* Chaque mois, Thomas Chalumeau, directeur des questions économiques à Terra Nova, propose aux lecteurs de nonfiction.fr un article d'opinion. 

 

Les déficits publics considérables accumulés depuis 20 ans se sont singulièrement accrus  depuis 5 ans. Ils représentent désormais une hypothèque forte sur l’avenir, d’autant qu’ils n’ont pas été mobilisés pour construire les bases de la croissance de demain.

Revenir à une politique budgétaire responsable s’impose comme une priorité clé de la prochaine législature.

Il faudra, dans le cadre de celle-ci, à la fois
retrouver des marges de manœuvre pour réduire la dette publique, respecter nos engagements européens, et redonner son efficacité à la politique budgétaire en période de récession ;  réorienter résolument la dépense publique vers les secteurs les plus utiles à la croissance, et  adosser ce redressement des finances publiques à une Europe plus forte, aidant au désendettement des Etats tout en renforçant la capacité collective de l’Europe à investir dans les dépenses d’avenir.



En décembre 2005, Michel Pébereau publiait un rapport   , qui a fait référence depuis, sur la nécessité impérative de rompre avec des décennies de facilités budgétaires pour maîtriser la dette publique en France. Cinq années après, il faut malheureusement constater que les messages de ce rapport n’ont pas été écoutés.

Des finances publiques de plus en plus déséquilibrées, de moins en moins au service de notre avenir

Entre 2007 et 2011, la dette financière des administrations publiques a été multipliée par deux, et a augmenté de 23 points en pourcentage de la richesse nationale (de 63,8% à 86,8% du PIB).

Le déficit de l’État, dans le même temps, a plus que doublé, passant de 42 milliards d’euros en PLF 2007 à 92 milliards en PLF 2011. A 7,5% du PIB à la fin de l’année 2010, la France connaît son plus large déficit de l’Etat depuis 1945.

Conséquence de la crise ? Pas seulement. Certes, les stabilisateurs automatiques ont globalement bien joué leur rôle en France et ont injecté, entre 2008 et 2010, environ 2,4 % du PIB dans l’économie française, un chiffre comparable à celui constaté en Italie (2,6 %) et au Royaume-Uni (2,5 %), et supérieur à celui observé aux Etats-Unis (1,6 %) et en Allemagne (1,6 %).

Toutefois, la crise n’explique que pour un peu moins de la moitié cette dégradation des soldes publics, comme l’a souligné la Cour des Comptes.

Sans nier l'impact de la récession de 2009, l’état actuel des finances publiques s'explique par trois autres raisons fondamentales :

1. Une situation budgétaire déjà très dégradée avant la crise. Selon les estimations de la Commission européenne, le déficit structurel des finances publiques françaises s'établissait déjà à 3,8 % du PIB en 2007, un chiffre beaucoup plus élevé que nombre de ses partenaires européens ;

2. Une évolution des dépenses publiques pas si "sage" que cela, à y regarder de plus près. Le constat vaut notamment pour les dépenses sociales et celles des collectivités territoriales. Depuis 2008, les dépenses des administrations de sécurité sociale ont progressé de + 2,4 % par an en volume (contre une prévision de 1,5 %), et celles des collectivités territoriales de + 2,2 % par an en volume en moyenne (hors transfert de compétences) contre une prévision de 1,5 % par an. Un résultat du jeu des stabilisateurs automatiques mais aussi des mesures de relance. 

3. Les effets de la politique fiscale, enfin, dont l’incidence sur les recettes publiques a été à juste titre pointée du doigt : les baisses d’impôt décidées depuis 2006 (impôt sur le revenu, allégements contenus dans la loi TEPA, TVA sur la restauration, taxe professionnelle…) ont représenté, à elles seules, près de 20 milliards environ de pertes de recettes pour le budget de l’Etat.


Les limites de la maîtrise des dépenses publiques depuis 2007

Ces évolutions trahissent également les limites des efforts menés en matière de maîtrise des dépenses depuis 2007.

Les dépenses totales de l’État telles que retracées dans les projets de loi de finances ont augmenté de plus de 6,5 % de 2007 à 2011.

Certes, les dépenses de personnel ont été globalement stabilisées en 2007 (-1,6 %) au prix de la suppression de près de 130 000 postes de fonctionnaires d’État, pour une économie de l’ordre 2 milliards d’euros par an. Mais les autres dépenses de fonctionnement ont filé. Elles ont augmenté de plus de 45 % de 2007 à 2011 ! Au total, les dépenses de fonctionnement et de personnel ont crû de 13 milliards entre 2007 et le budget 2011 !

A l’inverse, les gains liés à la Révision générale des Politiques Publiques (RGPP)   s’épuisent : 7 milliards d’euros bruts d’économies sont attendus d’ici 2012, selon Bercy. Un chiffre faible au regard des déficits publics (92 milliards d’euros). En réalité, la méthode même de la RGPP, focalisée sur des gains d’efficience mais non sur une révision des politiques publiques elles-mêmes, est en train de montrer ses limites. L’organisation de notre appareil administratif reste structurellement la source d’incitations permanentes à la dépense publique et de coûts injustifiés.

