L'opéra comique, genre lyrique plus que bicentenaire, théâtre parisien et établissement public de l'Etat, méritait bien une présentation aussi soignée que celle de Maryvonne de Saint-Pulgent.
Qui d’autre que Maryvonne de Saint-Pulgent pouvait faire découvrir, dans la collection idoine de Gallimard , "l’opéra comique", théâtre parisien bien connu, genre en soi sur lequel des rappels sont bienvenus et… établissement public à caractère industriel et commercial depuis 2004 ? Excellente connaisseuse du monde lyrique (elle avait, en 1991, livré un décapant Syndrome de l’opéra, aux éditions Robert Laffont et prépare, pour cette année, un ouvrage sur Les musiciens et le pouvoir en France qui promet également d’être décapant), l’auteure préside le conseil d’administration de l’établissement et manie habilement les atouts offerts par un tel ouvrage, tels que les illustrations, les documents de références et les citations multipliées ici et là.
Un genre original, à la frontière de plusieurs mondes musicaux
Le petit ouvrage de 128 pages n’est pas qu’une belle plaquette à feuilleter (index, bibliographie, chronologie pertinentes complètent l'ensemble) : on y trouve d’abord un rappel des grandes étapes historiques qui ont marqué la naissance, l’apogée et l’oubli relatif de ce genre bien particulier qu’est l’opéra comique, ainsi que les éléments essentiels qui le caractérisent.
Né sur le fondement des divertissantes comédies italiennes proposées par les comédiens italiens, chassés de la cour en 1697, par opposition aux tragédies lyriques mises en musique par Lully, le genre s’épanouit d’abord dans les spectacles de foire, prisés par les Parisiens qui fréquentent la foire Saint-Germain ou la foire Saint-Laurent, qui comptait quelque 1250 places, comme l’actuelle Salle Favart. Les titres qui font recettes ? La chercheuse d’esprit de Charles Simon Favart, jouée deux cents fois de suite après sa création en 1741, ou encore Arlequin, roi de Serendib de Lesage, Les troqueurs de Vadé et Dauvergne en 1753… En principe, l’opéra comique doit rester à la marge du grand opéra, celui dont le monopole a été concédé par Louis XIV à Lully. Les succès de l’opéra comique menaçant l’opéra, le grand le vrai, le genre comique est interdit à plusieurs reprises. Charles-Simon Favart (1710-1792) est son sauveur et son réformateur et parvient à lui donner un genre plus respectable… et embourgeoisé. L’opéra comique devient l’endroit où l’on sort les jeunes filles à marier, sans risque de choquer leurs chastes oreilles.
Un genre répandu dans Paris pendant tout le XIXème siècle
La première salle Favart, bâtie en 1783, avec en particulier la fameuse "loge Choiseul" encore aujourd’hui réservée à la famille , accueille les grands succès du début du XIXème siècle de Grétry, Boieldieu (Le calife de Bagdad, 1800) et Méhul. Courant au succès, de nombreuses autres salles donnent aussi des opéras comiques, comme la salle Ventadour, actuellement dans l’enceinte de la Banque de France dans le 1er arrondissement de Paris, où est créé Fra Diavolo d’Auber en 1830 et Zampa de Hérold, l’année suivante, donné 700 fois jusqu’en 1913. L’auteur nous guide ainsi dans un véritable dédalle de salles variant selon les époques (Hôtel de Bourgogne, théâtre Feydeau, salles Favart, salle Ventadour…). Le texte de Mme de Saint-Pulgent rend parfaitement compte du foisonnement musical qui régnait à l’époque et que Patrick Barbier avait déjà bien décrit (La vie quotidienne à l’opéra au temps de Rossini et de Balzac, éd. Hachette).
C’est l’apogée de l’opéra comique – défini comme l’alternance de couplets, d’ariettes et de morceaux d’ensemble - de quelques grands compositeurs (comme Auber, qui règne sur "le comique" de 1830 à 1869) qui peuvent s’appuyer sur quelques librettistes brillants, comme Eugène Scribe ou Adolphe Adam. Leurs ficelles, quoique bien épaisses, n’empêchent en rien l’efficacité. L’opéra comique se laisse toutefois influencer par le romantisme, puis par le grand opéra. Sous le Second empire, la bourgeoisie aime voir à l’Opéra comique une succursale du grand opéra, Giacomo Meyerbeer (sont créés salle Favart, en 1854, L’étoile du Nord, en 1859 Le pardon de Ploërmel…) réalisant un joli transfert en passant de l’un à l’autre.
Les années 1870-80 marquent une rupture vers le genre sérieux, avec en particulier, la création de Carmen en 1875, œuvre mal accueillie car scabreuse (tout de même, un officier qui a tué et qui abandonne tout pour une bohémienne…)… toutefois restée à l’affiche pour 50 représentations.
Le XXème siècle accuse une forme d’effacement du genre qui perd petit à petit tout droit de cité. Dès les années 1920, certains n’hésitent pas à dire que l’on joue à peu près tout sur la scène du Comique… sauf de l’opéra comique. La liste des créations françaises in loco est pour le moins éclectique puisqu’on passe de Rossini alors méconnus (L’Italienne à Alger, 1933 (!)) à Puccini (Madame Butterfly, 1906 ; Gianni Schicchi, 1922), en passant par des Mozart (Bastien et Bastienne en 1900, Così en 1920 , Der Schauspieldirektor en 1945) et même des R. Strauss (Ariane à Naxos en 1943). La liste des créations d’œuvres françaises ou d’opéras étrangers sur la scène de Favart que l’on trouve en annexe démontre son rôle essentiel dans la vie lyrique française. Certains opéras, nés ici, sont entrés dans le grand répertoire (Manon, 1884 ; Werther, 1893 ; Louise, 1900 ; Pelléas, 1902 ; L’heure espagnole, 1911), pendant que d’autres attendent leur redécouverte…
Une entreprise de spectacles comme les autres ?
