Alex Leo Serban s’est éteint à Bucarest le 9 avril 2011 des suites d’un cancer de la lymphe. Il avait 51 ans.

Esprit créateur à multiple facettes, Alex Leo Serban a fait ses débuts littéraires dans la Chicago Review en 1976 et publié prose, poèmes, essais et traductions dans les principales revues culturelles roumaines. Après 1989, il s’est imposé comme la voix qui compte dans la critique cinématographique roumaine, ayant soutenu et accompagné les créateurs et présenté le nouveau cinéma roumain à Cannes, Lisbonne, Berlin, Venise, Londres et New York. Enseignant à l’Institut de Cinéma et Théâtre de Bucarest, Alex Leo Serban a été conférencier invité au Lincoln Center et aux universités Humboldt à Berlin, d’Umea en Suède et de Pittsburgh aux Etats-Unis. Ses chroniques ont été également publiées dans Les Cahiers du cinéma, Carta di cinema, Cover Magazine et Film Comment. Il est l’auteur de quatre livres publiés en Roumanie : La Diététique de Robinson (2006), Pourquoi on regarde les films. Et in Arcadia cinéma (2006), 4 décennies, 3 ans et 2 mois avec le cinéma roumain (2009) et, avec Mihai Chirilov et Stefan Balan, Lars von Trier : les films, les femmes, les fantômes (2004). Maîtrisant à merveille le français et l’anglais, il a traduit en roumain, entre autres, Mathieu Lindon, Benoît Duteurtre, Bernard-Marie Koltèz, Samuel Beckett, W. H. Auden et Vladimir Nabokov. Il était membre de la rédaction de nonfiction.fr, fut invité par Bernard Pivot au Double Jeu en 2004 et mit son grain de sel dans l’émission Des Papous dans la tête enregistrée à l’Institut français de Bucarest en 2008.

Si la critique de cinéma et ses chroniques culturelles lui ont apporté la reconnaissance, elles lui ont surtout permis de mettre en œuvre ses nombreux talents : sa vaste culture portée avec légèreté, son don de la parole, son goût pour l’association insolite et, par-dessus tout, son regard curieux, délicat, affectueux, sa capacité à saisir les collages "déjà prêts" que la réalité offrait à ses yeux. Ses photographies ont été exposées à l’Institut français de Bucarest, à New York et dans plusieurs galeries à Bucarest.

En 2009, Alex Leo Serban choisit de s’installer dans un studio du quartier San Telmo, à Buenos Aires. Là, il rédige en français un texte inédit sur Proust, intitulé "La Planète Proust : esquisse d’un journal de lecture" et inspiré par le livre d’Alain de Botton, How Proust Can Change Your Life (1997) ; il écrit des chroniques de voyage sous forme de lettres à ses amis accompagnées d’albums photos ; il observe les gens, les objets, les voitures, les architectures, les charmes, les chats et fait un voyage à Ushuaia, "la fin du monde". À propos de ce lieu, il écrit : "Ushuaia vaut la peine d’être vue, rapidement, puis ‘rayée’. On peut s’en servir comme d’un ‘pont’ vers El Calafate." Des ponts, Leo n’a eu de cesse d’en dresser : entre parole, mot écrit et image ; entre langues, cultures, espaces ; entre culture érudite et culture populaire ; entre art et vie ; et – ami unique par son ingéniosité – entre les êtres auxquels il faisait don de son affection fidèle.

De la famille des grands éclectiques, la personnalité cosmopolite, hédoniste d’Alex Leo Serban émerveillait par l’éclat qu’il offrait à ses interlocuteurs avec le plus grand naturel. "Transformer le naturel en un Style avec beaucoup de délicatesse", écrivait-il dans une série d’articles intitulés "Photo-journal", publiée lors de ses visites à Paris, au début des années 1990. Borgésien dans l’esprit, il imaginait une œuvre d’art qui supplanterait la vie peu à peu : "une œuvre totale, une sorte de cinéma tridimensionnel, odoriférante, palpable : la vie n’a de sens que si elle peut être contemplée comme une œuvre d’art." Son style tranchant dans la subtilité, sophistiqué mais sans prétention, de plus en plus épuré, franc, serein traverse tous les paliers de son œuvre comme un trait. Et par-delà le respect que le film de cette vie inspire, il reste le souvenir d’un étonnement, d’une générosité.



Anca Cristofovici
Paris, avril 2011