Enfin, dans le domaine social, la maîtrise des dépenses a été pour l’essentiel obtenue par une multiplication de déremboursements et la hausse du ticket modérateur et du forfait hospitalier. Des mesures non équitables socialement, qui laissent entier l’enjeu d’une réforme structurelle des dépenses sociales, autour de principes permettant l’équité dans les efforts d’ajustement.

Dans ce contexte, le recours à l’endettement a continué à représenter le choix d’une certaine facilité : il a permis depuis 2007 de compenser une gestion insuffisamment rigoureuse des dépenses publiques, en reportant sur les générations futures le poids de l’ajustement. L’aggravation des déficits des régimes sociaux et leur report sur les générations futures ont notamment différé la question de la modernisation de l’organisation et de la gestion des organismes de sécurité sociale et d’assurance chômage.

La dette a en outre continué à financer, à plus de 90%, les dépenses courantes de l’État, et non pas à préparer l’avenir, à l’exception, tardive et malheureusement trop ponctuelle du Grand Emprunt, lancé en 2009.


Pas de croissance sans désendettement, pas de désendettement sans croissance

Notre potentiel de production a été significativement affecté par la crise : hausse du chômage et déqualification des personnes sans emploi, défaillances d’entreprises, destruction de capacités de production. Avec une croissance quasiment nulle en 2008, et de -2,5% en 2009, la perte d’activité, par rapport à la tendance d’avant la crise, s’est élevée à près 5 points de PIB fin 2010. La France sort sonnée de la crise, amputée de 110 000 emplois industriels et mutilée par 800 000 demandeurs d’emplois supplémentaires.

Dans ce contexte,  il est vraisemblable qu’une partie du "terrain perdu" ne sera pas récupérée sans réorientation significative de la dépense publique en faveur de la croissance.

La poursuite des tendances actuelles conduirait, au demeurant, à des taux d’endettement public astronomiques : 130% en 2020, 200% en 2030, 300% en 2040 et près de 400% en 2050.

La situation est d’autant plus préoccupante qu’un autre choc sur nos finances publiques se profile, celui lié aux départs massifs à la retraite de la génération du baby-boom, lequel diminuera de 2 millions de personnes notre population active entre 2010 et 2050, au détriment de la croissance potentielle de notre économie.

Face à ces perspectives - ralentissement de la croissance potentielle, augmentation des déséquilibres des régimes de retraite et d’assurance-maladie - les pouvoirs publics doivent impérativement retrouver les moyens financiers d’une forte capacité d’action.


Rendre la politique budgétaire responsable serait-il décidément impossible dans notre pays ?

A l’évidence non. L’augmentation continue de notre dette entre 1995 et 2007, c’est-à-dire bien avant la crise financière, nous distinguait déjà nettement de nos partenaires européens. Seuls deux pays avaient ainsi accru significativement leur ratio d’endettement sur cette période. La France (+10.5 points de PIB) et… l’Allemagne, dont les finances publiques ont supporté les charges lourdes et exceptionnelles de la réunification.

D’autres pays, dans un passé récent, ont en outre réussi à concilier le redressement de leurs finances publiques tout en préservant la croissance : la Suède entre 2000 et 2002, le Danemark entre 1993 et 1999, ou encore la Belgique entre 1993 et  2005. En délivrant, au passage, des leçons fondamentales sur la réussite de ces plans   :

•    La fixation d’objectifs pluriannuels précis ;
•    Des règles de comportement rigoureuses ; en particulier, ces pays se sont pour la plupart interdit de diminuer la pression fiscale pendant la phase de remise en ordre de leurs finances publiques et ont défini une règle d’utilisation des éventuels surplus de recettes ;
•    Un engagement politique fort sur ces objectifs et ces règles, se traduisant notamment par le strict respect des objectifs fixés au plan national et dans le cadre des programmes de stabilité.

Il est donc temps de refonder la politique budgétaire en France autour de nouveaux principes.


Première priorité : retrouver des marges de manœuvre pour rendre la politique budgétaire plus efficace en période de récession

L’ampleur de l’ajustement financier à accomplir pour revenir à une trajectoire financière crédible des finances publiques entre 2012 et 2017 est d’environ 4 points de PIB, soit 80 milliards d’euros.

Compte tenu de la situation très dégradée qui sera vraisemblablement celle de nos déficits publics en 2012  (déficits proches de 6% du PIB et dette publique à 90%), la prochaine majorité, quelle qu’elle soit, devra, dès son arrivée aux responsabilités, préciser l’ampleur, le rythme et les modalités de l’ajustement structurel des finances publiques à réaliser sur la durée de la législature, dans le cadre d’une Loi de Programmation Pluriannuelle des Finances Publiques (2012-2017)

Les programmes de redressement des comptes publics engagés dans les pays développés ont tous agi à la fois sur une réduction des dépenses et un accroissement des prélèvements.

