Tout en rendant compte de la situation et des données du mal-logement, cet ouvrage permet de comprendre les mécanismes du secteur et des politiques du logement.

Le "mal-logement", chiffres et définition

Symptôme de la précarisation de la société, la "crise du logement" fait écho à celle de la société, comme l’annoncent Didier Vanoni – directeur du bureau d’études FORS-recherche sociale – et Christophe Robert – responsable de la rédaction du rapport annuel sur le mal logement de la fondation Abbé Pierre – dans l’introduction de leur ouvrage Logement et cohésion sociale, le mal-logement au cœur des inégalités. Cet ouvrage de synthèse, nourri par les travaux respectifs de chacun des deux auteurs, propose une définition qui reste volontairement large de la notion de "mal-logement". En effet, il s’agit "de toutes les situations de logement qui ne correspondent pas aux besoins des ménages et ne satisfont pas à des critères acceptables de confort et de décence, critères pouvant être empreints de subjectivité"   . Cette notion permet d’élargir la "question du logement" à des publics variés, et non seulement aux sans-logis, éternels "sujets d’actualité" que chaque entrée dans l’hiver présente à notre regard inquiet et condescendant.

Ce travail dresse ainsi un constat implacable sur la situation du "mal-logement" en France. Reprenant les chiffres du rapport annuel sur le mal logement de la fondation Abbé Pierre, on estime à 3,2 millions le nombre de personnes très mal logées et à près de 6 millions celui de celles considérées comme en fragilité par rapport à leur logement   . Familles, salariés, hébergés chez un tiers, les ménages concernés ne se limitent pas aux cas de grande précarité mais aussi aux membres des classes moyennes précarisées. Cette situation du mal-logement se décline aussi selon les caractéristiques de territoires dont une typologie est proposée aux pages 86-93. Bien qu’un peu scolaire, celle-ci a le mérite de souligner que la misère et l’exclusion sociale ne se limitent pas aux seuls quartiers dits "sensibles".
 

Le "mal-logement", conséquence de politiques publiques contradictoires et aux effets pervers 

Les auteurs insistent sur le fait que le mal-logement trouve sa source dans les inégalités sociales mais aussi dans les dysfonctionnements des politiques publiques (passage de l’aide à la pierre à l’aide à la personne, complexité de la boîte à outil "logement" - loi Engagement National pour le Logement, 13 juillet 2006 - et "injonctions paradoxales" comme la mixité sociale, simple incantation des politiques du logement). Le grand mérite de ce livre est alors de démonter, avec une rare clarté, les mécanismes induits par les politiques du logement. Par exemple, les auteurs mettent en lumière les processus qui mènent à la spécialisation sociale du parc HLM. Ils exposent aussi avec talent les effets pervers des dispositifs d’investissements privés pour la construction de logement social comme le "Robien" ou le "Borloo populaire" : si leur taux de rendement sont, pour les investisseurs, très intéressants, ils ne bénéficient toutefois pas à ceux dont ils sont censés être la cible, c’est-à-dire les ménages modestes. En effet, l’offre immobilière ainsi produite renchérit le coût du foncier et "favorise la constitution de patrimoine plutôt que la satisfaction des besoins sociaux".  

En outre, la redéfinition des rôles et des fonctions des acteurs du logement depuis le début des années 1990 conduit à ce que le système d’acteurs locaux du secteur du logement soit traversé par des contradictions voire des incohérences. Parmi ces incohérences, notons la décentralisation des politiques du logement et les initiatives re-centralisatrices comme celles liées à la rénovation urbaine pilotée par l’agence nationale de rénovation urbaine. À propos des actions de cette dernière, les auteurs attirent l’attention sur certaines dérives comme la baisse de l’offre nette de logement social accessible, le nombre de démolition n’étant pas compensé par une reconstitution suffisante de l’offre. 


