Denise Paranà nous propose une biographie intimiste de Luis Inácio Lula da Silva

L’ouvrage de Denise Paraná, Lula, l’enfant du Brésil, propose une biographie du Président sortant du Brésil, à partir d’une perspective intimiste, centrée sur l’enfance, les émotions familiales et amoureuses vécues par Luis Inácio Lula da Silva. L’œuvre se situe ainsi à la frontière de trois styles, la fiction littéraire, les mémoires présidentielles et l'analyse biographique. Cette interpénétration constitue à la fois l’originalité du projet de l’auteur mais également ses limites.

Inspirée des écrits littéraires nordestins   , Denise Paraná présente la vie de Lula sur un mode fictionnel. Le récit débute par une présentation de l’enfance où les croyances, le magique et la singularité du Pernambouc marquent le quotidien familial. C’est ainsi que les « guérisseurs » sont opposés aux médecins, que les histoires de loups-garous l’emportent sur le réel. L’enfance de Lula est inscrite dans une représentation du Sertão, terre aride marquée par ses propres normes et lois. L’auteur abandonne progressivement l’imagerie mystique lorsque la famille de Lula gagne le Sudeste et s’installe dans l’Etat de São Paulo. Le folkore nordestin laisse place à une histoire moins métaphorique mais tout autant romantique : la pénurie de l’enfance est suivie de la narration des premières amours, personnelles et politiques, de Lula vécues dans le Sud.

Le récit conté est, en outre, marqué par une dimension fortement psychologique. Pour cette raison, cette analyse a été présentée, par certains journalistes brésiliens, comme un travail psychanalytique   . Le souvenir d'une mère aimante et déterminée, Dona Lindu, qui aurait donné à Lula la force d'affronter les épreuves les plus diverses est au cœur de chacune des étapes de la vie du Président sortant. L'ouvrage constitue un hommage à une mère courageuse, n'ayant jamais baissé les bras face à l'adversité. Le récit fictionnel se transforme, ainsi, en mémoires présidentielles bien que l’identité du narrateur ne soit jamais précisée.

L'ambition de l'auteur ne se limite toutefois pas à une restitution littéraire des mémoires de Lula. Son travail est inscrit dans un « minutieux travail de reconstitution historique » par lequel il s'agit d'expliquer la vie d'un homme «  qui [a] réussi à infléchir sa destinée et celle de son pays »   . Denise Paraná propose une analyse biographique reposant sur une méthodologie historique. L’originalité de l’approche privilégiée par l’auteur est de montrer que des trajectoires « exceptionnelles » se construisent sur des histoires ordinaires, parfois malheureuses, marquées par le hasard des rencontres et des situations. L’auteur évoque, par exemple, l’entrée de Lula dans la Centrale Unique des Travailleurs (CUT), en l’analysant moins comme le résultat d’un engagement prédéfini que comme le fruit d’un ensemble d’interactions et de situations, la participation à une grève notamment, qui ont, par la suite, déterminé sa carrière.

Toutefois, en dépit de l’intérêt de cette approche, celle-ci reste, selon nous, inaboutie. Le récit fictionnel et la mise en scène du dénuement informationnel et matériel du Nordeste, quelque peu stéréotypé, ne sont pas sans recouper des représentations sociales et politiques, avec lesquelles l'auteur ne prend pas suffisamment de distance critique. Denise Paraná restitue, en outre, une histoire subjective sans nécessairement s'autoriser à l'analyser. De cette démarche découle une étude centrée sur la psychologie d’un acteur, faisant l’impasse sur les ressources collectives ayant contribué à la construction du mythe Lula. Le rôle joué par une mère aimante et digne constitue, aujourd’hui, tout autant une histoire subjective qu’un discours officiel. Nombreuses sont les interventions au cours desquelles Lula évoque, par cet hommage familial, la singularité de sa trajectoire et sa légitimité à parler au nom des plus pauvres. Le rappel du dénuement familial, dans les discours présidentiels, n’est pas sans lien avec les évolutions des stratégies du PT. La victoire électorale de Lula à la présidence de la République, en 2002, a été rendue possible par un travail de redéfinition de son image, par opposition au leader syndicaliste des années 1990 jugé trop radical. Cette évolution va de pair avec un processus d’individualisation des candidatures du PT et un usage croissant de l’émotion par le parti   . Par conséquent, le mythe Lula constitue tout autant le résultat d’une construction collective, partisane et médiatique, que le fruit d’une trajectoire particulière. C’est toutefois parce que Denise Paraná n’insiste que sur les dimensions individuelles de la  vie du Président sortant que son analyse ne permet pas nécessairement de comprendre comment Lula est devenu l’un des hommes politiques les plus populaires du Brésil.