Cet ouvrage analyse les tenants et aboutissants de la Mission de Stabilisation des Nations Unies en Haïti établie dans le pays depuis 2004.

Namie Di Razza, dans son livre « L’ONU en Haïti depuis 2004. Ambitions et déconvenues des opérations de paix multidimensionnelles», analyse les tenants et aboutissants des opérations de paix à travers l’étude des objectifs, des attentes, des réalisations et des défis auxquels fait face la Mission de Stabilisation des Nations Unies en Haïti (MINUSTAH), établie dans le pays depuis 2004. L’auteur retrace l’évolution des objectifs de la Mission depuis le début de celle-ci jusqu’avant le séisme du 12 janvier 2010.

Le livre explore en profondeur les contradictions générées, d’une part, par les attentes vis-à-vis des capacités d’action de la Mission onusienne et, d’autre part, par les restrictions que son mandat lui impose. Pour ce faire, l’analyse met en exergue les causes structurelles de la violence qui ne peuvent pas être réglées par une Mission internationale de paix aux ambitions multidimensionnelles, mais dont le mandat est limité à la seule éradication de la violence. De fait, la gestion quotidienne des conflits par la MINUSTAH repose sur la volonté renouvelée des Nations Unies de gérer les conflits dans le monde en agissant tant sur le plan sécuritaire, que politique et économique. Cette stratégie se fonde sur le concept de « paix positive », compris non seulement comme l’absence de conflit violent, mais également en tant qu’état réunissant les conditions nécessaires au développement économique et social d’un pays. Cela étant dit, l’idée de « paix positive » sous-tendant le mandat de la MINUSTAH exige un degré élevé d’équité, de justice sociale et de développement. Selon l’auteur, l’ambition multidimensionnelle de cette Mission serait au cœur du caractère ambigu du mandat régissant le travail de la MINUSTAH.

L’évolution des objectifs de la Mission onusienne en Haïti reflète, selon Di Razza, l’enchevêtrement des problématiques caractéristiques de la société haïtienne qui vont au- delà des facteurs conjoncturels à l’origine du conflit. Rappelons que c’est en raison de la polarisation politique qui s’est traduite par des affrontements violents entre les milices appartenant au gouvernement et à l’opposition, que le président Jean Bertrand Aristide a été obligé de quitter le pays le 29 février 2004, laissant derrière lui un gouvernement de transition dont le mandat était d’organiser des élections. C’est dans le but d’accompagner ce gouvernement et de garantir la stabilité et la paix en Haïti que la Mission des Nations Unies a été créée. Partant, la consigne donnée à la MINUSTAH fut de « garantir un environnement stable pour le rétablissement de l’ordre démocratique ». La Mission cherchait ainsi à créer les conditions nécessaires qui faciliteraient l’organisation des élections par le gouvernement de transition. L’objectif était donc de favoriser un apaisement des tensions, un affaissement de la polarisation et la stabilisation de la situation politique. Cette première phase dite de « pacification » a été réussie.

Malgré ce succès, la violence est demeurée et s’est exprimée sous des nouvelles formes. Elle est passée des manifestations de violence politisées à une violence qualifiée par Namie Di Razza de « criminelle » qui s’est manifestée à travers la prolifération de bandes armées dans les bidonvilles de Port au Prince. Entre 2007 et 2008, sous l’impulsion de René Préval et avec le soutien de la Police Nationale Haïtienne (PNH), cette violence fut à son tour contenue par les troupes de la MINUSTAH qui agirent une nouvelle fois dans le but de répondre à leur mandat : celui de créer les conditions nécessaires qui contribueraient à promouvoir la construction d’un régime démocratique. Néanmoins, la violence a une fois de plus revêtu une nouvelle forme : elle s’est exprimée par des révoltes sur fond de mécontentement social, comme le démontrent les émeutes de la faim qui ont eu lieu en avril 2008 dans plusieurs villes du pays. L’auteur considère ces bouleversements sociaux comme une poudrière qui rend compte des limites de la Mission onusienne. De fait, selon Namie Di Razza, si la MINUSTAH a été incapable de mettre un terme à la violence, c’est parce qu’elle n’a pas été confectionnée pour agir sur les causes profondes de la violence endémique que subit Haïti..