Inadéquation de l’offre et de la demande

Les trente dernières années ont vu l’accumulation d’un déficit de 800.000 logements. La récente reprise de la construction, à  un rythme jamais atteint depuis les années 1970 – plus de 410.000 et 430.000 logements mis en  chantier en 2005 et 2006 – comblerait le déficit cumulé au bout de vingt ans. De plus, il faut noter que cette nouvelle offre ne correspond pas aux ressources des ménages de condition moyenne, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public où ont été privilégiés les financements PLS (Prêt locatif social qui vise les classes moyennes) au détriment des PLUS et PLAI (Prêts locatifs à Usage social et Prêt locatifs aidés à l’Intégration), destinés aux catégories les plus fragiles de la population. Pour Didier Vanoni et Christophe Robert, il est urgent de sortir de l’illusion que le système actuel de production de logement répond aux besoins des ménages. À ce propos, la moitié des logements privés avaient en 1990 un loyer équivalent au niveau des loyers HLM contre seulement 6% aujourd’hui. Les produits immobiliers offerts à l’accession à la propriété ou à la location sont donc destinés aux classes moyennes aisées. 

Contrairement aux raisonnements économiques libéraux, les prix ne se régulent pas en fonction de la solvabilité des ménages. De plus, l’aide à la personne, qui représente 14 milliards d’euros par an, est devenue une véritable aide sociale structurelle et ne parvient plus à contrebalancer l’inflation des prix du marché. En même temps, l’effort financier de la collectivité en matière de logement est au plus bas depuis trente ans, il est même passé en dessous du niveau symbolique des 2% du PIB en 2006.   
 

La correction à la marge des inégalités territoriales ?

Les auteurs terminent leur ouvrage sur les défauts de solidarité entre les territoires : les ressources financières des communes sont corrigées à la marge par les outils de péréquation fiscale comme la Dotation de Solidarité Urbaine. En 2001, selon une étude citée du Commissariat général au Plan, le pouvoir d’achat des communes variait entre 1 et 8.500 avant l’intervention des dispositifs de péréquation. En outre, l’application de l’article 55 de la loi Solidarité Renouvellement Urbain (SRU) qui oblige les communes déficitaires en logement social à rattraper leur retard pour atteindre les 20 %, conduit à accentuer les disparités territoriales en matière de localisation de logement social.

Enfin, l’État est devenu garant du droit au logement depuis la loi du 5 mars 2007 dite Droit au Logement opposable (DALO). Ce texte ne se veut pas un texte incantatoire car l’État aura obligation de loger le requérant ou bien il sera condamné à payer des astreintes. Cette obligation de résultat conduit les bailleurs sociaux au dilemme suivant : leur fonction d’accueil des exclus est renforcée alors que les pouvoirs publics leur demandent d’accentuer leurs efforts en matière d’équilibre social au sein de leur parc immobilier, notamment dans le cadre de la rénovation urbaine.


Une synthèse d’une belle clarté

Précis et technique (explication de l’évolution du "taux d’effort", des effets pervers de certains dispositifs comme l’aide au logement des étudiants etc.), cet ouvrage concis est pétri de qualité : la langue est claire et sans fioritures, l’insertion de tableaux de synthèse   et d’encadrés est toujours utile, même si on décèle de-ci de-là quelques coquilles. Le problème du "mal-logement" est l’objet d’un essai de quantification car, pour se saisir pertinemment du problème, encore faut-il pouvoir le cerner avec précision.

Ce livre écrit par des praticiens – il n’a pas de visée théorique et ne constitue pas une banale dénonciation de la situation actuelle – atteint ses objectifs : il rend compte d’une situation indigne pour un pays comme le nôtre, il rend intelligible pour un large public les subtilités et les mécanismes du secteur et des politiques du logement. Il complète donc utilement le rapport sur l’état du mal-logement publié annuellement par la fondation Abbé Pierre.


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crédit photo : gillesklein / flickr.com