Une démystification de l’histoire nationale, dans un ouvrage grand public rigoureux et agréable.

Le retour aux sources de l’esprit critique

Pourquoi Charlemagne serait-il un produit français estampillé "AOC" ? la Pucelle n’était-elle pas, par hasard, la première héroïne lesbienne de notre histoire ? Louis XIV était-il vraiment un roi-soleil sans nuages ? Quel est le vrai bilan de la Révolution française ? Qui étaient les "collabos" ?
Toutes ces questions, et bien d’autres encore, forment la trame de l’ouvrage de François Reynaert. Celui-ci, écrivain et chroniqueur au Nouvel Observateur, a choisi de faire dans la désintoxication nationale. Le message est clair : l’abus d’encens autour du drapeau tricolore et de l’histoire consensuelle nuit gravement à l’esprit critique.


Suivant un parcours chronologique, François Reynaert part de "nos ancêtres les Gaulois" et arrive à l’après Seconde Guerre mondiale en une quarantaine de chapitres, tous construits de la même manière : après un premier énoncé des faits, reprenant l’image traditionnelle que Monsieur Tout-le-Monde se fait de l’événement, il revient dessus et, se plaçant d’un autre point de vue, entreprend de démonter systématiquement les ficelles de l’idéologie nationale. Prenons l’exemple de la guerre de Cent ans : après une première partie consacrée aux grandes batailles et au déroulement de cette période cruciale pour la construction de l’identité de la nation, François Reynaert procède à un renversement des points de vue, afin d’adopter le point de vue anglais. Ce procédé ouvre de nouvelles perspectives. Ainsi, le Français, qui pense en toute bonne foi que la France a, ô comble de l’horreur, failli devenir anglaise après 1420 et la signature du "honteux traité de Troyes", découvre finalement que si ce traité avait connu sa pleine application, non seulement la France n’aurait pas été "occupée" au sens où elle l’a été sous le régime de Vichy, ni ne serait devenue anglaise : simplement, une autre logique successorale se serait mise en place, et un prétendant au trône français, d’ascendance française, parlant français en sa cour, aurait pu assurer une union entre les deux pays, sans que les choses ne changeassent fondamentalement. Et l’auteur de rappeler : la guerre de Cent ans n’est pas la guerre de 1914.

La construction de "l’identité nationale"

Besoin d’unité nationale, regards rétrospectifs plaquant des schémas de pensée anachroniques sur des situations passées, reconstruction d’une identité pour des raisons politiques : François Reynaert expose longuement, lors de chacun de ses exercices de démystification, les raisons qui ont pu pousser un élément collectif, appelons-le "la nation", à romancer son histoire, principalement au cours d’une des plus grandes périodes à s’être intéressées à celle-ci, le XIXe siècle. Car l’imagerie des "grands mythes" de l’histoire, ceux que tout le monde a en tête : le baptême de Clovis, la défaite de Poitiers, le "bon roi Henri IV" et sa poule au pot, Louis XV et ses "galantes", est le résultat de relectures plus ou moins fantaisistes, plus ou moins romancées, d’une réalité historique que beaucoup ne connaissent plus. Il est de ce fait intéressant de constater à quel point nous dépendons aujourd’hui d’une vision bâtie au cours d’une période somme toute restreinte, à l’aune de l’histoire de la construction de la France. L’ouvrage de François Reynaert prend le temps d’expliquer ces mécanismes qui nous imprègnent aujourd’hui encore, et tente de remonter à la source des événements ainsi mythifiés, au sens propre, lors de cette construction de l’identité nationale.



Le début du XIXe siècle voit, avec la chute de l’Empire, avec une société déchirée par la Révolution et encore traumatisée de cet épisode, avec les difficultés à trouver un régime politique stable, l’apparition d’un besoin qui jusque-là ne s’était jamais fait sentir avec une telle acuité : le besoin de se reconstruire, à travers une même histoire nationale enseignée aux mêmes écoliers pendant des générations à travers tout le pays, une identité commune qui permette de ressouder une population. Le lyrisme d’une génération d’écrivains et d’historiens emprunts de romantisme fait le reste : notre histoire de France devient alors une succession de tableaux largement diffusés et repris dans le cadre d’un discours nationaliste, sur fond de génie des peuples (les Français, à la fois épris de liberté et bons vivants, depuis les Celtes, les Gaulois, et les Francs, jusqu’aux sans-culottes des journées révolutionnaires, en passant par les bourgeois de Calais et les mignons de Henri III) et de déterminisme (on pourrait d’ailleurs dire avec Victor Hugo que "déjà, Napoléon pointait sous Bonaparte").

Une synthèse à mettre entre toutes les mains

On l’aura compris, l’ouvrage de François Reynaert apporte un éclairage bienvenu sur des épisodes que l’on croit à tort bien connus. En ce sens, on ne saurait trop le conseiller à la lecture, particulièrement en des temps où l’on aime à débattre de l’identité nationale : vouloir qu’une population partage une certaine culture historique, pourquoi pas, mais est-il légitime de lui proposer une imagerie artificielle et sans aucun recul critique ? Il est à parier que bien des lecteurs trouveront à la lecture de Nos Ancêtres les Gaulois…  et autres fadaises. L’histoire de France sans les clichés de quoi satisfaire un penchant pour "cette réalité qu’on nous cache". L’historien d’aujourd’hui, en revanche, n’en tirera pas de bouleversante révélation, dans la mesure où, et c’est heureux, la recherche a tout de même évolué depuis Michelet, et remis en perspective certains tableaux trop lisses de la mythologie nationale.