En prenant ses fonctions, le nouveau directeur général du Fonds Monétaire International s’est vu contraint de se fixer comme priorité d’imposer un plan de rigueur… au FMI lui-même. En cette année 2007, plongé dans une profonde crise de légitimité, celui-ci est en outre privé d’une grande part de son budget suite au remboursement anticipé de leur dette par nombre de ses débiteurs. Quatre ans et une crise financière et économique mondiale après la nomination à sa tête de Dominique Strauss-Kahn, l’institution basée à Washington est plus que jamais au milieu du jeu du gouvernement économique mondial. Favorisé par ses prévisions audacieusement pessimistes – encore peu écoutées à Davos en 2008 – aussi bien que poussé par le G20, c’est un FMI renouvelé dans sa pensée et dans ses pratiques que son directeur tente de présenter. Dans son numéro de mars-avril 2011, Alternatives économiques revient sur ce retour en grâce, et fait le bilan de quatre années de la vie de l’institution financière mondiale.


Dès 2006 a été lancé un processus d’ouverture du droit de vote devant aboutir en 2012 à un rééquilibrage du suffrage plus conforme à la part accrue de la participation des pays émergeants au capital du FMI. Le bloc des quatre grands pays émergeants (Brésil, Russie, Inde, Chine) sera ainsi passé en six ans de 9 à 13,5% des voix. Mais cette amélioration apparente de la visibilité des nouvelles puissances masque une stratégie de conservation du pouvoir des pays leaders traditionnels, en vertu de laquelle les anciens "espoirs" tels que Argentine, l’Afrique du Sud, etc. ont perdu des voix, tandis que des pays autrement considérés comme "riches" par le FMI sont classés parmi les "émergents". De façon exemplaire, les Etats-Unis ont réussi à conserver grâce à leur inflexibilité un droit de veto de fait qu’ils sont encore les seuls à détenir. Par ailleurs, l’hypothèse un temps envisagée par DSK d’une refonte du système de vote intégrant un second scrutin complémentaire au bénéfice des pays du Sud, mais brouillant la distinction de pouvoir et de légitimité entre pays financeurs et pays débiteurs, a très rapidement été balayée. Ce n’est donc pas véritablement du côté de la légitimité que le FMI a fait peau neuve.


Si l’organisation des votes lors des conciles de l’orthodoxie monétaire et budgétaire n’a pas sensiblement évolué, la mue s’est opérée avec plus d’évidence dans le domaine doctrinal. L’incapacité totale des experts du FMI à anticiper la crise financière jusqu’à 2007 a jeté le discrédit sur son "ultralibéralisme autoritaire" traditionnel, qui imposait à ses analystes d’adhérer au credo de l’autorégulation des marchés, dont l’orientation idéologique n’était que mal cachée par une rhétorique d’une technicité outrancière. Depuis l’échec patent de cette forme d’expertise, on assiste à une ouverture au moins théorique des préconisations du FMI à la régulation des flux de capitaux et des activités bancaires, encore impensable il y a quelques années. Il semble de même que les recommandations du FMI intègrent comme jamais auparavant la préoccupation de l’impact que peuvent avoir sur les sociétés et les individus les mesures imposées. En définitive, la préférence des analystes semble avoir redonné sa faveur à un accroissement de la marge de manœuvre des Etats, et à la stimulation publique de la reprise, même si ce glissement des dogmes n’empêche pas le FMI de rester l’un des plus fervents avocats de la rigueur – voire de l’austérité – budgétaire.


Si cette abdication de l’ascèse est patente dans le discours, les observateurs divergent largement  sur la réalité du changement disciplinaire. Diverses ONG (Eurodad, Third World Network) constatent que priorités et procédés restent inchangés sur le terrain, le FMI exigeant toujours de ses débiteurs des mesures néfastes à leur croissance (Jubilee USA Network). A l’inverse, S. Lütz et M. Kranke, économistes à l’université libre de Berlin, attribuent à DSK un allègement des contreparties exigées des pays est-européens bénéficiaires de l’aide du FMI, qui pâtiraient surtout des contraintes imposées par les institutions européennes. Ce constat est partagé par divers observateurs pour la Grèce et l’Irlande, qui attribuent à la Commission et à la BCE la plus grande âpreté dans les négociations sur la rigueur devant être imposée aux Etats en crise. C’est alors le FMI qui apparaît le plus près de réalités nationales variables.


La crise des subprimes n’aura donc pas seulement permis au FMI de sauver des emplois en son sein. Elle l’aura aussi fortement incité à changer de visage, et de pratiques. Changement discret, et d’avenir incertain, mais qui pourrait inaugurer une redéfinition de son rôle dans le gouvernement économique mondial et l’organisation d’une régulation des flux financiers encore hypothétique.

* Christian Chavagneux, "Le FMI a-t-il vraiment changé ?", Alternatives économiques, avril 2011