Un livre d'actualité sur les conflits d'intérêts et les méthodes pour les prévenir.

Ancien membre du gouvernement et ancien président d'Emmaüs, Martin Hirsch revient avec un essai Pour en finir avec les conflits d’intérêts. Car si l'actualité regorge d'exemples qui font les gros titres des journaux, les conflits d'intérêts sont légions dans le système français. Et pour cause : "pas une seule fois je n’ai eu le moindre enseignement, la moindre séance sur les conflits d’intérêts" témoigne le sémillant énarque.  

 

Avec humour, l'auteur raille d'ailleurs la phrase du cardinal de Richelieu qui disait : "il est normal qu'un ministre veille sur sa fortune en même temps que sur celle de l'Etat."   Mais l'exception culturelle française en la matière ne s'arrête pas là. Car il existe chez nous une sorte de mythologie selon laquelle être honnête permettrait de surmonter tout conflit d'intérêts. Et l'honnêteté reste une notion vague, puis nous vivons dans "un pays où l'on peut se faire réélire triomphalement après avoir été condamné définitivement pour trafic d'influence ou pour corruption."  

 

Mais c'est quoi, un conflit d'intérêts ?

 

Selon Martin Hirsch, Pour en finir avec les conflits d'intérêts, il faut déjà les définir. Or il existe deux conceptions de la chose : "la conception française et celle de presque tous les autres pays et de toutes les organisations internationales."  

 

Pour la doctrine française, c'est assez vite vu : le conflit d'intérêts n'est mentionné nul part, pas même dans le code pénal. Les délits qui existent et qui s'en rapprochent sont la prise illégale d'intérêts, la corruption et le délit de favoritisme. "En d'autres termes, il faut avoir consommé pour être condamnable […] un peu comme si le fait d'avoir de l'alcool dans le sang ne devenait un délit que si un accident intervenait."  

 

A l'inverse, dans la plupart des autres pays, la faute commence en amont, dès lors que l'on est en situation de devoir concilier des intérêts contradictoires, par exemple en siégeant dans une commission qui se prononce sur le sort d'une société avec laquelle on a des intérêts financiers... y compris par le truchement de son conjoint ou de ses enfants.

 

Ainsi, selon le Conseil de l'Europe, "un conflit d'intérêts naît d'une situation dans laquelle un agent public a un intérêt personnel de nature à influer ou paraître influer sur l'exercice impartial et objectif de ses fonctions officielles."   L'OCDE reprend par ailleurs la même définition...

 

Panorama des conflits d'intérêts

 

Pour faire simple, "le conflit d'intérêts, c'est avant tout une contradiction entre son intérêt personnel et l'intérêt collectif que sert le responsable public."   Martin Hirsch propose donc un panorama des conflits d'intérêts possibles, classés par ordre de gravité.

 

Conflits d'intérêts de type 1 : les situations dans lesquelles les décisions prises vont avoir un impact direct sur le revenu ou le patrimoine du décideur, par exemple dans "le cas d'un député rémunéré pour une fonction de conseil auprès d'un organisme professionnel et qui déposera un amendement téléguidé par cet organisme."  

 

Conflits d'intérêts de type 2 : les situations dans lesquelles les décisions prises peuvent avoir pour conséquence un enrichissement du décideur, par exemple quand un député dépose une proposition de loi en vue de baisser les taxes sur les assurances-vie quand lui même possède un fort patrimoine constitué d'assurances-vie.

 

Conflits d'intérêts de type 3 : les situations où les avantages financiers ne concernent pas directement le décideur mais l'organisme auquel il appartient, par exemple quand un chercheur travaille dans un laboratoire bénéficiant de contrats émanant d'une entreprise pharmaceutique tout en siégeant dans une commission de cette entreprise en tant qu'expert.

 

Conflits d'intérêts de type 4 : les "situations où la décision publique est influencée plus qu'elle ne devrait par une amitié, par le souvenir d'un service rendu, par une appartenance à un groupe constitué."   Chacun regardera dans la direction qu'il voudra...

 

Mais alors, comment prévenir les conflits d'intérêts ?

 

Evidemment, Martin Hirsch profite de son livre pour régler quelques comptes et il ne se gêne pas pour agrafer la chemise de Jean-François Copé (qui était président du groupe UMP à l'Assemblée nationale tout en exerçant la profession d'avocat d'affaires) et de Gérard Longuet (qui avait reconnu avoir eu une mission de conseil auprès GDF-Suez alors qu'il présidait le groupe des sénateurs UMP), mais l'essentiel n'est pas là. Il fait surtout neuf recommandations pour "mettre en place des pare-feus efficaces."  

 

Il propose ainsi de créer un "Code éthique des conflits d'intérêts"   et des enseignements sur les conflits d'intérêts à l'ENA et dans les autres écoles de la fonction publique, avec la diffusion immédiate d'une circulaire aux responsables publics sur les conflits d'intérêts pour rappeler les principes de bonne conduite à l'ensemble des agents publics.

 

Concernant les responsables publics, il suggère de rendre obligatoire la déclaration d'intérêts pour les ministres, les parlementaires et les membres des exécutifs des collectivités locales, car "remplir une déclaration d'intérêts oblige à réfléchir à de potentiels conflits d'intérêts"   . Et l'idéal serait même d'étendre cette obligation aux fonctionnaires exerçant des responsabilités "sensibles". Cette déclaration serait assortie d'une disposition anti-cadeaux pour les responsables publics et d'une interdiction de certains cumuls de fonction pour les parlementaires, par exemple en leur interdisant d'être avocat d'affaire ou consultant.

 

Enfin, concernant le secteur privé, Martin Hirsch propose la mise en place d'un "régime d'incompatibilité entre certaines fonctions, sous la responsabilité de l'Autorité des Marchés financiers"   , avec, pour arbitrer le tout, la "nomination d'un commissaire aux conflits d'intérêts comme au Canada"   , qui serait chargé de contrôler et conseiller sur la question des conflits d'intérêts.

 

Les perspectives en France... ?

 

Suite à la parution de ce livre, Nicolas Sarkozy a demandé un rapport sur les conflits d'intérêts à trois magistrats : Jean-Marc Sauvé (vice-président du Conseil d’Etat), Jean-Claude Magendie (ancien premier président de la cour d’appel de Paris) et Didier Migaud (président de la Cour des comptes). Leurs préconisations sont simples : une inscription de cette notion dans la loi, une déclaration d'intérêts obligatoire pour certains acteurs de la vie publique et la mise en place d'une Autorité de déontologie.

 

Puis lors du Conseil des ministres du 9 février dernier, François Fillon a annoncé un projet de loi "dans les toutes prochaines semaines" concernant la prévention des conflits d'intérêts. Cela fait bientôt deux mois... et rien de nouveau sous le soleil