisqu’il resterait avant tout un Etat "Juif". Une position fermement critiquée par le journaliste du Daily Best,  et ce pour trois raisons. La première est qu’Israël n’a pas été créé comme un Etat, mais comme un refuge pour les Juifs du monde persécutés : en ce sens, il est nécessairement lié au Judaïsme. La deuxième est que les Palestiniens qui vivent dans l’Etat d’Israël (selon les frontières de 1967) ont "plus de droits et de liberté que dans n’importe quel autre pays arabe". Enfin, selon l’auteur, la création d’un Etat binational (sur le modèle de la Belgique) est absolument irréalisable après "un siècle de guerre" entre Israéliens et Palestiniens. 

 

Selon Peter Breinart, il n’y a que deux positions intellectuelles viables et "honnêtes". Soit l’on croit fermement à un état "à la fois juif et démocratique", et l’on combat activement tous ceux qui prétendent le contraire, soit l’on élargit le débat et on accepte la discussion avec ceux qui veulent un "Etat démocratique non-juif", et ceux qui veulent un  "Etat juif non-démocratique". L’un comme l’autre, selon l’auteur, amèneraient des débats plus constructifs et une situation plus satisfaisante que celle que nous vivons actuellement, dans laquelle "des personnalités comme Wiesenfeld se disent démocrates, mais ne défendent dans les faits que la dimension juive de l’Etat d’Israël"