Le 14 avril, la grande maison du Seuil annonce qu’elle souhaite révolutionner le monde éditorial. Pas question de numérique ici, ni de dématérialisation de l'information, mais un retour au papier, à l'essentiel.

En mettant en vente un nouveau concept, le Seuil semble vouloir en effet revenir aux grandes heures du livre accessible à tous avec comme but affiché de redonner envie de lire, sur papier, pour une somme modique et un encombrement faible. Et c'est donc tout naturellement que ce nouveau concept s’inscrit comme le descendant direct du livre de poche : petit, pas cher et maniable, tous les qualificatifs sont là. Mais avec plusieurs nouveautés.

D'abord le format : 8 cm sur 12 cm. L'objet est minuscule, et, ouvert, il fait exactement la taille d'un livre de poche. Ensuite, le papier. Plus question d'un papier épais – presqu’un papier buvard –  pas forcément de bonne qualité, ici, les textes sont imprimés sur du papier bible, réservé jusqu'à présent soit aux Saintes Écritures soit à la Pléiade et dont l'intérêt est de permettre une ouverture totale de l'ouvrage et une épaisseur réduite. Enfin, la façon de lire. ".2" se lit toujours de gauche à droite, pas d'inquiétude, mais le livre s'ouvre non plus horizontalement mais verticalement, les deux pages n'en formant ainsi plus qu'une, un peu à la manière dont un texte s'affiche sur l'écran d'une liseuse.

Et c'est bien là le credo de cette nouvelle collection : être l'alternative au numérique, une réponse papier à l'arrivée massive des e-books. Il n'y a qu'à voir d'ailleurs la publicité créée pour l'occasion. On y retrouve tous les éléments des publicités bien connues pour l'iPhone et l'iPad. Même le ton est identique.

".2" veut donc concilier le retour au livre papier et l’innovation technologique, en créant un format reprenant allégrement la construction des liseuses tout en semblant se moquer de ces dites technologies, surfant ainsi sur une "rébellion" qui s'affirme de plus en plus.

Car en effet, après avoir nié le développement des nouvelles technologies et minimisé l'arrivée du numérique dans le monde du livre, puis avoir argué que le numérique allait parfaitement s'insérer dans nos modes de lectures et qu'éditeurs et libraires allaient s'y préparer, la nouvelle position d'une partie des professionnels est d'affirmer, railleusement, que le livre papier ne sera pas sacrifié sur l'autel de l'innovation technique, bien au contraire.

Ainsi, ".2", se veut l’une de ces réponses au numérique, par le renouveau du papier. On peut bien sûr s'interroger sur la viabilité de cette "révolution", se demander s'il ne s'agit pas tout simplement d'une nouvelle politique de l'autruche quand on connaît la frilosité de certains éditeurs, et notamment Gallimard face aux nouvelles technologies et moyens de communication. D'autant que cette nouvelle collection regorge d'arguments qui mènent à penser qu'il ne s'agit pas, et loin s'en faut, d'une véritable révolution mais bien d'une vrai-fausse mauvaise idée d'éditeur.

D'abord, la mise en page. Que celle-ci soit bâclée sur les multiples readers, est le plus souvent excusable car la technique est nouvelle et surtout, la navigation permet au lecteur de se repérer bien vite dans son roman. Dans un ouvrage papier, la disparition des titres et l'anarchie dans les numéros de page, qui n'apparaissent qu'une page sur deux, est un peu moins excusable. Ce sont des éléments essentiels qui sont là pour guider le lecteur, pour lui indiquer la progression de sa lecture et leur disparition est regrettable. Ensuite, le prix. Pour un ouvrage tel que Tout est sous contrôle de Hugh Laurie, d'environ 250 pages en poche, il faut compter 11 euros, contre 7,5 euros si vous prenez le format de poche habituel. Ce coût s'explique par la qualité du papier et la création de la maquette extérieure (couverture cartonnée, etc.) mais pour un tel ouvrage, c'est un peu excessif.

Alors, certes, une liseuse coûte environ 150 euros et certes, chaque e-pub acheté vaut un peu plus de 11 euros, mais il ne faut pas se leurrer : readers et livres papier ne jouent pas dans la même cour, n'en déplaise aux éditeurs !

Cet ouvrage, malgré son format innovant, reste un ouvrage unique, un seul texte. Et c'est là tout l'avantage du reader, que ne pourront jamais égaler les ouvrages papiers, même si les éditeurs miniaturisent les livres jusqu'à les publier sous le format de "mini-livres". La possibilité d'emmener partout avec soi jusqu'à 300 titres n'est envisageable que sur un reader ou une tablette numérique et il ne sert à rien de tenter de l’oublier.

Aujourd'hui, aux États-Unis, le livre numérique représente près de 10% des ventes. Ce n'est pas encore imposant mais il est probable que ce pourcentage augmente avec les années.

Le plaisir de la lecture du livre papier est sans doute suffisamment grand pour assurer la survie de ce dernier. Ce débat revient pourtant sans cesse. Les éditeurs, au lieu de nier ces avancées feraient mieux de suivre de près la numérisation de leur fonds tout en continuant à faire ce qu’ils font si bien : diffuser et faire connaître des textes et des auteurs magnifiques. Le reste suivra