Maryvonne de Saint-Pulgent, en experte de l’administration culturelle, s’attache aussi à analyser les conditions économiques et juridiques de gestion du théâtre, aux différentes époques et en cela son ouvrage est passionnant. Comme tout théâtre lyrique, l’Opéra comique est à la croisée d’enjeux de pouvoirs et de réalités économiques.
Sous l’ancien régime, les monarques ont toujours veillé à ce que la bride ne soit pas laissée trop longue. Le XIXème et le début du XXème siècle relèvent d’une problématique différente, avec le mécanisme des privilèges accordés à des entrepreneurs comme Léon Carvalho (1876-1887 puis 1891-1897) et Albert Carré (1898-1914 puis 1918-1925) qui dirigent la maison à deux reprises chacun, compensant les déficits occasionnés par certains spectacles par les bénéfices réalisés sur d’autres.
La concurrence que se font les théâtres pendant les années 1930 conduit l’Etat à poser les bases du système sur lequel, toutes choses égales par ailleurs, on vit encore aujourd’hui : leur nationalisation préparée et mise en œuvre par Jacques Rouché, ami de Léon Blum. Mais, pendant tout l’après-guerre, le pilotage de l’ensemble des structures lyriques parisiennes laisse à désirer et l’Opéra comique, noyé dans la réunion des théâtres lyriques nationaux (RTLN) est négligé. Non que les musiciens qui s’y produisent ne soient pas parfois de grands artistes et M. de Saint-Pulgent rappelle que sa troupe a compté parmi ses membres les J. Van Dam, G. Bacquier, A. Vanzo, A. Lance ou R. Gorr, entre tant d’autres. Au passage, on aurait aimé davantage de précisions sur ce point précis: la Réunion des théâtres lyriques nationaux comptait-elle une ou plusieurs troupes ? Force est de constater qu’un José Van Dam, dans l’ouvrage que lui a consacré Michèle Friche aux éditions Duculot en 1988, par exemple, mentionne sa présence dans la troupe de l’opéra de Paris pendant 4 ans… et non dans celle de l’Opéra comique.
Le licenciement de la troupe en 1971, la fermeture de la salle Favart l’année suivante, sont les années de crise profonde, à peine masquée par les années Liebermann, qui donnent quelques magnifiques succès dans le grand opéra ou le bel canto, star system aidant (La fille du régiment, avec Alfredo Kraus et June Anderson, en 1986 ; Les puritains, avec Anderson et Rockwell Blake l’année suivante). Atys de Lulli, en 1987, avec Bill Christie et Jean-Marie Villégier, est à nouveau une date restée dans les mémoires et "dote Favart d’une aura de légende chez les baroqueux" . Ensuite… la décision de créer Bastille et d’enrichir encore l’offre parisienne, que le Châtelet et le Théâtre des Champs-Elysées complètent, condamne Favart et M. de Saint-Pulgent égratigne Jack Lang. Avec le désintérêt de l’Etat, c’est le retour à la concession, cette fois-ci à une association qui, vaille que vaille, parvient à lever le rideau une centaine de fois par an. La gestion Savary sonne l’hallali. Un mal pour un bien ?
Un décret du 20 novembre 2004 transforme en effet le théâtre en établissement public de l’Etat, à caractère industriel et commercial (c’est aussi le statut de l’Opéra de Paris). A l’équipe placée à sa tête, avec Jérôme Deschamps en particulier, on peut, on doit même, reconnaître la défense d’une stratégie cohérente, d’une identité – y compris visuelle -, permettant de renouer avec le passé glorieux de la maison et avec un niveau d’exigence que le public a salué. Le retour de Fra Diavolo ou de Zampa en attestent, comme la place du baroque. Dans cette stratégie là, nul doute que la présidente du conseil d’administration ait joué son rôle… avec le soutien des pouvoirs publics (la subvention pour 2009 a représenté 10,3 M euros – justifiant sans doute le sous-titre et l’allusion à Gavroche…- et les ressources propres 6,1 M euros…). L’ "académie de chant français" que l’établissement propose d’installer à Favart , sur laquelle on ne sait pour l’heure pas grand chose, pourrait alors constituer le dernier étage de la fusée et la meilleure réponse possible à ceux qui, ces dernières années, ont réclamé, avec des arguments sentant parfois le cramoisi, le retour des troupes.
La couverture du petit ouvrage est un clin d’œil au passé récent de l’établissement: 134 ans après la création, Carmen est revenue au comique, dans une belle production conduite par Anna-Caterina Antonacci, dont un DVD, coproduit par le théâtre avec Fra Musica, garde trace . Cette politique de diffusion des spectacles les plus réussis est aussi indéniablement de nature à conforter la légitimité de l’opéra comique. Mais au fond… qui la contesterait aujourd’hui ? Les temps ont changé et c’est tant mieux. L’histoire de l’opéra comique s’écrit au présent, et sérieusement !