Emmanuel Pierrat nous invite à redécouvrir des ouvrages qui ont tous eu maille à partir avec la censure.

Emmanuel Pierrat fait montre d’une prédilection particulièrement prononcée pour la littérature licencieuse. Lui-même s’essaya d’ailleurs à l’écriture de récits légers plus ou moins érotisants, amusants à coup sûr, comme dans L’Industrie du sexe et du poisson pané, ou encore L’Éditrice. Cette fois, cet avocat renommé du gotha parisien, affectionné des célébrités, consacre un bel ouvrage à 100 livres censurés. Après s’être intéressé aux ouvrages que l’on ne lit que d’une main dans son Livre des livres érotiques, Emmanuel Pierrat entreprend de recenser les textes que la terrible Anastasie frappa de ses foudres bien pensantes, qu’il s’agisse des œuvres majeures de notre patrimoine, ou bien de récits plus méconnus, voire quelque peu oubliés. L’envie que nous donne l’auteur de relire ou de découvrir ce pan libertin de notre production littéraire n’est pas le moindre mérite de cet ouvrage. Il est vrai que le soin attrayant apporté à une abondante iconographie se révèle judicieusement choisi.

Par ailleurs, le classement par entrées alphabétiques a le mérite de mettre au jour la diversité des discours frappés d’anathèmes et autres autodafés, dans la mesure où ces derniers touchèrent tout autant les ouvrages jugés choquants dans les domaines politiques et sociétaux : Hugo s’attaquant à Napoléon le Petit, Descaves à l’armée dans ses Sous-Offs, sexuels ou religieux, Verlaine se faisant le chantre des amours inverties dans Les Amies, Hombres, Femmes, Molière ridiculisant les faux dévots grâce à son Tartuffe. Un peu plus loin, le lecteur partagera l’enthousiasme d’Edmond de Goncourt s’extasiant sur la fraîcheur de “cette salauderie [qui] est vraiment une trouvaille” : À la Feuille de Rose. Dans cette pièce, Maupassant met en scène deux héros, les Beauflanquet, qui, en guise de voyage de noces, échouent dans une maison close “où officie un ancien séminariste affecté à l’entretien du stock de capotes [sic]”. Et de s’adonner à une véritable éducation, non plus sentimentale cette fois, mais véritablement décadente, du saphisme à la nécrophilie, en passant par quelques menues séances scatologiques.

De surcroît, se constate alors l’étendue du corpus que recouvre cette étude, empruntant à tous les genres, de l’essai (L’Origine des espèces de Darwin) au roman épistolaire (Les Lettres persanes de Montesquieu), ou encore du plaidoyer (La Question d’Henri Alleg) aux poèmes (Les Fleurs du Mal de Baudelaire). La vue se veut également volontairement synoptique, embrassant toute à la fois des siècles de littérature française, mais s’autorisant également des incursions dans les littératures étrangères, des Anglo-Saxons (Jonathan Swift, John Steinbeck) aux Germaniques (Mickhaïl Boulakov). Enfin, dans une perspective plus diachronique, l’analyse ambitionne un parcours qui part de l’antiquité (L’Art d’aimer d’Ovide) à Galilée (Dialogue sur les deux grands systèmes du monde), jusqu’aux contemporains (Suicide mode d’emploi, histoire, technique, actualité de Claude Guillon et Yves Le Bonniec).

La dernière originalité de cette anthologie consiste à recueillir des œuvres dont la qualité a été très diversement appréciée. Les classiques de renom, dont on sent toute la capiteuse provocation en les replongeant dans leur contexte (Les Diaboliques de Barbey d’Aurevilly) côtoient des récits marginaux qui n’ont circulé qu’à titre confidentiel sous un licencieux manteau, avant d’être redécouverts plus tard (Notre dame des Fleurs, Querelle de Brest de Jean Genet, par exemple).

Ainsi, cet attractif panorama qui s’offre judicieusement au lecteur permet d’interroger toute l’ambiguïté des rapports entre le judiciaire et l’artistique, entre les diktats de versatiles bienséances et les exigences des audaces esthétiques ou des vérités scientifiques.