"Kinder" et "gentler" : deux adjectifs que Russel Shorto, contributeur régulier du New York Times, greffe à Marine Le Pen dans le titre de son article paru sur le site du quotidien américain le 1er mai 2011.
Grâce à son nouveau leader, le Front national enchaîne les sondages dans lesquels sa présence au second tour de l’élection présidentielle est presque systématique. Les actuelles cotes de popularité de Nicolas Sarkozy et l’absence de candidat déclaré à gauche sont, bien entendu, des facteurs explicatifs. Reste néanmoins que la nouvelle présidente du FN a su rafraîchir l’image de son parti et attirer de nouveaux potentiels électeurs. Comment ?
Marine Le Pen est-elle réellement plus douce que son père, ou est-ce simplement le racisme qui est devenu chose banale ? C’est la question que se pose Russel Shorto dans son article, après avoir rencontré la présidente du parti. "Poignée de main agressive" d’une femme déterminée, "vocabulaire abrupt" de quelqu’un qui a beaucoup à faire, Marine Le Pen a sans doute adouci l’image du FN, mais elle n’en reste pas moins une femme d’action, leader d’un parti extrémiste dans lequel elle baigne depuis son enfance. Des virulentes campagnes de presse contre son père à l’attentat perpétré contre l’appartement familial en 1978, la présidente du FN retrace avec l’auteur quelques moments de sa jeunesse qui ont "forgé (s)on caractère et (l)’ont rendue plus forte". Un caractère fort qui lui a permis, il y a une dizaine d’années, de s’imposer dans sa famille comme l’héritière naturelle du mouvement de son père. Et Russel Shorto de rappeler que sa fille s’appelle Jehanne, en l’honneur de Jeanne d’Arc, et son fils Louis, "comme la longue série des grands rois de France".
Pour autant, la présidente du FN a tout de suite voulu marquer une rupture avec Jean-Marie Le Pen et les autres cadres du parti qui, à l’image de Bruno Gollnisch, ont un jour été condamnés pour des propos racistes ou révisionnistes. En refusant de répondre aux journalistes qui la questionnent inlassablement sur les dérapages contrôlés de son père, Marine Le Pen tire un trait définitif sur ce passé qui faisait du Front national un parti peu fréquentable. Son ambition aujourd’hui n’est plus de tenir une rhétorique la plus éloignée possible des grands partis modérés, mais de mener le FN au pouvoir.
Et si les sondages aujourd’hui lui sont favorables, c’est qu’elle a créé cet "équilibre", entre la filiation avec Jean-Marie Le Pen, et le renouveau des discours frontistes. Rester loyale donc, mais prendre ses distances. Marine Le Pen ne manie plus l’antisémitisme, mais se concentre sur la lutte contre l’immigration. A la xénophobie, elle oppose "le sens commun", cherchant ainsi à prendre pour témoin chaque Français, susceptible, par essence, de pâtir de l’immigration. Pour Patrick Lozès, président du Cran, l’ennemi n’est plus "le Juif", mais "le Musulman". Le FN multiplie les attaques contre la communauté musulmane, à peine dissimulées derrière la volonté de barrer la route aux prosélytes islamistes. Le discours se veut républicain sinon laïcard. Marine Le Pen prend l’espace politique là où il se trouve, et le FN change de peau.
La crise économique joue toujours en faveur des partis extrémistes : celle de 2008 ne déroge pas à la règle, et permet au Front national de soigner le sentiment anti-européen très fort en France, en proposant la sortie de l’Euro. Marine Le Pen critique le grand capitalisme et prône un état fort, capable de protéger les citoyens. Son programme économique, même s’il s’appuie toujours sur la préférence nationale et le soutien aux PME, constitue une rupture importante avec la ligne du Front national de son père, fermement antiétatique. L’auteur de l’article affirme qu’aux Etats-Unis, le FN se situerait aujourd’hui à gauche sur l’échiquier politique, par sa volonté de recréer un état fort et protecteur. Le parti de Marine Le Pen a quant à lui déclaré s’être inspiré du livre de Thomas Piketty, sympathisant PS, pour son programme économique.
Tous les partis extrémistes de droite en Europe aujourd’hui suivent le même schéma, mêlant repli identitaire de droite et populisme économique de gauche. Le terme d’ "extrême droite" n’est donc plus réellement approprié pour désigner ces formations. "Peut-être une troisième voie politique est-elle entrain de se créer en Europe", s’interroge l’auteur.
* Russel Shorto, "Marine Le Pen, France's (kinder, gentler) extremist", New York Times, 29 avril 2011.