Depuis le début de la révolution tunisienne, un "effet domino" se propage à l’ensemble des pays arabes. On ne peut en effet s’empêcher de trouver des points communs entre les Libyens qui réclament le départ de Kadhafi, ou les manifestants en Algérie, au Barheïn, au Yémen qui crient le même "Dégage". Le phénomène mimétique est-il pourtant reproductible à l’infini ? C’est la question que pause l’économiste Paul Krugman dans sa tribune du New York Times du 20 février 2011 "Wisconsin Power play" suite aux récents évènements qui secouent le Wisconsin. 

 

Enjeux de pouvoir dans le Wisconsin

 

La semaine dernière, face à la politique du gouverneur démocrate Scott Walker, près de 100 000 manifestants sont descendus dans les rues afin de protester contre une nouvelle loi visant à réduire le déficit mais qui réduirait aussi à néant les négociations avec les représentants syndicaux en supprimant le collective bargaining,( les conventions collectives). Comme le dit Paul Krugman "Mainly, however, he has made it clear that rather than bargaining with workers, he wants to end worker’s ability to bargain.” Face à cela, il semble  normal que les concernés manifestent et s’insurgent. L’originalité réside dans certaines phrases de la manifestation, Scott Walker est rebaptisé "Hosni Walker" et  l’élu républicain Paul Ryan a lancé "It’s like Cairo has moved to Madison" ("c’est comme si le Caire était venu à Madison"). Outre le côté dictatorial de Scott Walker qui a envoyé des "state troopers" chercher les quatorze démocrates qui avaient démissionné la semaine dernière, la comparaison n’est pas fortuite puisque la décision politique révèle, au-delà des problèmes économiques, des enjeux de "pouvoir" qui renvoient aux problématiques des soulèvements arabes. En remettant en cause le pouvoir des syndicats, Scott Walker renforce le phénomène de ce que Paul Krugman appelle "une petite oligarchie dans laquelle une poignée de gens riches domine", phénomène qui est bel et bien présent aux Etats-Unis malgré la démocratie.  L’importance des syndicats est de servir avant tout de pare-feu à un tel système, car ils sont symboliques d’un gouvernement du peuple par le peuple. Le pouvoir du peuple reste donc à défendre.

 

La fausse "révolution du jasmin" chinoise

 

Seulement, il semble que le phénomène ne soit pas propre au Wisconsin. Le Washington Post titrait le 20 février "China tries to stamp out Jasmine revolution(" La Chine essaye d’écraser la révolution de Jasmin") pour qualifier les interventions "musclées" du Parti communiste chinois (PCC) en vue de réprimer les manifestations dans treize villes chinoises de quelques milliers de personnes revendiquant "de la nourriture, du travail, un logement et de la justice". Les messages incitant à la révolte sont apparus sur le site Boxun.com hébergé par les Etats-Unis. On trouve aussi sur Facebook un groupe de soutien à la révolution de Jasmin en Chine. Près d’une centaine d’activistes ont été arrêtés suite aux évènements et dimanche les recherches incluant le mot clef "jasmine" ont été bloquées sur Twitter, de même que l’envoi massif de textos n’a pu aboutir à cause de "problèmes techniques", selon les opérateurs téléphoniques. Même si les mouvements ont réuni peu de monde et que la propagation via les réseaux sociaux a rapidement été endiguée, l’appel à la révolte a bien dépassé le monde arabo-musulman. L’exemple chinois montre cependant les limites du phénomène révolutionnaire et de l’usage des réseaux sociaux à l’image des émeutes iraniennes en 2009. Lundi 28 février, un nouvel appel à manisfester a été réprimé.

 
 

Les histoires américaines et chinoises, bien que très différentes, illustrent la propagation d'une "culture" révolutionnaire mais aussi sa fragilité. L’ "effet domino" est certes propre aux pays arabes mais revêt des formes très différentes. Certains manifestants au Maroc l’expliquent d’ailleurs clairement, ils réclament une "évolution" et non une "révolution" dans des témoignages retranscris dans un article du Monde du 20 février ; quant à la Libye et au royaume du Bahreïn, ce sont des pays riches qui refusent aujourd’hui des leaders corrompus, dépassés et installés depuis trop longtemps au pouvoir, comme le précise une analyse du Monde du 22 février. De même que beaucoup commencent à s’interroger sur la possible contagion de l’Irak depuis les manifestations de colère de ces derniers jours, mettant aussi en exergue la "spécificité irakienne". Ces exemples montrent que la puissance des symboles révolutionnaires transcende les frontières ; mais ils nous exhortent aussi à appréhender la suite des évènements avec minutie et en s’attardant sur les spécificités de chaque pays. 

 

L’exemple du Népal

 

Le 22 février un écrivain népalais raconte dans un éditorial au New York Times une histoire intéressante : lors d’un dîner à Katmandu, un ami journaliste suivant en direct les évènements en Egypte annonce le départ de Moubarak à la tablée. Même si personne n’avait de proches en Egypte, tous ont toasté unanimement à la victoire. Comme l’explique le journaliste, ce qui fait écho, dans ces révoltes si lointaines, c’est qu’elles rappellent leur propre histoire, leur lutte politique et leur volonté de changement. Comme le déclare l’un d’eux sur sa page Facebook "I don’t know, but I love to see people revolting against their leaders". Ils évoquent même les ressemblances avec leur histoire quand l’Inde et sa lutte pour la liberté en 1950 a inspiré le premier mouvement démocratique au Népal ou encore en 2006, lorsqu’ils se sont insurgés contre le roi King Gyanendra Shah afin de mettre fin au pouvoir monarchique. Cependant la différence pour les népalais est que cinq ans plus tard : "we have learned that it is easier to start a revolution than to finish one, overthrowing the monarchy was difficult, but institutionalizing democracy is harder still"( Nous avons appris qu’il est plus facile de commencer une révolution que d’en finir une, renverser la monarchie était difficile, mais institutionnaliser la démocratie l’est encore plus.), les Maoïstes et le parti démocratique étant en lutte pour le pouvoir. "De même que ceux qui auraient pu être les leaders d’un nouveau mouvement, ceux que vous appelez la génération Facebook, ont quitté le pays". Si les révolutions arabes les inspirent, elles les rendent aussi nostalgiques de cette époque (il y a cinq ans) où le désir de changement était encore très prégnant.

 

L’enthousiasme pour les révolutions est certes perceptible partout dans le monde actuellement, reste que les mouvements sporadiques interrogent les plus grands : où commence une révolution, où s’arrête-t-elle ?

 

Pour aller plus loin :

 

- Paul Krugman, "Wisconsin Power play"  The New York Times, le 20 février 2011

 

-Manjushree Thapa, "Nepal's stalled revolution" The New York Times, le 22 février 2011 ,

 

-Anita Chang, "China tries to stamp out Jasmine revolution", The Washington Post, le 20 février 2011