L’approche sécuritaire qui a présidé à l’établissement de la MINUSTAH s’avère donc, aux yeux de l’auteur, insuffisante pour pallier les déficiences socio-économiques et l’absence d’un pacte social, deux défauts qui sont à l’origine du conflit haïtien. Bien que l’opération multidimensionnelle de la MINUSTAH prenne en compte les volets politique, social et économique, ceux-ci ne figurent pas parmi les priorités de son mandat. Dans cette perspective, bien que le renforcement institutionnel fasse partie de la stratégie de la MINUSTAH pour stabiliser le pays, l’approche top-down   a eu des résultats différenciés selon la dimension visée. Ainsi, malgré le fait que les efforts entrepris en matière de professionnalisation de la Police Nationale Haïtienne (PNH) aient plutôt réussi, le plan stratégique pour réformer la justice n’a pas progressé au-delà de l’approbation de trois lois   , certes capitales, mais insuffisantes et dépourvues des moyens pour garantir leur exercice. En ce sens, la MINUSTAH a été également incapable de reconstruire un véritable lien social entre la société et l’entité étatique. Or, Namie Di Razza soutient que la construction institutionnelle en Haïti dépend essentiellement du point d’attache entre ces deux acteurs. En l’absence de ce lien, l’État en Haïti demeure alors, comme le souligne Gérald Barthelemy dans son livre « Pays en Dehors »   , une sphère étanche dont le seul but est l’accaparement des biens au bénéfice de ceux qui occupent les postes de pouvoir. La reconstruction institutionnelle en Haïti implique que la société haïtienne puisse envisager un État à son service et non pas à son insu. L’instauration d’une courroie de transmission qui mette en relation les citoyens avec les autorités politiques est ainsi indispensable pour la stabilisation à long terme du pays.

C’est précisément face à l’incapacité de la MUNISTAH de répondre aux carences structurelles d’Haïti que l’auteur engage une réflexion au sujet des stratégies dites « intégrées » de l’ONU. Les opérations de maintien de la paix sont, selon lui, limitées en raison de la nature de leur mandat et des principes du droit international. Par conséquent, le développement de la gouvernance comprise comme le processus d’interaction entre des acteurs stratégiques représente pour l’auteur une voie permettant à la fois d’agir directement sur les causes profondes de la violence et d’achever une transition économique, sécuritaire et démocratique   . Autrement dit, selon Namie Di Razza, seuls les efforts conjoints de l’État avec des acteurs clés du secteur privé, des organisations régionales et internationales et des donateurs bilatéraux auront un impact réel sur les facteurs structurels qui alimentent la violence endémique sous toutes ses formes. En ce sens, le Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies en Haïti, M. Hédi Annabi (2007-2010), avait entrepris de faciliter la coordination et l’implication des acteurs susceptibles d’avoir un impact sur le développement économique et social du pays. C’est ainsi qu’à travers une gouvernance internationale, qui impliquait une étroite collaboration entre les divers acteurs, les partenaires internationaux avaient commencé à amorcer un processus de transition nécessaire au redressement du pays.

Le tremblement de terre du 12 janvier 2010 a cependant interrompu ces efforts, tout en détériorant davantage les difficiles conditions de vie des Haïtiens. En outre, la catastrophe naturelle a mis en relief la fragilité de la stabilité obtenue grâce à la présence de la MINUSTAH. Le séisme a donc prorogé la triple transition (économique, sécuritaire et démocratique) amorcée par les Missions multidimensionnelles de maintien de la paix. Néanmoins, ce processus peut encore être repris avec davantage de moyens pour reconstruire le pays dans le cadre d’une vision stratégique pour l’avenir. Les efforts entrepris par le gouvernement avec le soutien de la MINUSTAH dans l’organisation des élections du 28 novembre dernier témoignent de la vitalité de la transition démocratique haïtienne et s’inscrivent dans le cadre d’une reconstruction qui ne serait pas possible sans un gouvernement légitime à sa tête. Mais ces efforts démontrent également la pérennité d’un mécontentement social facilement manipulable à des fins politiques. Le livre de Namie Di Razza demeure donc d’actualité dans l’après 12 janvier, date à laquelle les problèmes qui affligent le pays ont été exposés à la lumière du jour.

Le livre offre un tableau complet et critique de la complexité des Missions multidimensionnelles de maintien de la paix, en insistant à juste titre sur le caractère limité du mandat conféré à ce genre de Mission. De ce fait, elles ne peuvent s’attaquer que partiellement aux causes profondes des conflits. Elles peuvent néanmoins fournir l’espace et les instruments nécessaires aux acteurs sociaux et économiques pour promouvoir la croissance économique et entamer la lutte contre les inégalités. L’auteur fait usage de sources fiables pour étayer son analyse et présente des éléments de réflexion sur chacun des volets explorés. Ce faisant, cet ouvrage fournit un cadre intégral d’information sur l’action de la MINUSTAH en Haïti tout en illustrant une problématique commune à toutes les opérations de maintien de la paix de l’après-guerre froide. La recherche d’une stratégie efficace pour garantir une stabilité durable dans les pays post-conflit continue et l’ouvrage de Namie Di Razza représente une précieuse contribution aux réflexions allant en ce sens.