Après le succès de Bonjour Paresse et de No kid, Corinne Maier nous offre un panorama succinct des nombreux dysfonctionnements en France.

Emigrer pour fuir les problèmes de la France : tel est le conseil donné par Corinne Maier dans son nouveau livre. Oui, mais où ? En Belgique, comme elle l’a fait ? En Angleterre, au Canada ou aux Etats-Unis ? Peu importe ! Mais surtout, ne pas rester en France ! 

 

Il est vrai que ce phénomène tend à croitre régulièrement. Près de deux millions et demi de français vivent aujourd’hui à l’étranger où, les opportunités y seraient plus nombreuses. Il est certain que la France de 2010 compte un certain nombre de dysfonctionnements. Comment ne pas être d’accord avec l’auteur quand celle-ci, dans les premières pages de son livre, dresse le tableau suivant de notre pays : "La France est sans conteste un pays merveilleux pour les touristes et les gastronomes. Elle est un pays agréable pour les salariés de formation supérieure, quarante ans ou plus, mariés et chargés de famille, masculins, blancs, et catholiques. Pour les autres ce n’est pas la joie ! […] La France actuelle est déprimante pour beaucoup de ces habitants : les jeunes, les personnes "issues de l’immigration", les sans-réseaux, les sortis-de-nulle part, les artistes, les femmes cantonnées à des boulots médiocres, les couples homoparentaux, les prostituées, les chercheurs."

Si ce sentiment est partagé par de nombreux Français, il est important de comprendre pourquoi et comment on en est arrivé là. Or, on n’ira pas beaucoup plus en profondeur au fil des chapitres. En effet, si Corinne Maier opère une description assez juste des problèmes de la France, elle s’avère être, à de rares exceptions près, beaucoup plus superficielle quand il s’agit de les décortiquer, des les analyser et de les comprendre.

 
 

Un regard particulier sur des problèmes collectifs

 

Certains éléments mettent la puce à l’oreille… On retrouve ainsi une quarantaine de chapitres, traitants de sujets aussi vastes que la santé, la vie à Paris, la gastronomie, le monde intellectuel, l’homosexualité. Et si vous en voulez encore, vous y trouverez également des réflexions sur l’art, la liberté, la République, la nationalité, l’Europe, le logement, la démocratie, la sécurité, la justice, Nicolas Sarkozy, l’Etat, la fracture générationnelle, etc. Tout ça en à peine plus de deux cent pages, soit une moyenne d’environ cinq pages par sujet. La déception du lecteur est donc à la hauteur de l’ambition démesurée de l’auteur.  Corinne Maier, sur bien des aspects, nous offre surtout un livre très personnel, assez éloigné d’un travail objectif. Dans l’introduction, Corinne Maier avertit le lecteur : "Vous trouverez dans Tchao la France des éléments de benchmarking et de comparaisons". A de rares exceptions près, on les cherche encore... Le nombre de renvois et de notes de bas de page faisant référence à d’autres travaux, d’autres auteurs, sont réduits à peau de chagrin. Elle précise encore qu’on y retrouvera "des impressions, des anecdotes. De l’objectif et du subjectif". Force est de constater que l’un a pris le pas sur l’autre. Après une description assez objective des situations, le subjectif l’emporte à chaque fois.

 

Cette impression est renforcée par le style d’écriture de Corinne Maier dont nous ne ferons pas le procès ici, d’autres s’y étant employés à la sortie des ses précédents ouvrages. On peut néanmoins observer que la légèreté de ton adopté, pour aborder ces sujets sérieux, crée une dissonance chez le lecteur qui ne sert pas les propos de l’auteur, bien au contraire. Quelques exemples… Abordant les problèmes de santé en France, et dénonçant le déficit du nombre de médecins gynécologues, Corinne Maier de conclure "le rappeur Doc Gynéco peut être content : il sera bientôt seul sur le marché". Corinne Maier aime les jeux de mots, même s’ils ne sont pas bons. S’agissant des représentations encore négatives de l’homosexualité dans notre pays, Corinne Maier ajoute "il n’est pas toujours gai d’être gay en France".

 

Corine Maier aime aussi les métaphores. Abordant la question du piston et des passe-droits, en rappelant l’épisode Jean Sarkozy postulant à la tête de l’EPAD, Corinne Maier dresse le portrait type du notable : "A ses yeux, le monde se divise en deux : les poires et ceux qui les mangent. On voit que la morale ripoux-blicaine porte ses fruits". Corinne Maier, enfin, aime les citations. Parlant des difficultés de trouver un emploi en France, elle conseille au lecteur de partir : "Partir un jour – sans retour – comme le chantaient jadis les 2B3". Pourquoi pas !

 

La caricature, le jeu de mot, l’anecdote habilement distillés auraient pu faire sourire si les sujets abordés n’avaient pas été aussi sérieux. Le style de Corinne Maier peut apparaître parfois comme un mépris des difficultés que vivent les Français. On a l’impression qu’à travers l’écriture de ce livre, elle cherche surtout à se faire plaisir, quitte à ce que celui-ci ne soit pas partagé. Une sorte de plaisir égoïste… Corinne Maier écrit, en fait, tout ce qui lui passe par la tête. 

 
 

Monde intellectuel, travail, entreprise… le retour de Corinne Maier 

 

Tchao la France est un ouvrage inégal… L’auteur est plus compétent sur certains sujets que sur d’autres et on aurait souhaité qu’elle s’en tienne à ceux-là. 

