L'auteur nous livre son scénario d'un monde délivré de la finance globale, mais sans que l'on voit très bien quels acteurs pourraient l'incarner.
Curieux livre que celui-ci, où l’auteur nous prédit l’imminence d’une nouvelle crise financière et décrit les orientations qu’il conviendrait de prendre, selon lui, pour s’en préserver, mais n’arrive à nous convaincre ni de la justesse de sa prévision, ni de la praticabilité, ni parfois du bien fondé, des mesures qu’il suggère.
L’impasse
Les phénomènes qu’il décrit ne sont pas en cause, ils sont peu contestables et contribuent grandement à l’instabilité de l’économie mondiale. C’est la manière dont ils déclencheraient, nécessairement et très rapidement, une nouvelle crise qui n’est pas claire dans le livre, même si l'on a compris que les États étaient désormais exsangues et dans l’incapacité de reconduire le sauvetage du système financier, si celui-ci menaçait de s’effondrer une nouvelle fois.
“Le monde est au bord d’une catastrophe économique majeure”. Les réformes décidées par les pouvoirs publics depuis le début de la crise n’ont rien modifié sur le fond aux logiques déployées par la finance globalisée, explique l'auteur. De nouvelles bulles spéculatives commencent à se former et, surtout, la bulle gigantesque des produits dérivés (pour l’essentiel, des produits de couverture des taux de change et des taux d’intérêts, dont les plus inquiétants semblent être aujourd’hui les CDS sur emprunts d’État) continue sa progression insensée . La disproportion entre les volumes de transactions représentées par les sphères réelle et financière est énorme.
Celle-ci trouve son origine dans la double libéralisation des marchés monétaires et financiers des années 1970 et 1980, mais reflète surtout une spéculation effrénée qui ne cesse de croître . Cette évolution est concomitante avec la montée en puissance considérable des grandes banques internationales, qui sont engagées à fond dans la spéculation.
Un autre foyer ronge l’économie mondiale et achève de la déstabiliser, qui se loge dans les pratiques liées à la valeur actionnariale . “Issue de lois fiscales américaines votées dans les années 1970 et 1980, la gestion des fonds de pension par capitalisation est à la source de la fameuse et redoutée norme financière des 15% de retour sur investissement.” . Sa généralisation entraîne des effets considérables et particulièrement destructeurs sur la relation de travail, le marché du travail et l’organisation du travail . Et les nouvelles formes de gestion de l’entreprise qu’elle a contribué à installer ont alors entraîné la déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment des salaires dans la plupart des pays de l’OCDE.
Comment en sortir ?
Cette analyse de la crise financière n’est pas particulièrement originale. Il est intéressant de noter qu’un auteur comme Samir Amin, par exemple, retient les mêmes éléments exactement , si ce n’est qu’il explique que la financiarisation de l’économie est le moyen par lequel les oligopoles qui contrôlent à la fois les segments dominants de l’économie productive réelle et les institutions financières (et non pas uniquement les grandes banques que pointe du doigt François Morin) ont accru leur part des profits. Mais là où cet auteur estime alors nécessaire de peser les chances que les victimes du système en place soient capables de se constituer en alternative, François Morin procède par déduction. Il est à la fois nécessaire et possible de rompre avec ces logiques, explique-t-il. L’économie de marché ne doit absolument plus pénétrer la sphère financière. Pour cela une mesure phare s’impose : l’interdiction complète des marchés de produits dérivés. Cette interdiction doit alors inévitablement s’accompagner d’un ensemble de règles ou de mesures qui toucheront la panoplie complète des moyens de financement de l’économie, du plan local au plan international . Les autres scénarios possibles, alors même que l’auteur leur faisait une place sur son site et encore dans le petit livre illustré sur la crise qu’il a écrit avec Patrick Mignard, sont ici évacués au profit de l’exposé d’un unique scénario alternatif, mais qui, pour le coup, semble tomber du ciel et surtout faire peu de cas des acteurs susceptibles de le porter.
La deuxième partie du livre est alors consacrée à l’exposé de ce ‘contre-projet’, qui suppose une rupture avec le logiciel intellectuel actuel des économistes, mais aussi de la plupart des responsables politiques, explique l’auteur. La dénonciation de l’état de la discipline économique justifie ici l’appel à un nouveau pluralisme, qui porterait à la fois sur les problématiques et les référentiels théoriques, les méthodes, et l’ouverture aux autres disciplines de sciences sociales. Suivent des considérations très générales sur l’action politique et l’articulation des différents niveaux, du plus local au mondial en passant par l’État nation, sur la visée des biens communs de l’humanité, sur l’acteur historique, pluriel et multiculturel, qui devrait rassembler le plus largement possible les acteurs sociaux ayant intérêt à cette transformation, sur la réforme du système monétaire international ou encore sur les défis environnementaux, sur lesquelles il n’est pas possible de s’appesantir ici.
Enfin, le dernier chapitre revient sur les moyens de mettre fin aux effets particulièrement destructeurs de la valeur actionnariale. L’auteur préconise pour cela, après d’autres (et il faudrait au moins citer Daniel Bachet qui y a consacré plusieurs livres ces dernières années), de refondre le droit de propriété des sociétés par actions de manière à instaurer un partage du pouvoir et des résultats entre les apporteurs de capital, d’une part, de travail, d’autre part. Il y ajoute la proposition plus originale de faire entrer au conseil d’administration des personnes qualifiées, en charge du moyen et du long terme, dont le rôle serait de veiller expressément à ce que les investissements ne soient pas sacrifiés aux intérêts des uns ou des autres. Sans méchanceté, cette proposition est un peu à l’image du livre : elle signale un problème plus qu’elle ne constitue une solution crédible, même si on peut sûrement penser différemment