Justin Vaïsse, chercheur à la Brookings Institution (Washington) a présenté au CERI, le 29 mars dernier, le "European Foreign Policy Scorecard 2010".

Ce tableau de bord est le résultat d'une certaine perception de la politique étrangère. Certes imparfait d'un point de vue strictement scientifique, il permet cependant d'identifier les points forts et les faiblesses de la politique étrangère européenne. "On est dans le qualitatif, dans le jugement politique. Un indicateur numérique, cela n'existe pas en politique étrangère", a prévenu Justin Vaïsse en présentant son projet développé par le think tank ECFR (The European Council on Foreign Relations) en partenariat avec la Brookings. "On a surtout voulu remettre la politique au centre et lancer le débat", a-t-il dit, accompagné de son co-auteur Hans Kundnani du ECFR.

Le European Council on Foreign Relations a réuni les meilleurs experts sur six thématiques : les relations avec la Chine, la Russie, les Etats-Unis, la "Grande Europe", la gestion des crises et les questions multilatérales et leur a demandé d'émettre un jugement sur les résultats de l'Europe (institutions européennes et Etats membres compris) en ces domaines. Des indicateurs précis ont été définis pour chaque thématique.

Par exemple, les relations avec la Grande Europe comprennent trois chapitres: les Balkans Occidentaux (quel est le résultat de l'UE sur l'Etat de droit, la stabilisation du Kosovo, de la Bosnie-Herzégovine?), la Turquie (où en sont les relations bilatérales, la situation des droits de l'homme, le dialogue sur la question de Chypre?), enfin, le voisinage à l'Est (dialogue sur les droits de l'homme et l'état de droit, les questions de commerce et d'énergie, la libéralisation des visas, la résolution de la question de Transnistrie, du Nagorno-Karabakh…). Ces différents chapitres sont évalués en fonction de trois questionnements: les Européens ont-ils été unis autour d'objectifs clairs? Ont-ils consacré des ressources adéquates pour atteindre ces objectifs? Quel a été le résultat ?

Les chercheurs ont soumis leurs évaluations des politiques et leurs notes à un comité de pilotage réunissant notamment l'ancien Commissaire portugais Antonio Vitorino, l'ancienne présidente de la république lettone, Vaira Vike-Freiberga, mais aussi Jean-Marie Guéhenno, Jaap De Hoop Scheffer, Wolfgang Ischinger, Marta Dassu...

L'UE a-t-elle donc réussi à faire valoir ses intérêts, à promouvoir ses valeurs? "L'année 2010, celle de l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne était censée aussi être celle du triomphe de la politique étrangère. Cela a été finalement l'année du sauvetage de l'euro. Les Européens ont été accaparés par les questions financières. Par ailleurs, les institutions de Lisbonne comme le Service européen pour l'action extérieure ont été mises en place à la fin de l'année 2010. On constate l'ascendant pris par l'Allemagne sur les questions économiques et non pas la montée en puissance de la Haute représentante pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Catherine Ashton. Parallèlement, on remarque aussi que l'Europe commence à s'adapter au changement de l'équilibre des forces, à la montée en puissance des pays émergents".

L'UE obtient sans surprise de meilleurs résultats sur la gestion de crise et le multilatéralisme que sur les relations avec la Turquie par exemple. Ses performances sont également moyennes en ce qui concerne ses rapports avec la Chine. Le tableau de bord confirme que l'Europe est meilleure en matière de "low politics" (commerce, développement, standards et normes, etc.) que dans les sujets de "high politics" (guerre et paix), mais contrairement à une idée reçue, elle n'est nullement absente de ces sujets, et y obtient un score honorable. Pour Justin Vaïsse, "2010 n'est cependant pas l'année zéro". L'UE a "un acquis diplomatique" sur des dossiers comme les Balkans, le changement climatique, l'OMC ou encore la Géorgie.

Le tableau de bord 2011 devrait être étendu aux sujets liés au Moyen-Orient et au voisinage sud qui ne pourront échapper à l'analyse de la politique étrangère européenne en 2011