Corinne Maier dénonce assez justement une certaine arrogance des Français vis-à-vis des autres pays. Les Français parlent mal les langues étrangères, connaissent peu la culture des autres pays, leur histoire, leur littérature. Une majorité de Français ayant vécu à l’étranger pendant un certain temps, seront d’accord avec ce constat. Si la France a compté, il y a quelques décennies, de nombreux intellectuels au rayonnement international, force est de constater que l’on retrouve aujourd’hui les grands noms de la pensée contemporaine à l’étranger : Agamben, Butler, Neumann, Sloterdijk, Zizek, etc. Ces intellectuels sont très peu connus en France en dehors du monde académique. A contrario, selon Corinne Maier, il existerait en France "des intellos omniprésents dans le paysage médiatique, rémunérés pour servir la soupe aux puissants et diffuser la doxa des poncifs droits-de-l’hommiste. La lutte contre la xénophobie, le fascisme rampant, permet à certains de faire carrière médiatique. BHL, jadis star de l’antitotalitarisme godiche, a été un peu éclipsé par Philippe Val, puissance montante des platitudes engagées". Et l’auteur de nous rappeler la rigueur intellectuelle d’un philosophe comme BHL "qui se contente de réchauffer les barquettes de philo made in wikipédia en faisant référence à un philosophe, Jean baptiste Botul…qui n’existe tout simplement pas" !

 

S’il y a un domaine sur lequel c’est un vrai plaisir, il faut l’avouer, de retrouver la plume acerbe de Corinne Maier, c’est celui du travail, de l’entreprise, des patrons. L’auteur se fait l’écho du sentiment de millions de français quand elle décrit comment sur le marché de l’emploi, il n’y pas de place pour les parcours atypiques et que les opportunités de changer de voie sont trop rares, voire inexistantes. Elle parle de la France comme le pays du "ni-ni", entendre ni mobilité verticale, ni mobilité horizontale. Encore faut-il ne pas se plaindre lorsqu’on a un emploi, même payé au Smic, avec 4 millions de chômeurs qui attendent leur place ! Ceux-là, ne peuvent même pas compter sur Pôle Emploi dont le but inavoué est bien de sortir le plus grand nombre de personnes des chiffres du chômage : propositions d’emplois saugrenues, formations bidons, radiations pour rendez-vous manqués, etc. Alors comment trouver un emploi dans ces conditions ? Il faut du "réseau" ! Telle est la nouvelle doxa du management et des associations pour l’emploi. Sur un marché de l’emploi structurellement en panne, c’est une façon habile de se déresponsabiliser sur le dos du demandeur d’emploi… On s’étonnera avec Corinne Maier de ne pas avoir vu la couleur des emplois qui auraient dû être libérés par les papy boomers

 

Une fois dans l’entreprise, le calvaire continue : pseudo-fiches de poste aux objectifs flous et responsabilités mal définies, jargon corporate, etc. A ce titre, on pourra lire ou relire l’excellent L’open space m’a tué de Alexandre Des Isnards et Thomas Zuber pour plonger dans l’ambiance de l’entreprise moderne. Ce que l’auteur oublie de préciser, c’est qu’il s’agit surtout du fonctionnement des grandes entreprises. Elle fait référence à ces multinationales françaises qui prospèrent en faisant pression sur leurs fournisseurs, qui bénéficient de nombreux dispositifs d’aide aux entreprises et sont favorisées par la fiscalité. A côté, les nombreuses PME tentent de s’en sortir comme elles peuvent. 

 

Enfin, Corine Maier parle assez justement du phénomène du stress au travail qui concerne cette fois-ci une majorité de français. La France se situe au troisième range mondial des nations où les dépressions liées au travail sont les plus nombreuses, juste après l’Ukraine et les Etats-Unis. La France est championne du monde de la consommation d’anxiolytiques. Le stress au travail se retrouve bien évidemment dans l’entreprise mais aussi dans la fonction publique et le monde associatif soumis également à la pression des objectifs  

 
 

En bref, il apparaît assez clairement que derrière une critique de la France, c’est à une critique virulente du modèle républicain que Corinne Maier se livre : critique de l’école, critique de la laïcité, critique de l’exception culturelle… Corinne Maier souhaiterait-elle l’instauration d’un modèle anglo-saxon multiculturaliste?  D’après elle, le modèle républicain s’est toujours "montré anti-autre depuis l’origine". Ainsi, elle accorde plus de crédits au système des "accommodements raisonnables" qu’au principe de laïcité à la française. On rappellera donc à Corinne Maier que, le Canada, pourtant considéré par beaucoup comme le berceau du multiculturalisme, connaît depuis quelques années un vif débat au sujet de ce modèle qui a conduit à de nombreuses dérives. Au cœur du débat justement, "les accommodements raisonnables" qui depuis une dizaine d’année constituent la porte d’entrée à de nombreuses revendications religieuses et particularistes, voire intégristes.

Dans La dernière utopie, Menaces sur l’universalisme, Caroline Fourest revient sur ce principe et son évolution au cours des décennies. Les Pays-Bas ont pratiqué ce modèle jusqu’à la radicalisation de certaines minorités. Et quel est le revers de la médaille ? Le retour de la xénophobie pour contrer ces dérives du multiculturalisme. Partout en Europe, l’extrême droite remonte depuis quelques années : en Suisse, en Angleterre, au Pays-Bas, en Belgique. Angela Merkel en a tiré il y a quelques mois les conséquences en annonçant l’échec du modèle multiculturaliste en Allemagne. Il semble donc que sur ces sujets fondamentaux, socle du vivre ensemble, Corinne Maier ne soit pas à la hauteur des enjeux.

 

Elle n’est pas sans savoir que la Belgique, où elle s’est installée, est sujette aussi à de nombreuses tensions : instabilité politique, montée du communautarisme parallèlement à une montée du nationalisme. Bref, on voit toujours l’herbe plus verte ailleurs… À vous de juger !