Dans ce livre, Françoise Hildesheimer explore avec élégance les dernières semaines aussi méconnues  que cruciales d’un roi au bilan mal compris.

 Ce que les historiens préfèrent chez Louis XIII, c’est Richelieu. Partant de ce constat, Françoise Hildesheimer amorce une tentative de réhabilitation d’un roi longtemps méconnu  voire boudé par l’historiographie. Elle-même a déjà abordé son règne  à travers une biographie de Richelieu publiée chez Flammarion en 2004, mais entend désormais rendre justice à un souverain trop longtemps déprécié. Néanmoins, elle sait que retrouver Louis XIII derrière "l’omniprésent Richelieu" n’est pas chose facile. Elle a donc décidé de se pencher sur les six mois séparant la mort des deux hommes, "six mois qui constituent un quasi-vide historiographique".

Dans un style alerte et agréable, Françoise Hildesheimer brosse le tableau d’une Cour bruissant de rumeurs, où chacun manigance pour se maintenir au pouvoir, l’acquérir, ou  éviter la disgrâce. Quelques traits bien contemporains échappent parfois à l’historienne, qui parle par exemple de "réconciliation nationale" : ils viennent souligner la modernité extrême de ce sujet, ou plutôt son intemporalité. Sans doute d’ailleurs est-ce l’une des forces de cet ouvrage, aussi haletant parfois que pourrait l’être une fiction politique du XXIe siècle hantée par des personnages machiavéliques et passionnants.
   
Le livre s’ouvre avec la mort de Richelieu, fidèle serviteur de Louis XIII, haï de la population, devenu odieux à son maître-même, bien que désespérément indispensable. De quoi faire souffler un grand vent d’allégresse à l’annonce de ce décès. Mais, tranche l’auteur, ce n’est que l’expression d’un manque de clairvoyance. Louis XIII choisit en effet de confirmer le bilan de son ministre, manifestant que la politique du cardinal n’est autre que la politique royale. La décision profite avant tout à l’habile Mazarin, "pièce maîtresse de l’échiquier politique" que, selon l’historienne, Louis XIII aurait distingué avant la mort du cardinal premier, et qui s’impose véritablement comme la personnalité saillante dans tout ce livre. Cela n’empêche pas les luttes d’influence, les alliances et les trahisons dans lesquelles la famille autant que les ministres sont des acteurs majeurs.

De décembre à mai, Louis XIII n’en finit pas de ne pas mourir, et alors que la Cour ne songe qu’à la succession, il commence par repousser une fin inéluctable et se prépare à bien mourir : en bon gouvernant, en bon chrétien. Il balaie les traces de la puissance de Richelieu, qu’il en était venu à jalouser terriblement, mais s’agrippe à ses prérogatives pour mieux sauver un bilan politique qui était en vérité le sien, et dont l’historiographie l’aurait dépossédé un peu trop vite. Il lui faut longtemps pour pardonner les révoltes de son frère Gaston (à qui du reste il ne rend jamais une confiance totale) et pour rappeler les exilés. Il ne désire que transmettre intacts à son fils le pouvoir fort et l’Etat stable qu’il a consacré sa vie à construire. Cependant Mazarin louvoie, s’appuie sur Chavigny pour mieux se rapprocher de Gaston, parvient pourtant à se rendre aimable à Anne d’Autriche. Soutient l’ordonnance de Louis XIII  fixant la régence, tout en apaisant la reine déçue. Le roi agonise, la position de la reine s’affermit. Au fil du livre un trio se dessine, séparé par des méfiances et des inimitiés, mais uni autour des intérêts de Louis XIV : cette union entre le roi, l’Espagnole et le cardinal second est la clé de la période, celle qui permet de comprendre la survie de la politique de Louis XIII, sa victoire même alors que son ordonnance est cassée. De longs entretiens entre Louis XIII et Anne d’Autriche permettent enfin, au seuil de la mort, un rapprochement entre les deux époux, qui pour garantir l’avenir de leur fils s’accordent sur le choix de Mazarin, devenu incontournable. Le roi voulait assurer la survie de son Etat et la puissance toute neuve d’un monarque en marche vers l’absolutisme. Il y réussit, par-delà la mort.

Alors Louis XIII est-il un grand roi dont il faut réviser la mémoire ? Un roi de gloire en tout cas qui, assisté de son ministre, s’est voué au service de son Etat. Et quand à l’inverse Louis XIV met l’Etat au service de sa propre gloire, il n’oublie pas de rendre hommage au feu roi son père.  Pourtant, jamais Louis XIII n’apparaît vraiment seul aux commandes ; et Françoise Hildesheimer a beau choisir d’éliminer au sens propre le cardinal premier, c’est pour mieux nous faire assister à l’ascension politique du cardinal second. Mais l’historienne nous met en garde contre des conclusions hâtives. Respectant la psychologie secrète d’un roi qu’il ne faut pas trop vite taxer de faiblesse, elle conclut que l’omniprésence du principal ministre n’est que la marque universelle de la naissance d’un état moderne, un "phénomène transitoire, commun aux grandes puissances européennes dans la première moitié du XVIIe siècle" qui permet "au roi absolu de s’affirmer efficacement comme tel sans altérer son image traditionnelle de justicier et de protecteur militaire", avant de disparaître pour ne plus éclipser le soleil royal. Derrière le ministre, cherchez son souverain…