Entretien avec de Michel Pinçon, sociologue de la grande bourgeoisie et auteur avec Monique Pinçon-Charlot du livre Le Président des riches (La Découverte, coll. "Zones").
Nonfiction : Dans votre livre Le Président des riches vous adoptez une démarche sociologique, objective, dans la veine bourdieusienne. Mais finalement vous n'abordez qu'à la marge la position ou la fonction de Nicolas Sarkozy au sein du champ des ultra-riches. Vous dites que Nicolas Sarkozy, finalement, n'est qu'un pauvre parmi les ultra-riches . Celui-ci n'accède à l'ultra-richesse que de manière indirecte et temporaire du fait qu'il n'est qu'un invité. Mais un invité qui doit remplir une mission au profit des ultra-riches.
Michel Pinçon : Oui, Nicolas Sarkozy est un invité chez les ultra-riches et doit remplir au-près d'eux une mission. Nous disons quelque fois qu'il est le fondé de pouvoir de la grande bourgeoisie, sans toutefois en être membre à part entière. D'abord parce qu'il n'a pas de fortune personnelle, ce qui n'est pas le cas de Berlusconi. Nicolas Sarkozy s'est d'ailleurs attribué avec une certaine maladresse une augmentation de salaire considérable au début de son quinquennat.
Cela dit, il n'est pas le seul en politique. Il y en a d'autres comme Georges Pompidou. Sarkozy se trouve dans l'analogie avec les PDG de grandes sociétés qui se trouvent dans un rôle similaire de fondé de pouvoir du Conseil d'administration de leur entreprise. Ce qui ne les empêche pas de s'enrichir plus nettement et plus vite que dans le champ politique.
Nonfiction : Nicolas Sarkozy a la particularité de dire publiquement qu'il travaillera à devenir riche après sa vie politique, comme si son passage à la présidence de la République n'était qu'un tremplin pour accéder pleinement à cette classe des ultra-riches.
Michel Pinçon : Je suis bien d'accord avec vous et je pense que l'explication de ceci tient à ce qu'il est avocat d'affaires. Il a toujours sa place qui l'attend au sein de son cabinet d'avocat. Il doit avoir pensé que revenant dans le civil pour ainsi dire, n'ayant plus en charge les affaires de l'Etat, il aura en charge des affaires tout à fait fructueuse compte tenu du carnet d'adresse assez fabuleux qu'il a pu se constituer au cours de sa vie politique.
Nonfiction : Dans votre livre, vous évoquez bien cette position d'avocat d'affaires, à la charnière entre politique et affaires, et qui fait le lien entre ces deux champs.
Michel Pinçon : Cette position charnière fait que cette profession se retrouve avec énormément de contacts dans les deux champs, conférant ainsi un pouvoir considérable pour traiter les dossiers.
Nonfiction : Votre livre fait un constat très sévère de la politique menée par Nicolas Sarkozy. Vous démontrez bien qu'il y a une logique et une cohérence politique de soutien des ultra-riches avec par exemple la défiscalisation des très hauts revenus. Comment voyez-vous les choses pour 2012 ?
Michel Pinçon : En ce moment, je ne les vois pas très bien. En particulier parce que les résultats des cantonales sont très inquiétants. Pas tant par rapport au résultat des élus qui montre une certaine stabilité positive pour la gauche. Mais derrière cela il y a l'énorme problème de l'abstention. Les cantonales ne sont certes pas des élections où l'on vote beaucoup. Mais par exemple à Bourg-la-Reine où j'habite, au premier tour il y a eu 47,7 % de votant, alors qu'à Aubervilliers-Est il y en avait 27,7 %. c'est-à-dire qu'il y a une différence en fonction des milieux sociaux et les catégories les plus défavorisées sont celles qui votent le moins. Tout se passe comme si l'on était encore dans une République censitaire où les électeurs et les candidats se doivent d'avoir un certain niveau social pour être accrédités apte à participer au jeu démocratique.
Nonfiction : Selon vous quelles pourraient être les solutions pour faire voter ces classes populaires ?
Michel Pinçon : J'étais membre du Parti communiste autrefois. On peut lui reprocher beaucoup de choses, mais en tout cas il y avait un souci de faire monter dans la hiérarchie du parti des militants ouvriers. Pour cela, le parti s'en donnait les moyens avec un système de formation interne, d'école populaire, où il y avait à chaque niveau depuis la cellule jusqu'en haut des périodes de formation. C'était une manière de pouvoir avoir des candidats d'origine populaire, y compris pour les élections législatives. Ça n'existe plus.
Il y a une logique de sélection au sein de la société qui favorisent les gens les plus diplômés, les plus favorisés sous certains rapports, par exemple de s'exprimer facilement à l’oral. Même parmi les candidats de la diversité, cette logique de sélection opère et distingue les plus diplômés.
On fait comme s'il y avait une égalité des chances par rapport aux études, à la place dans l'économie et par rapport à la politique. Il n'y a pas du tout d'égalité des chances. Les dés sont pipés. Nous sommes encore dans une société d'héritiers. Les héritiers peuvent être des héritiers modestes. Mais un enfant de professeur du secondaire a plus de chance de réussir ses études qu'un enfant de la diversité ou un enfant d'ouvrier. Les statistiques le montrent.
Nonfiction : Est-ce une fatalité ou est-ce que le politique peut inverser les choses ?
Michel Pinçon : Ce serait une fatalité si cela était lié à des différences d'aptitudes de naissance, génétiques. C'est une absurdité absolue de penser cela. Simplement, la société, par son fonctionnement même, conduit à la reproduction, à l'acquisition plus rapide d'habitudes. On peut prendre l'exemple des langues étrangères. Quand vous avez un milieu où déjà les parents parlent une, deux ou trois langues étrangères couramment, quand il y a des nurses qui s'occupent de vous dans votre petite enfance en vous parlant anglais ou allemand et que par ailleurs à douze ou treize ans on vous envoie dans un collège à l'étranger pour une année, au moment où vous vous présentez à des examens, vous êtes déjà parfaitement bilingue ou trilingue.
Nonfiction : N'est-ce pas là la différence fondamentale entre la droite et la gauche, entre l'égalité des chances et l'égalité réelle ?
Michel Pinçon : Je pense que c'est une différence énorme qui favorise la droite de façon systématique et qui est un handicap pour la gauche. Car la gauche a beaucoup de mal à avoir des militants chevronnés avec des responsabilités politiques d'origine populaire. Alors qu'à droite il n'est pas difficile de trouver des cadres supérieurs, des patrons, des gens diplômés pour occuper les postes politiques.
* Propos recueillis par téléphone le lundi 28 mars 2011 par Nicolas Leron.