Si une priorité claire doit être donnée aux économies de dépenses, elles ne suffiront pas. Il faut aussi élargir l’assiette des prélèvements fiscaux et sociaux. En particulier :

•    Il conviendrait de réexaminer l’ensemble des niches fiscales (70 milliards d’euros de coût par an officiellement, près du double en réalité si l’on y ajoute les niches "officieuses" et les quotients conjugal et familial) et plafonner leur cumul abusif par ménage par la mise en place d’un impôt minimal. Par ailleurs, il convient, pour des raisons d’équité, de réexaminer la fiscalité sur les successions.
•    Autre réforme : privilégier, en période de  croissance, l’affectation des recettes dites exceptionnelles au désendettement et aux engagements impératifs pour l’avenir que sont les dotations au Fonds de réserve des retraites (FRR) et les dotations aux pôles, agences et outils existant en faveur de l’innovation et de l’industrie ;
•    Enfin, il faudrait remédier à la tentation de la course permanente au "moins-disant fiscal" par deux réformes : 1) confier enfin à la loi de finances compétence exclusive sur les dispositions fiscales (cette proposition a été avancée par la Commission Camdessus en 2010) et 2) subordonner toute nouvelle réduction de recette fiscale ou sociale à l’identification par le Parlement d’économies correspondantes en matière de dépense publique.


Seconde priorité : réorienter les budgets publics vers les secteurs les plus utiles à la croissance, à la préparation de l’avenir et à la cohésion sociale

Plusieurs propositions dans ce cadre peuvent être avancées :

•    Fixer un plafond maximal de déficit des sections de fonctionnement du budget de l’Etat en proportion de la richesse économique, sur l’ensemble du cycle économique, afin de permettre un financement pérenne et régulier des dépenses d’investissement de l’Etat, quelque soient les aléas de la conjoncture. Cette mesure serait plus flexible que celle visant à l’ "interdiction" des déficits de fonctionnement et d’intervention par la Constitution   ("règle d'or") que la Commission Camdessus, l’an dernier, n’a pas choisi de retenir dans ses propositions ;
•    Concentrer les moyens publics au lieu de les disperser, particulièrement dans les domaines des politiques de l’emploi, de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’accompagnement des secteurs accélérateurs de croissance ;
•    Faire vraiment le choix de la cohésion sociale, c’est-à-dire accepter de concentrer des moyens beaucoup plus importants qu’aujourd’hui sur les situations et les risques jugés essentiels.


Troisième priorité : accroître la transparence démocratique des grands choix de finances publiques

Il est urgent de définit un nouveau cadre institutionnel de préparation et de contrôle budgétaire. En particulier, il nous faut :

•    Construire la loi de finances initiales sur la base de la fourchette basse d’une prévision de croissance partagée avec des instituts économiques indépendants  
•    Modifier en profondeur les modes de travail du gouvernement et du Parlement pour permettre un réexamen intégral de l’efficacité des dépenses budgétaires et fiscales une fois engagées ;
•    Doter le Parlement d’un véritable outil d’expertise propre sur le modèle britannique, dans le domaine budgétaire et fiscal, et améliorer la transparence des documents budgétaires pour faciliter le débat démocratique sur les grands choix de finances publiques dans notre pays.


Quatrième priorité : construire une nouvelle politique budgétaire et fiscale en Europe

•    Ce redressement des finances publiques doit s’appuyer sur une Europe forte. La France doit, dans ce cadre, s’employer à renforcer le Pacte de stabilité et de croissance, développer les financements publics européens en matière de recherche et d’innovation, notamment par la mise en place de fonds européens de capital risque pour les PME et de fonds brevets et à favoriser les investissements privés de long terme ;
•    Mieux coordonner les politiques budgétaires entre Etats membres – ce qui implique notamment de renforcer significativement l’Eurogroupe - et mettre en place un véritable budget européen capable d’épauler les Etats lors des récessions ;
•    Progresser rapidement sur le terrain de l’harmonisation fiscale pour éviter la course au "moins-disant fiscal" ;
•    Développer une capacité d’emprunt propre au niveau de l’Union européenne et de la Banque Européenne d’Investissement.
•    Réorienter le budget de l’Union européenne vers l’investissement, la formation, la recherche-développement et le relèvement des taux d’emploi, dans le cadre d’une augmentation substantielle de ses montants au terme de la prochaine décennie.
•    L’ensemble de ces évolutions permettraient de redonner corps à un principe d’additionnalité du budget national par rapport aux actions menées en Europe et au niveau de nos collectivités territoriales.

 


Annexe : Evolution des soldes publics et des prélèvements obligatoires