À l’heure même où l’Italie célèbre le cent-cinquantenaire de son unification, son gouvernement semble jouer un rôle de plus en plus marginal en Europe. Deux sont les dossiers qui, pendant le dernier mois, ont révélé cette marginalité : la gestion de la crise libyenne et de la nouvelle vague de flux migratoires. Rien d’étonnant donc si pendant les deux dernières semaines la presse européenne semble avoir détourné son regard des scandales qui accompagnent la vie privée et publique de Silvio Berlusconi pour se concentrer sur le bras de fer entre l’Italie, la France et l’Europe. Car la crise politique et de leadership que le gouvernement italien traverse à cause des problèmes judiciaires auquels le président du Conseil se trouve confronté entame sa crédibilité auprès des partenaires européens et internationaux. Comme l'éditorialiste Stefano Folli le répète depuis près d’un mois dans la rubrique "Il Punto" du quotidien politique et économique italien Il Sole 24 Ore, “la faible influence de l’Italie sur la scène internationale est sous les yeux de tous (…). Plus le poids politique de notre gouvernement est faible, plus sa difficulté est grande à rester au centre des décisions, à empêcher que les autres décident pour nous ou qu’ils laissent nos requêtes sans réponse”.
Selon Stefano Folli, les tensions qui caractérisent les rapports entre l’Italie, la France et l’Europe au sujet de la feuille de route à suivre pour la guerre libyenne et pour les immigrés qui débarquent chaque jour sur les îles siciliennes de Lampedusa et de Pantelleria contribuent au dévoilement non seulement des inexorables individualismes qui caractérisent les gouvernants de droite des pays membres de la Communauté européenne et du manque d’une politique de cohésion de l’UE dans le domaine des affaires internes et étrangères, mais aussi des contradictions internes au gouvernement italien. Le cadre du nouveau scénario politique euro-méditerranéen est révélateur de la solitude de l’Italie en Europe et accentue la distance entre les ministres du parti de Silvio Berlusconi (PdL) et ceux du parti d'Umberto Bossi (Ligue du Nord) dans la stratégie politique étrangère. Dès la fin du mois de mars, le gouvernement Berlusconi se trouve exposé aux critiques de son allié Umberto Bossi qui commente la décision du gouvernement de prendre part aux opérations militaires en Lybie en la définissant comme une grave erreur stratégique tant du point de vue de l’approvisionnement en gaz et en pétrole que de l’arrivé en masse de nouveaux immigrés. En matière d’immigration, plusieurs représentants de la majorité gouvernementale se sont exprimés sans pour autant parvenir à tracer une ligne politique claire. Si d’un côté les ministres des affaires étrangères et de la défense, Franco Frattini et Ignazio Larussa, s’efforcent de conférer à la péninsule italienne un rôle de protagoniste dans la politique méditerranéenne, de l’autre côté le ministre des affaires internes Roberto Maroni pointe du doigt la Communauté Européenne, coupable, selon ce dernier, d’ignorer les appels à l’aide du gouvernement italien confronté à une intensification “extraordinaire” des flux migratoires et à la fermeture des frontières ordonnée par Paris en réponse à la décision de Rome d’octroyer des permis de séjours et de libre-circulation dans l’espace Schengen de six mois à plus de 20.000 immigrés. Alors même que le ministre Roberto Maroni agite l’article 5 de la directive 2001/55/CE relative aux normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées, Bruxelles lui répond que la péninsule italienne ne se trouve pas dans une circonstance “d’afflux massif” et que la France demeure dans son droit et dans le respect de la convention de Schengen lorsqu’elle ne confère pas le titre de laissez-passer aux détenteurs de permis de séjour délivrés par l’Italie. Cette affirmation de Bruxelles ne fait que conforter l’euroscepticisme de la Ligue du Nord et de ses électeurs. Or, pendant que la querelle entre Maroni et Guéant continue, que Bruxelles démasque diplomatiquement la ruse mise en place par la Ligue du Nord pour essayer de se débarrasser des immigrés clandestins, et que le ministre Frattini poursuit son travail diplomatique tant du point de vue de la politique extérieure que de celui de la politique interne, Berlusconi compte les voix dont son gouvernement peut encore disposer au Parlement pour en garantir la survie jusqu’en 2013 ainsi, et pour assurer la réforme de la justice qui touche aux durées des procès et aux critères de prescription.
D’où la question de Stefano Folli : comment interpréter le silence de Berlusconi sur le bras de fer entre Roberto Maroni et Claude Guéant ? Pour l’instant, il faut l’interpréter à l’aune des échéances électorales imminentes, les municipales du prochain 15 mai. La stratégie de Berlusconi consiste à exaucer La Ligue du Nord et son électorat par des gestes éclatants en matière de politique internationale. Le 14 avril dernier, alors que Londres et Paris réclamaient plus d’avions participant activement aux bombardements des forces kadhafistes en Lybie, l’Italie a annoncé que ses avions continueront à ne faire que du simple repérage de cible.
Entre temps, à un an de l’élection présidentielle et dans l’espoir de récupérer les voix de l’extrême droite, Paris maintient sa posture irréductible face aux questions de politique migratoire et continue à bloquer aux frontières les immigrés qui, munis des permis de séjours délivrés par les préfectures italiennes, tentent d’entrer sur le territoire français.
Pour aller plus loin :
-Stefano Folli, “A Lampedusa e in Europa l’Italia in cerca di leadership”, Il Sole 24 Ore, 30 mars 2011
-Stefano Folli, “Il governo (e la Lega) alla prova cruciale dell'Europa", Il Sole 24 Ore, 8 avril 2011
-Stefano Folli, “Ora su Schengen l’Italia deve scalare il muro franco- tedesco - Napolitano: serve chiarezza sulle regole”, Il Sole 24 Ore, 9 avril 2011
-Stefano Folli, “Il fallimento di Bruxelles è figlio di un’assenza di leadership”, Il Sole 24 Ore, 12 avril 2011
-Stefano Folli, “Il bivio del Governo: l’Europa come opportunità o come ostacolo?”, Il Sole 24 Ore, 13 avril 2011
-Stefano Folli, “Su Libano e Libia il premier pensa alla Lega più che agli alleati”, Il Sole 24 Ore, 16 avril 2011