Quid de l’actualité sur la politique publique de prise en charge de la "dépendance" des personnes âgées ?

 

La réforme de la prise en charge des personnes âgées dites "dépendantes" a été maintes fois promise mais jamais véritablement tenue. Une expression de Bruno Jobert illustre ce long processus d’errance kafkaïenne où les incertitudes législatives rencontrent les lenteurs bureaucratiques : "Une non-décision exemplaire : les pouvoirs publics et la politique de dépendance des personnes âgées" (1993). Toutefois, face à l’urgence de la situation du fait du vieillissement de la population, il semble que nous assistions à une prise de conscience des pouvoirs publics. Coup sur coup, deux rapports se sont ainsi succédés dernièrement : le rapport d’information de l’Assemblée nationale publié le 23 juin 2010 puis celui de la mission d’information du Sénat sur la dépendance paru le 1er février 2011. En outre, le 8 février 2011 a eu lieu un colloque intitulé "Poser les enjeux" qui s’inscrit dans le cadre du débat national sur la dépendance. Le Président de la République, qui a clôturé ce débat, a promis que des décisions seraient prises cette année : "Le gouvernement élaborera son projet de réforme avant la fin de l'été prochain, en vue d'un examen par le Parlement à l'automne". Mais ne dit-on pas que les promesses n’engagent que ceux qui y croient ? So wait and see.

 

Une philosophie sous-jacente spécifique selon le mode de prise en charge

 

Le concept de la "dépendance des personnes âgées"   n’est pas encore bien défini   et c’est probablement l’une des causes importantes de toutes les difficultés quant aux réflexions sur la forme que pourrait prendre une politique publique efficace de prise en charge de cet aléa de la vie. S’agit-il de voir cette politique comme une compensation des nouvelles dépenses liées à une faiblesse physique et/ou psychique ? Auquel cas, le montant de la prestation, vue comme la réparation d’un dommage résultant d’un accident de la vie, devrait être identique pour toutes les personnes ayant un même niveau de dépendance ; il s’agirait alors d’une logique assurantielle – à condition qu’il y ait une contribution initiale (du bénéficiaire devenu assuré social) qui prend généralement la forme d’une cotisation salariale – de compensation financière d’un accident. Ou bien, seconde option, devons-nous analyser cette politique publique comme une stratégie de compensation des nouvelles dépenses liées à une situation financière précaire renforcée négativement par une situation de dépendance ? Dans ce cas, la prestation serait de type différentiel puisqu’elle serait soumise à des conditions de ressources et sa logique serait celle de l’assistance sociale étant donné que la rétribution ne nécessiterait pas de contribution de la part du bénéficiaire (le financement s’effectuant par la solidarité nationale via l’impôt). La troisième option, qui semble être celle vers laquelle nous nous orientons, serait de constituer un modèle hybride entre les logiques d’assurance et d’assistance. Faute d’informations suffisantes, il est dès lors assez difficile de prévoir la forme qu’elle prendrait ; mais, selon les propos du Président lors du dernier débat, un partenariat public-privé avec des acteurs du monde de l’assurance ne serait pas à exclure.

 

Comment sont définies les personnes âgées dépendantes ?

 

Georg Simmel disait que la catégorie sociale des pauvres se constitue à partir du moment où la société la considère comme telle, c'est-à-dire lorsqu’elle devient la bénéficiaire, à l’état potentiel ou effectif, d’une politique particulière devenant spécifique à ce groupe social : "le fait que quelqu’un soit pauvre ne veut pas dire qu’il appartienne à la catégorie sociale des pauvres. (…) Ce n’est qu’à partir du moment où ils sont assistés – ou peut-être dès que leur situation globale aurait dû exiger assistance, bien qu’elle n’ait pas encore été donnée – qu’ils deviennent membres d’un groupe caractérisé par la pauvreté"   .

C’est aussi, mutatis mutandis, ce qui s’est passé pour le groupe social connu aujourd’hui sous le nom des personnes âgées dépendantes. En effet, c’est la loi n° 97-60 du 24 janvier 1997, instituant la prestation spécifique de dépendance (PSD), qui crée la catégorie des personnes âgées dépendantes. Avant cette loi, les deux catégories (personnes âgées dépendantes et personnes handicapées) n’en formaient qu’une seule, celle des personnes handicapées, qui percevait, en tant que groupe homogène, l’allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP). La distinction s’est ainsi opérée par une différenciation basée principalement sur le critère de l’âge (supérieur ou égal à 60 ans). Au passage, cette manipulation des taxinomies basées sur l’âge nous rappelle l’étude   que le sociologue Rémi Lenoir avait réalisée sur les conditions d’émergence de la notion du "troisième âge", issue d’une nouvelle représentation d’une séquence particulière de la vieillesse, "venant s’intercaler entre la maturité et la vieillesse", du fait de l’apparition de professionnels spécialisés dans la prise en charge de la vieillesse.

 

Derrière le coté arbitraire, un tropisme budgétaire

 

Mais revenons à la loi PSD afin de montrer le coté arbitraire, ou plutôt le tropisme budgétaire, de la définition d’une population cible d’une aide publique. En plus de définir la dépendance, celle loi désigne, parmi les personnes dépendantes, celles qui seront les seules bénéficiaires de la prestation spécifique de dépendance. Pour des raisons économiques, il s’agit dans un premier temps de restreindre le périmètre des bénéficiaires aux personnes évaluées comme étant dans l’un des trois niveaux de dépendance les plus élevés (GIR   )  n°1, n°2 et n°3). Cependant, dans les années 2002, les pouvoirs publics, prenant acte du fait que la catégorie des bénéficiaires de la prestation était trop limitative, remplacent la loi PSD par la loi n°2001-647 du 20 juillet 2001. Cette dernière crée une nouvelle prestation, l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), et modifie le public cible de l’aide publique puisqu’elle élargi le périmètre des bénéficiaires à un degré de dépendance supplémentaire (au GIR n°4). En conséquence, les personnes dépendantes évaluées GIR n°4 sortent de la catégorie "faiblement dépendante" pour rentrer dans celle des personnes "moyennement dépendantes" nécessitant une aide financière. Il ressort ici l’interaction évidente entre le financement de la prise en charge d’une catégorie sociale et la définition de cette catégorie ; aussi, bien que l’on soit dans un contexte de réduction des déficits publics, il ne faudrait pas que ce soit exclusivement une logique comptable qui guide la réforme et qui soit à l’origine de la définition des personnes âgées dites dépendantes