En quatre saisons, Mad Men s’est imposée aux États-Unis comme l’une des séries phares du petit écran. Son scénario original et sa démarche ambitieuse de reconstitution des glorieuses Sixties américaines lui ont permis d’étendre son influence au-delà de la simple sphère télévisuelle. Le pari n’était pourtant pas gagné d’avance pour son réalisateur, Matthew Weiner. Refusée par les principaux networks – même HBO, réputée pourtant avant-gardiste –,que Mad Men est finalement diffusée en juillet 2007 sur AMC, petite chaîne câblée généraliste Le réalisateur, créateur et producteur Matthew Weiner, auquel Libération a récemment consacré un article, a été reçu mardi 8 février par Christophe Girard, adjoint au maire de Paris et chargé de la culture. Accompagné de deux acteurs de la série, Christina Hendricks et John Slattery, le showrunner   a été honoré par la Ville de Paris qui lui a remis lors d’une cérémonie la médaille de Vermeil. Matthew Weiner est revenu, lors d’un débat au Forum des Images, sur les débuts difficiles rencontrés par la série : "C’était une série historique et à l’époque, les gens pensaient que personne ne voudrait regarder ça chaque semaine […] Il n’y avait pas de vedettes, (…) il y avait des gens qui fumaient. Il y avait un anti-héros. C’était sombre et c’était très américain. Les gens pensaient que cela limitait sa portée au niveau international"   .  

Pourtant, la série s’est imposée depuis sa première diffusion il y a quatre ans comme une référence, unanimement saluée par la critique. Elle a d’ailleurs remporté quatre Golden Globes et quatre Emmy Awards, dont celui de la meilleure série dramatique trois années consécutives de 2008 à 2010. Pour Fabien Constant, qui a réalisé le documentaire L’effet Mad Men (Canal +), la série "est devenue un véritable art de vivre". La fascination qu’elle exerce est perceptible bien au-delà des aficionados qui suivent religieusement chaque épisode. En effet, aux États-Unis, Mad Men ne rassemble en moyenne "que" 2,9 millions de téléspectateurs chaque semaine sur la petite chaîne câblée AMC. 

Mad Men retrace le quotidien de l’agence publicitaire new-yorkaise Sterling Cooper Advertising, et se focalise particulièrement sur le personnage de Don Draper (Jon Hamm). Directeur artistique au passé trouble, accro aux cigarettes, au scotch et aux femmes, Don Draper vit, jusqu’aux premiers rebondissements de l’intrigue, un mariage d’apparence idyllique avec sa charmante –mais dépressive – épouse, Betty. 

Si la série semble être l’incarnation du glamour, Matthew Weiner a eu également la volonté de faire de Mad Men un tableau des années charnières des États-Unis : celles de la naissance de l’American Dream : "J’ai toujours imaginé faire une série sur cette époque (…) La plupart des films dont la quintessence est la nostalgie se passe au début des années 60, qui constitue l’apogée des années 50. J’ai choisi cette période   parce qu’elle m’apparaît comme une transition qui a été oubliée. Cela était important pour moi qui ai grandi sous l’ère Reagan. Ce sont deux époques très similaires, ce sont des périodes très conservatrices." 

Pour l’historien Sylvain Pattieu, qui livre une analyse de la série dans le dernier numéro de la revue Vingtième Siècle   , "Mad Men s’appuie sur l’imaginaire de cette époque par le soin apporté aux costumes, aux coiffures et aux décors. Il en ressort une véritable esthétique qui explique comment Mad Men peut être cité dans un article sur les tendances "rétro" de la mode. La série joue sur le fantasme d’une Amérique des années 1950 sûre de sa puissance,  société d’opulence dans laquelle les banlieues aisées regroupent un cinquième de la population et représentent un véritable mode de vie". Véritable plongée en eaux modernes américaines, la série aborde les problématiques propres à aux Sixties – la discrimination raciale, l’homosexualité, la condition féminine. Elle prend à bras le corps les questions politiques, en abordant le sujet des droits civils, celui des premiers départs pour la guerre du Vietnam ou encore le sujet brûlant de l’assassinat de John F. Kennedy. Pourtant, pour le critique littéraire Daniel Mendelsohn, le succès de Mad Men est largement surestimé. Dans un long article publiée dans la New York Review of Books, il explique sa sidération quant à l’impact de la série dans la culture populaire américaine et à l’encensement dont elle fait l’objet : "Mad Men ne possède pratiquement aucune qualité significative, hormis son attachement au design. L’écriture est extrêmement plate, l’intrigue aléatoire et souvent absurde, la caractérisation des personnages superficielle et souvent incohérente ; son attitude envers le passé est trop désinvolte et sa position suffisante sur notre présent peu attrayante. Quant au jeu des acteurs, il est presque sans exception fade, et frise parfois l’amateurisme". Le ton "mélodramatique" avec lequel sont traités les grands bouleversements politiques et sociaux que vivent, de près ou de loin, les personnages de Mad Men, la complaisance du show envers ses téléspectateurs ("Mad Men n’arrête pas de nous dire ce que nous devons penser au lieu de nous faire penser par nous-mêmes") sont autant de lacunes qui rendent la série pesante pour Daniel Mendelsohn. Elle n’est finalement séduisante que dans sa capacité de reconstitution méticuleuse d’une époque révolue. Sylvain Pattieu ne partage pas le même avis, et perçoit finalement l’authenticité historique de Mad Men comme secondaire : "Ses auteurs, s’ils ramènent les Américains à la période la plus fantasmée de leur histoire, le font pour en souligner la noirceur et les tensions. Leur regard est corrosif à l’égard d’un mythe qui s’est largement imposé au-delà des Etats-Unis. Dans Mad Men, outre les jeux de pouvoir entre les personnages, il est question de violence des rapports sociaux, entre hommes et femmes, entre collègues, concurrents et associés, entre chefs et subordonnés. Les relations de classe, de genre et de race s’entremêlent de façon subtile […] La puissance d’évocation de Mad Men résulte sans doute de ce double aspect, alliance de la noirceur et du glamour. C’est le paradoxe de son succès et de son charme nostalgique, alors même que la série dépeint une réalité sociale très violente dans un monde des années 1950 en train de disparaître". 

Tandis que la série vient d'être reconduite pour une saison supplémentaire, il semble bien que Mad Men constitue, outre sa dimension historique, l’une des interprétations symboliques les plus abouties de notre époque "où les certitudes sont ébranlées, où les personnages sont guettés par la fragilité et l’instabilité, toujours sur la corde raide, prêts à basculer, victimes du décalage entre les apparences et la réalité"   . Comme, finalement, dans le générique de la série télévisée