Un livre très distrayant, qui aborde sur un ton badin des questions profondes sur la nature de l’homme – et du chien.

Ce qui frappe d’emblée dans le livre de Pierre Schulz, c’est la grande créativité terminologique à l’œuvre dès les premières pages : "symbiotisme immatériel", "exopsychisme", "caninoanalyse"… Mais loin de se réduire à un jargon ou de faire l'effet d'une préciosité outrancière, cette conceptualisation sert le propos car elle éclaire d’une lumière nouvelle des facettes souvent peu explorées de l’influence réciproque qui s’exerce entre l’homme et le chien.

L’auteur, médecin de formation et spécialisé en psychiatrie et en neurosciences, brosse en quelques courts chapitres un large tableau des multiples questions soulevées par cette relation, depuis la domestication du chien il y a plusieurs millénaires jusqu’à sa présence actuelle auprès de 10 % des hommes.

 

Une réflexion volontairement bâtarde

Le parti pris assumé consistant à mêler les considérations d’ordre scientifique et celles qui relèvent d’autres disciplines donne au livre un statut hybride, qui laisse une impression de joyeux éclectisme, sans perdre en profondeur. De fait, la sophistication de certains termes confère au texte à la fois scientificité et ironie, tant les exemples choisis, tirés de scènes de la vie quotidienne, peuvent parfois prêter à sourire : la situation dans laquelle un maître s’efforce de faire lever son chien récalcitrant est ainsi qualifiée d’ "asymétrie de projet".

Au gré des différents développements sont exposés les bénéfices et désavantages que chacun tire des interactions qui lient le chien et l'homme. Si la lecture est facilitée par un plan apparent, elle n’en est pas moins très divertissante et aucunement didactique. A la faveur d’une sorte de digression continue, l’auteur nous guide ainsi au travers de questionnements ressortissant à des champs d’étude très divers : le droit ("embrasser en public son chien sur le museau reste exclu de l’entité de zoophilie, telle que définie par la médecine clinique ou la justice"   ), l’éthique ("l’homme a un devoir de protection et d’action bienveillante envers l’animal, sous peine de perdre sa propre humanité en ne contrôlant pas ses pulsions délétères à l’égard du monde vivant"   ), la psychologie ("Admire-t-on le chien pour ce qu’il sait faire ou pour ce qu’il est incapable de faire ou pour les émotions qu’il enclenche chez l’homme ?"   ), la phylogenèse ("de l’homme et du chien, quel est celui qui a domestiqué l’autre ?"   ), la philosophie ("Le chien est un refuge pour l’homme, un accès à une vie pacifiée"   ) ou encore la religion ("Les théologiens ne devraient-ils pas étendre la liste des êtres qui bénéficient d’une âme immortelle au chien et à quelques animaux sympathiques?"   )…

Le domaine de la psychologie fait l’objet des plus longs développements. La notion de "caninisation par addition, par soustraction et par substitution" s’avère par exemple très éclairante pour comprendre les mécanismes psychiques en jeu dans la relation du maître à son chien. Au détour d’un chapitre, les conséquences sociolinguistiques de ces liens sont aussi évoquées, à travers un parallèle révélateur avec la simplification voire les incorrections langagières qui peuvent caractériser les énoncés adressés à un chien ou à un enfant   .

 

Des pensées gambadantes

Le discours est agrémenté de nombreuses références littéraires et philosophiques, convoquées pour illustrer, souvent avec humour, les comportements humains et canins. Pierre Schulz scrute également dans les dernières modes les symptômes d’un phénomène d’humanisation du chien, mentionnant entre autres les défilés de mode canine ou les cours de "doga" (pratique conjointe du yoga par le maître et son chien).

On regrettera seulement que les interrogations les plus fondamentales soient souvent reléguées aux phrases conclusives de chaque partie, sous forme de pirouettes ou de questions laissées sans réponse.

L’exposé final des cinq chemins qui pourraient conduire à la prise de pouvoir des chiens sur les hommes, dont on ne sait quel crédit leur est réellement accordé par l’auteur, prolonge certes la mise en perspective de la notion de domestication, mais semble faire basculer définitivement l’ouvrage du côté de la fantaisie : on y perd le fragile équilibre entre science et imaginaire qui faisait toute l’originalité de ce texte inclassable.

Que l’on possède ou non un animal de compagnie, on sera séduit par les nombreuses pistes esquissées par l’ouvrage, qui ouvrent la voie à une réflexion plus générale sur les relations entre espèces animales, moins cloisonnées qu’il n’y paraît au premier abord, et sur la fonction de consolation que peut ou non assumer le chien pour un homme en proie aux angoisses de l’existence. A cet égard, l’ouvrage lance des idées tous azimuts, sur un mode ludique, comme autant de bâtons jetés au loin à l’adresse du lecteur qui aura l’esprit assez joueur pour courir après…